En pleine renaissance, l'aviation d'affaires se retrouve dans l'œil du cyclone

C'est le symbole à faire tomber. Cet été, l'aviation d'affaires suscite nombre de remontrances quant à sa dimension sociale ultra-élitiste et son impact environnemental. Devenu politique en France, le sujet met aux prises le gouvernement, EELV, les militants écologistes, ainsi que les partisans de l'aviation d'affaires faisant valoir l'utilité d'une grande partie des missions du secteur comme son impact environnemental limité en valeur absolue.
Léo Barnier
L'aviation d'affaires suscite des polémiques autour de son rôle et de son impact environnemental.
L'aviation d'affaires suscite des polémiques autour de son rôle et de son impact environnemental. (Crédits : Groupe ADP)

Lorsque la crise sanitaire est venue frapper brutalement l'ensemble du secteur aérien en mars 2020, l'aviation d'affaires n'a pas échappé à la règle et a vu son trafic s'écrouler. Mais là où l'aviation commerciale court toujours pour rattraper le trafic perdu - et devra encore patienter au moins jusqu'en 2024 -, les jets et turbopropulseurs privés ont vu leur trafic redécoller dès l'été 2020 en Europe comme à travers le reste du monde. Un véritable essor qui s'est confirmé par la suite au point de dépasser les niveaux d'avant crise dès l'été 2021 avec des hausses de plus 20 % sur certains mois. Et c'est encore le cas depuis le début d'année. Premier aéroport d'affaires européen, Paris-Le Bourget a connu un record historique fin mai avec 474 mouvements en une journée. Une situation qui tranche avec la période de fort recul avec la crise de 2008 puis de stagnation pendant près de dix ans, notamment en Europe.

Ce regain d'activité de l'aviation d'affaires n'est pas sans susciter des controverses à l'heure où la pression écologique se fait de plus en plus forte, en particulier sur le secteur de l'aviation. Et si, pour certains, l'aviation commerciale fait déjà figure de transport des riches, le jet privé est érigé en symbole des ultra-riches qui s'affranchissent de toutes contraintes environnementales pour leur bon plaisir. D'autant plus dans un contexte de crise énergétique et d'inflation généralisée.

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D'abord les réseaux sociaux, puis la classe politique

Une première banderille plantée en juillet sur les réseaux sociaux, où de nombreux internautes ont multiplié les invectives à l'encontre des stars, milliardaires et autres personnalités médiatiques utilisant des jets d'affaires dont les déplacements peuvent être suivi en temps réel grâce aux données ADS-B. Ce mouvement international a trouvé son épicentre aux Etats-Unis, qui concentre les deux tiers de la flotte mondiale.

La polémique a repris de plus belle il y a quelques jours, cette fois en France et sur le terrain politique. S'exprimant dans Le Parisien, le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, s'est déclaré favorable à une régulation du secteur. « Il existe des motifs d'urgence, des impératifs économiques, mais ça ne peut pas être un mode de déplacement individuel de confort, alors que la mobilisation générale engagée par le président nécessite que tout le monde fasse des efforts », a-t-il ainsi déclaré, pointant le fait que l'aviation d'affaires puisse devenir « le symbole d'un effort à deux vitesses ».

Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, s'est également exprimé sur le sujet sur France Inter. Il a estimé lui aussi que « le jet a valeur de symbole, les symboles sont importants, il ne faut pas que les Français aient le sentiment que ce serait toujours les mêmes à qui on demanderait des efforts, c'est-à-dire les catégories populaires et les classes moyennes ». Il a ainsi confirmé la volonté de réguler le secteur, indiquant que « le ministre des Transports propose de mener une concertation au niveau européen pour voir s'il y a des moyens de compenser les émissions de CO2 ».

