Industrie aéronautique : "C'est la période de tous les dangers" (Marwan Lahoud, Ace Capital Partners)

Dans une interview accordée à La Tribune, le président d'Ace Capital Partners Marwan Lahoud fait le point sur le fonds de soutien en faveur de l'aéronautique, Ace Aéro Partenaires. D'ici à la fin de l'année, ce fonds aura investi 200 millions d'euros dans la filière aéronautique sur les 750 millions d'euros levés. Marwan Lahoud se dit également "confiant" sur le fait que le fonds sera doté de 1 milliard d'euros "au milieu de l'année prochaine".
(Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Comment analysez-vous l'état actuel de la filière aéronautique en tant qu'investisseur ?
C'est la période de tous les dangers. Pourquoi ? Après avoir bénéficié des PGE (prêt garanti par l'Etat, ndlr) et mis les salariés en chômage partiel - des mesures qui ont permis d'anesthésier la filière et d'éviter les défaillances en chaîne -, les entreprises aéronautiques doivent actuellement remettre les gaz avec la reprise de l'activité. Elles doivent à nouveau dépenser et investir pour redémarrer les chaînes. C'est aujourd'hui qu'elles ont besoin d'un soutien, qui n'est plus un soutien type PGE, mais un soutien en capital.
C'est là que nous devons intervenir avec Ace Capital Partners, filiale de Tikehau Capital.

MARWAN LAHOUD - Par rapport aux crises précédentes, quel est votre regard sur les impacts inédits de cette crise ?
La nouveauté concerne le long-courrier, dont la reprise est beaucoup plus lente que le moyen-courrier. En fonction de leur exposition sur ce segment de marché, les sous-traitants français qui fournissent Boeing, sont plus exposés.

Le directeur général de la branche française de la Banque Lazard Jean-Louis Girodolle avait estimé en novembre 2020 au Paris Air Forum qu'il y avait beaucoup d'argent en France pour investir dans la filière aéronautique. Est-ce toujours le cas?
Je confirme. Le problème n'a jamais été la disponibilité de l'argent ; le problème est de faire coïncider l'argent et les idées, l'argent et les projets, l'argent et les promesses de retour sur investissement. Ce n'est donc pas une question d'argent mais de projet industriel. C'est pour cela que j'ai constitué autour de moi une équipe avant tout d'industriels de l'aéronautique, et pas juste un fonds de private equity, qui met un ticket dans une société et sort en ayant réalisé un multiple. Investir dans un bas de cycle demande de l'exigence mais, en tant qu'industriel, nous savons quelle entreprise pourra rebondir. C'est pour cela que je dis aussi que nous sommes une entreprise aéronautique avant d'être un fonds d'investissement.

L'argent est là. Les projets aussi. Bruno Le Maire s'impatiente et souhaite une accélération de la consolidation. Est-ce l'ambiguïté à la création du fonds qui ralentit ces opérations de consolidation entre certains industriels partenaires qui voyaient ce fonds comme un fonds de soutien et d'autres comme un fonds permettant la consolidation du secteur ?
Il n'y avait pas d'ambiguïté. Tout le monde était conscient des deux besoins. Le premier besoin consiste à soutenir les sociétés ou les acteurs clés de la filière, qui se trouveraient en difficulté. Deuxièmement, tout le monde était d'accord pour estimer qu'il fallait en profiter pour consolider. La divergence était plutôt sur l'ampleur et l'urgence. Certains industriels estimaient à l'époque que le fonds allait être trop submergé par les demandes de soutien. D'autres estimaient qu'il ne fallait pas perdre de vue la consolidation. La réalité aujourd'hui est qu'il n'y a pas eu autant de demandes de soutien que ce que l'on pouvait imaginer.
Il y a eu bien sûr des entreprises en difficulté dont Ace Capital Partners s'est occupé et continue de s'occuper. On fait le job.

