Après le spatial et la cyber, la France se dote d'une stratégie militaire de maîtrise des fonds marins. Et tout comme dans le spatial et la cyber, les fonds marins sont également l'objet d'une "compétition effrénée et de contestation affirmées" avec des "stratégies hybride de certains" pays comme la Chine ou encore la Russie, assure-t-on au ministère des Armées. Un nouveau terrain conflictuel entre puissances sur lequel la France ne souhaite pas avoir une guerre de retard tant les enjeux industriels et de souveraineté sont cruciaux. Une guerre qui là encore ne dit pas son nom mais qui se joue au quotidien. Ainsi, à l'été 2021, un navire océanographique russe Yantar a été à nouveau aperçu au large de l'Irlande alors qu'il opérait à proximité de câbles qui relient l'Europe aux États-Unis. C'est pour cela que la ministre des Armées a présenté ce lundi cette stratégie de maîtrise des fonds marins, dont 97% se situe à une profondeur inférieure à 6.000 mètres.
Course à l'armement
Sur les quelque 450 câbles sous-marins de communication actuellement en service (99% des échanges de données numériques intercontinentaux), 51 sont reliés au territoire national (27 en métropole et 24 en outre-mer). L'importance de ces autoroutes numériques est stratégique pour toutes les nations. Le transport d'énergie (électricité, gaz, pétrole) repose également en partie sur des câbles ou tuyaux sous-marins. D'où l'importance vitale de protéger ces infrastructures face à des rivaux, qui opèrent dans les fonds marins, qui sont très propices à la dissimulation. En outre, les milliards de nodules polymétalliques et de sulfures polymétalliques et encroûtements cobaltifères présents au fond des mers sont porteurs de ressources essentielles. Ainsi, la seule zone Clarion-Clipperton, qui s'étend du Mexique à Hawaï, contiendrait six fois plus de cobalt et trois fois plus de nickel que l'ensemble des réserves terrestres du monde.
Les menaces se multiplient et vont s'accélérer à l'avenir. La dégradation intentionnelle, coordonnée et ciblée de tout ou partie des câbles sous-marins d'une liaison intercontinentale pourrait avoir des conséquences lourdes, notamment en termes de connectivité et de continuité des services. En 2008, la coupure de quatre câbles sous-marins, par un bâtiment au mouillage devant l'Égypte, a causé pendant une semaine la perte de 90% des communications entre l'Asie et l'Europe, perturbant le fonctionnement d'Internet dans près de quinze pays. L'Inde avait alors perdu 80% de sa connectivité.
Les trois grandes puissances mondiales ont massivement investi dans le domaine. La Russie est très active pour tout ce qui a trait à la lutte sous la mer. La maîtrise des fonds marins fait partie intégrante de la stratégie navale russe avec un accent particulier sur la détection sous-marine et l'emploi de drones sous-marins. La Chine investit quant à elle massivement dans la recherche scientifique marine à travers un programme de collecte de données océaniques dont les finalités sont l'exploitation des ressources naturelles, le soutien du développement des capacités navales militaires et la diplomatie maritime. La course à l'armement a conduit les Etats-Unis, qui possèdent déjà une solide expérience, a conduit les États-Unis à relancer ses efforts.
France, un manque de moyens face aux enjeux
Au regard de ces enjeux cruciaux, la France n'investit pas autant qu'elle devrait le faire dans ses moyens capacitaires par rapport aux enjeux déterminants de la maîtrise des fonds marins. Le ministère tente de faire du neuf avec de l'existant. Ainsi, le ministère des Armées a entrepris un travail de recherche de cohérence avec les programmes existants ou en devenir, déjà parties prenantes de la maîtrise des fonds marins (Capacité Hydrographique et Océanographique Future ou CHOF et Système de Lutte Anti-mines du Futur ou SLAMF), ainsi que le développement de capacités nouvelles.
La France veut se doter d'une première capacité exploratoire à l'horizon 2025 d'AUV (Autonomous Underwater Vehicle) et de ROV (Remotely Operated Underwater Vehicle) pouvant opérer jusqu'à 6.000 mètres. Pour soutenir son ambition dans les fonds sous-marins, le ministère des Armées a également décidé de soutenir l'innovation en matière de développement des capteurs embarqués sur les drones et les ROV (robots filoguidés) profonds et recommande d'accélérer les études permettant de détecter des installations sous-marines. D'une manière générale, le ministère va accompagner le développement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) sur la maîtrise des capacités sensibles de cette filière, en tirant tout le bénéfice des solutions développées pour les besoins civils, notamment de l'industrie pétrolière.
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