Olivier Véran a en revanche réfuté toute volonté d'interdiction de l'aviation d'affaires, estimant que « dans la grande majorité des cas, (ce sont) des transports commerciaux, on envoie des équipes sur place avec une réactivité qui est importante, c'est créateur d'emplois, donc il ne s'agit évidemment pas d'interdire cela ».

Il rebondissait ainsi sur les propos du député de Paris et secrétaire national d'Europe Ecologie Les Verts (EELV), Julien Bayou, qui demandait pour sa part des mesures plus radicales afin que les « ultra-riches » et les « super pollueurs » ne bénéficient pas de « super dérogations ». Interrogé sur BFM TV, ce dernier a ainsi appelé de ses vœux l'extension aux jets privés de l'interdiction de vol en cas d'alternative en train en moins de deux heures et demie. Votée dans le cadre de la loi Climat et résilience, cette mesure s'applique aujourd'hui à l'aviation commerciale.

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Un sujet européen

Fin connaisseur de l'aérien, le sénateur Vincent Capo-Canellas (UDI) a également défendu sur Twitter cet argument de l'utilité de l'aviation d'affaires. S'il concède que « les voyages des milliardaires sont moralement discutables, comme les yachts, maisons de plusieurs centaines de mètres carrés, voitures qui émettent beaucoup », il a rappelé que ces vols « permettent de desservir au plus près les territoires excentrés sans passer par les métropoles », ainsi que « les déplacements des dirigeants, des équipes d'entreprises pour aller au plus près des prospects et des clients avec une souplesse horaire et une réactivité forte ». Ainsi, l'exemple de Michelin est emblématique. Seul groupe du CAC40 basé hors d'Île-de-France, il possède sa propre compagnie Michelin Air Services pour assurer les déplacements de ses dirigeants.

Comme le ministre des Transports, le sénateur appelle à une discussion au niveau européen. Des solutions pourraient notamment se dégager avec la révision des exemptions dont peuvent bénéficier les exploitants d'avions d'affaires dans le cadre du système d'échange européen de quotas d'émission carbone (EU ETS) ou dans l'instauration d'une taxe carbone au sein de l'Union.

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Des finalités dures à évaluer

Entre bon plaisir des ultra-riches et utilité économique, il n'est pas forcément évident de savoir ce qui se cache derrière l'aviation d'affaires. Si les jets privés attirent toute l'attention, le tiers de la flotte mondiale (un peu plus de 38.000 avions avant crise) se compose de turbopropulseurs, plus discrets et moins polluants.

Selon l'Association européenne de l'aviation d'affaires (EBAA), 3.700 avions étaient basés sur le Vieux Continent avant crise pour environ 2.000 vols par jour, soit 8 % du trafic. Preuve du dynamisme actuel, entre janvier et juillet, 474.000 vols ont déjà eu lieu. Cela fait plus de 2.200 vols par jour. Sur ce total, environ 55 à 60 % des vols étaient commerciaux, donc opérés à la demande par des compagnies aériennes aux profits de clients (personnes ou entreprises). Le transport véritablement privé est deux fois moindre, avec des avions possédés directement par des personnes morales ou physiques, avec seulement 30 % de vols non-commerciaux. Le reste de l'activité se répartit entre les vols médicaux, représentant jusqu'à 10 % du trafic, et les vols étatiques.

Le fait est qu'il est ensuite dur de savoir si les passagers d'un vol commercial en avion d'affaires vont à la recherche de nouveaux clients ou à la plage. L'Administration fédérale de l'aviation (FAA) a néanmoins établi des statistiques pour les Etats-Unis avant crise : selon elle, les vols à but récréatif représentaient moins de 10 % des heures de vols réalisées en 2018, loin derrière les activités d'affaires, de taxi aérien, d'évacuation sanitaire ou de travail aérien.

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Pics de trafic l'été

Force est néanmoins de constater que les périodes les plus florissantes pour l'aviation d'affaires sont les mois d'été. Selon les chiffres de l'EBAA, basés sur les statistiques d'Eurocontrol, il y avait moins de 60.000 vols par mois jusqu'en avril cette année. Puis la barre passe à près de 75.000 en mai, 86.000 en juin et 92.000 en juillet. Et cette saisonnalité était déjà identique avant crise.