Pouvez-vous donner des exemples ?
Nous avons investi dans les PME comme Aries Alliance et Hitim tout comme dans Figeac et Satys, qui sont des opérations « mixtes ». Dans ces deux sociétés, nous sommes en train de restructurer le bilan tout en les préparant à la consolidation. C'est la catégorie « soutien, consolidation ». Et nous avons bien conscience que nous devons faire ce type d'opérations : on soutient et on consolide. Soit par une consolidation de type collier de perles, c'est-à-dire une plateforme qui achète une perle, puis une autre, etc.

Cela ressemble à un collectionneur...
...Non. La clé de l'acquisition est l'intégration. Ce n'est pas juste « j'achète et je suis content ». Et puis, il y a la consolidation qui est une opération transformante pour deux sociétés soit concurrentes, soit complémentaires, qui se rapprochent. Il faut toujours garder en tête de conserver un peu de compétition dans chaque marché. Nous en avons conscience en tant que fonds.

L'opération avec Figeac est-elle ferme et définitive ?
Nous avons un accord de principe avec Figeac, qui discute avec ses créanciers. Notre offre est conditionnée à un accord satisfaisant avec les créanciers.

Que répondez-vous aux déclarations de Bruno Le Maire ?
Je remercie Bruno Le Maire car ses déclarations sont des stimuli pour la consolidation du secteur. Notre job avec mon équipe de 25 personnes n'est pas de dire : « fais ci, fais ça ». Ce n'est pas comme cela que ça marche. Nous amenons en revanche du capital intelligent dans des projets de consolidation. C'est en ce sens que nous stimulons la consolidation. Et puis je rappelle que l'objectif du fonds est quand même de réaliser trois fois la mise et d'atteindre 25% de taux de retour.

Quelle est aujourd'hui l'enveloppe financière du fonds Ace Capital Partners ? 750 millions d'euros ?
Nous allons poursuivre les opérations de levée de fonds jusqu'au milieu de l'année prochaine.

Pour atteindre ce fameux milliard ?
Je suis relativement confiant sur le fait que nous serons à ce montant au milieu de l'année prochaine. Les levées de fonds se réalisent en général en plusieurs étapes. Nous avons réalisé une première levée dans un premier temps avec les industriels partenaires (Airbus, Safran, Dassault et Thales), Tikehau et Bpifrance, qui sont les sponsors du projet. Puis, on a levé auprès d'institutionnels comme le Crédit Agricole, qui ont cru à ce projet alors que nous n'avions rien déployé ni montré encore. Nous sommes actuellement dans la deuxième phase : il y a d'autres institutionnels, qui tapent à la porte pour nous accompagner. Pour être plus précis, ce sont des banquiers, des assureurs, des investisseurs familiaux.

On entend parler de BNP Paribas, d'Allianz, d'AXA...
...C'est ce type d'acteurs que nous visons. Nous allons leur présenter le projet.

Sur les 750 millions d'euros levés, quel est le montant que vous avez déjà investi ?
D'ici à la fin de l'année, nous allons engager au total autour de 200 millions d'euros. Nous avons toute une série d'acquisitions qui iront rejoindre Mecachrome, qui est une plateforme dont nous sommes actionnaires à travers les fonds précédents (Aerofund 1, 2 et 3). Nous allons d'ailleurs annoncer prochainement un nouvel investissement. Nous avons encore une petite dizaine d'opérations qui vont suivre d'ici à la fin de l'année. Enfin, nous sommes engagés dans des discussions avec Eramet, Safran et Airbus sur une reprise d'Aubert & Duval.

Ces négociations avec Eramet sont longues et complexes. Avez-vous un horizon pour parvenir à un accord ?
L'idée est d'avoir finalisé d'ici à la fin de l'année.

