Câbles sous-marins : quand l'Etat français brouille la stratégie de Nokia

Nokia et l’État français se livrent une guerre discrète mais sans concession sur une opération de cession de la division de câbles sous-marins du groupe télécoms finlandais.
Les dirigeants de Nokia France ont été récemment convoqués pour un nouveau rappel à l'ordre et l'État français a confirmé leurs obligations confidentielles vis-à-vis de Submarine Network Solutions sous peine de gros ennuis judiciaires.
Les dirigeants de Nokia France ont été récemment convoqués pour un nouveau rappel à l'ordre et l'État français a confirmé leurs obligations confidentielles vis-à-vis de Submarine Network Solutions sous peine de gros ennuis judiciaires. (Crédits : Reuters)

C'est l'un des dossiers les plus explosifs du moment où s'entrechoquent la souveraineté de la France et les intérêts d'un puissant groupe étranger. Un dossier où tout ou presque se passe dans les coulisses et où, de fait, très peu de bulles remontent encore à la surface. De quoi parle-t-on ? Alors que Nokia discute avec plusieurs mois d'une cession de sa division de câbles sous-marins (Alcatel Submarine Networks) valorisée autour de 800 millions d'euros, l'État français livre au groupe de télécoms finlandais une guerre discrète mais sans concession sur cette opération. Les offres reçues par Nokia concernent plutôt l'ensemble du périmètre d'Alcatel Submarine Networks (ASN) plutôt que celle d'une sous-partie de la partie électronique d'ASN.

"Nous attendons actuellement une offre qui nous permette de considérer que la société sera pérenne, avait expliqué fin décembre Thierry Boisnon lors de son audition à l'Assemblée nationale. Nous ne voulons pas nous séparer à tout prix de cette entité. La démarche, depuis le deuxième trimestre, est en tout cas de chercher un acheteur".

Pour la France, il n'est pas question que Nokia cède à n'importe qui ces activités héritées du rachat du franco-américain Alcatel-Lucent, explique-t-on à La Tribune. Car les câbles sous-marins, un actif au cœur des flux de communications mondiaux, constituent un véritable enjeu stratégique pour les États, dont la France. Numéro un mondial du secteur, ASN est d'ailleurs un opérateur d'importance vitale (OIV) au sens du code de la défense et joue de facto un rôle clé dans le dispositif des services de renseignements français.

Rappel à l'ordre

Dans ce conflit, Paris a donc rappelé discrètement mais fermement à plusieurs reprises aux dirigeants français de Nokia de coopérer dans la cadre de cette vente si elle devait se confirmer. L'État a d'ailleurs sa petite idée sur un éventuel acheteur. Très récemment vers la mi-mars, les dirigeants de Nokia France, dont Thierry Boisnon, ont été convoqués pour un nouveau rappel à l'ordre, et l'État français a confirmé leurs obligations confidentielles vis-à-vis d'ASN sous peine de gros ennuis judiciaires. Interrogé par La Tribune, Nokia France ne fait "pas de commentaire" sur ce rendez-vous. "Comme nous l'avons déjà dit, nous continuons de regarder les différentes options possibles concernant ASN", nous assure-t-on.

"Nous avons discuté de manière très transparente avec les différents partenaires de l'État, parmi lesquels le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui garantit le respect de nos engagements les plus confidentiels afin de ne pas enfreindre la souveraineté de l'État, avait précisé Thierry Boisnon. Je présume que l'État mettra tout en place pour s'assurer que le prochain propriétaire de cette entité respectera les mêmes engagements de souveraineté."

Qui pour acheter cette activité?

En décembre dernier, Thierry Boisnon n'avait pas souhaité donner l'identité des candidats potentiels à un rachat d'ASN. Il y en aurait deux ou trois. Le patron de Nokia France avait seulement précisé que Nokia "avait plutôt tendance à imaginer une solution" de cession à un acteur industriel et "à penser que l'investissement ne doit pas être seulement financier". Orange ? Du côté de l'opérateur, la possibilité de racheter ASN est tout bonnement "inenvisageable", affirme une source proche de l'état-major du leader français des télécoms.

Selon nos informations, Orange y serait opposé pour deux raisons. La première, c'est que l'essentiel de la valorisation d'ASN (environ 80%, nous dit-on) est constituée par son usine de production de câbles de Calais. Or si Orange est actif dans la pose de câbles sous-marins à travers sa filiale Orange Marine, il ne souhaite pas devenir un fabricant de câbles et un gestionnaire d'usine. Orange n'a aucun compétence en la matière et argue que ce n'est pas son métier. La seconde raison est que l'opérateur ne veut pas devenir le fournisseur de ses concurrents en matière câbles sous-marins, qu'il deviendrait de facto s'il faisait l'acquisition d'ASN.

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Commentaires 10
à écrit le 13/03/2020 à 14:16
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voilà ce qui se passe quand on cède les bijoux de famille

à écrit le 05/04/2018 à 9:11
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il fallait y refléchir avant de laisser filer Alcatel lucent.....Macron était déjà à la manœuvre.....

à écrit le 05/04/2018 à 8:16
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Il y a au moins deux acheteurs européens possibles pour ASN : Nexans et Prysmian. Après, il y a la question du prix : les bateaux câbliers coûtent sûrement très cher quand ils ne travaillent pas...

à écrit le 04/04/2018 à 12:26
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L'état français défensif et offensif : avec fermeté !

à écrit le 04/04/2018 à 12:26
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Que l'on cesse ces petits jeux de vente des biens stratégiques, alors qu'on discute pour développer l'IA, c'est un non sens.

à écrit le 04/04/2018 à 11:51
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Imaginons un instant que les Russes achètent via des paradis fiscaux... :) C'est tout le risque des privatisations des piliers de notre nation.

le 04/04/2018 à 17:41
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Comme c'est une entreprise Française filiale de Siemens qui s'occupa de l'électricité des blockhaus de la ligne Maginot Pour être une nation libre il faut conserver nos usines stratégiques , sinon je ne vois plus l'utilité d'une armée, cela va d'un...

à écrit le 04/04/2018 à 8:33
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les vendre à prysmian groupe italien. Après STX cela aurait dû sens . et ensuite on envahit l Italie pour garder la souveraineté. nexans est visiblement out. trop américain.. ..

le 04/04/2018 à 13:47
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Reste Thales si on veut vraiment que ça reste français.

le 04/04/2018 à 15:49
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Thalès est déjà très occupé avec l'acquisition de Gemalto. Une acquisition qui pèse quand même de l'ordre de 5 milliards.

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