Premier aéroport d'affaires européen, Paris-Le Bourget a connu un record historique fin mai avec 474 mouvements en une journée. Une journée exceptionnelle due à la combinaison de la réception de la finale de la Ligue des champions au Stade de France, la tenue du Grand prix de Monaco, et du tournoi de Roland Garros. De même, Nice (qui permet également la desserte de Monaco) figure en deuxième place dans les aéroports comptant le plus de mouvements d'avions d'affaires depuis le début d'année, loin derrière Le Bourget certes mais devant Genève et Farnborough.

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Des émissions encore en croissance

En termes d'émissions de CO2, l'EBAA assume une hausse des émissions de plus de 30 % entre 2005 et 2019 pour atteindre 2,1 millions de tonnes de CO2. Dans le même temps, le nombre d'heures de vol a crû de 35 %, ce qui laisse donc entrevoir une amélioration de l'efficacité des appareils. D'ailleurs, après une hausse continue entre 2009 et 2018, la courbe a commencé à s'inverser en 2019 avec une première réduction des émissions depuis 10 ans.

A titre de comparaison, l'aviation commerciale représentait 163 millions de tonnes de CO2 en 2017 (et environ 180 millions de tonnes en 2019), mais avec une croissance des émissions à moins de 20 % depuis 2005 en dépit d'une hausse d'activité de plus de 60 % (en kilomètre par passager transporté).

Si en valeur absolue, l'impact de l'aviation d'affaires est donc limité par rapport au reste de l'aviation ou encore à l'ensemble des transports, le bilan est bien moins glorieux lorsqu'il est rapporté au nombre de vols ou de passagers.

Léo Barnier

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Commentaires 8
à écrit le 24/08/2022 à 17:08
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Formidable ! On va couler Dassault pendant que la planète continuera de polluer autant.

à écrit le 24/08/2022 à 16:14
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"renaissance" , cela me rappelle un truc mais quoi ?

à écrit le 24/08/2022 à 10:29
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Encore et toujours une distraction médiatique pour ne pas réfléchir sur le problème de fond. La suppression totale de l'aviation d'affaire ne résoudrait en RIEN les problématiques climatiques. Oui le symbole est choquant (surtout via notre prisme é...

le 24/08/2022 à 12:55
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la destruction de la france est le constat denos dirigeant car ils sont incapables d'avoir des pensees et des idees de progres pour l'avenir enferme dans la pensée unique venus des usa et leur monde uniforme copie par la gauche et la macronie

à écrit le 24/08/2022 à 10:21
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Si l'on veut atteindre l'objectif de 2° (chimère il me semble malheureusement), chaque humain sur la planète doit émettre entre 2 et 3 tonnes de CO2 annuellement. Pour un africains ou indien c'est déjà le cas, pour un européen et américain c'est un p...

à écrit le 24/08/2022 à 9:35
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Si l'on s'engage dans cette voie il faudra interdire aux fumeurs de rejeter la fumée de cigarette dans l'atmosphère, aux bovins de maitriser leurs flatulences, les barbecues etc etc... Une meilleure solution : frapper les pollueurs au portefeuille e...

à écrit le 24/08/2022 à 9:10
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Je n'admet pas, qu'à chaque instant, un ultra riche (Bolloré, Ronaldo ou autre artiste) pollue mon air mille fois plus que la voiture de mon voisin, sans qu'il ne soit bridé !.

le 24/08/2022 à 10:04
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De l'écologie de salon. On fait tout pour détruire ce qui fonctionne. Si on empêché l'aviation privée d'opérer à partir de la France, les propriétaires baseront leurs avions à l'étranger et la France ne pourra que constater car les lois européennes s...

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