Avez-vous finalement déposé une nouvelle offre ?
Il n'y a pas d'offre. Nous avons écrit un courrier à Eramet au mois de mars. Puis les discussions se sont arrêtées et nous nous sommes séparés. Ensuite, nous avons parlé de qualité, et aujourd'hui nous poursuivons les discussions. Nous sommes en interaction avec Eramet mais il n'y pas une première, puis une deuxième offre, et enfin une « Best and final offer ».

Mais à un moment donné, il faudra que vous fassiez une offre engageante...
...Quand on signera un accord, ce sera une offre engageante. C'est comme ça que ça marche.

Quel est l'objectif d'Ace Capital Partners, filiale de Tikehau Capital ? Réaliser 5 et 8 prises de participation importantes et entre 10 et 20 investissements ?
Dans le contexte Aerofund 1, 2, 3 et 4, nous avons déjà aujourd'hui une quinzaine de participations minoritaires. Le nouveau fonds va nous permettre de faire sans doute 5 à 8 grosses participations nouvelles à l'image de Mecachrome, de Figeac ou d'Aubert & Duval. La barre de ces investissements s'élève entre 80 et 100 millions d'euros. Et puis, on va réaliser une vingtaine d'investissements nouveaux plus modestes.

Guillaume Faury a récemment expliqué dans une interview qu'Ace Capital Partners ne devait se limiter qu'à des opérations qu'en France. C'est nouveau ?
Le fonds est aujourd'hui en soutien à la filière en France. Mais rien ne nous interdit d'investir en soutien d'une filiale étrangère d'une société française. Prenons Dassault Aviation, le plus français des acteurs de l'aéronautique. Où sont les capacités de Dassault dans l'aviation d'affaires ? Elles sont présentes en France et à Little Rock, dans l'Arkansas. Donc, s'il y a besoin d'intervenir sur une filiale, un sous-traitant américain de Dassault Aviation, nous interviendrons pour soutenir un sous-traitant américain de Dassault Aviation. Sur la partie consolidation, le fonds est conçu dès le début comme un fonds de consolidation européen. Nous pouvons investir dans n'importe quel acteur européen.

En période électorale, soutenir un groupe étranger pourrait être mal compris par certains politiques.
Ce serait manquer de respect aux politiques que de penser qu'ils ne peuvent pas comprendre une logique comme celle que je viens de développer. Notre approche est une approche aéronautique. C'est une approche en tache d'huile : France, puis Europe et, enfin, Etats-Unis et reste du monde. L'activité de consolidation ne peut pas se concevoir qu'à l'échelle française. Ce n'est pas possible. D'ailleurs, si on prend le plus français des sous-traitants, le premier objectif dont il rêve est de se développer aux Etats-Unis ou en Europe. Nous sommes dans une logique de croissance.

Ace Capital Partners pourrait-il s'intéresser à des groupes de défense ?
Si ça vole, oui. Nous sommes dans une filière aéronautique. Hitim est présent dans la défense. Le principal client d'Hitim est Dassault Aviation dans la division défense. Mais il n'y a pas spécifiquement d'industrie de défense. Il y a des entreprises aéronautiques, des entreprises mécaniques, des entreprises dans le nucléaire, des entreprises électroniques. La défense est seulement un client. Il y a une confusion de typologie. L'aéronautique est une technologie, pas un usage. Contrairement à la défense. C'est pour cela qu'il existe une telle ambiguïté.

Vos partenaires bancaires pourraient-ils être frileux à investir dans une entreprise ayant des activités de défense ?
La défense n'est pas exclue a priori mais nous nous interdisons d'aller regarder des dossiers qui fabriquent des armes interdites ou qui ne sont pas tolérées.

Il y a pourtant une petite musique qui monte aujourd'hui en expliquant qu'il faut exclure la défense de certains financements vertueux.
Nous entendons cette musique effectivement. C'est la même musique qui demande de ne pas investir non plus dans l'aéronautique civile en raison des émissions de CO2, qui polluent la planète. Nous voulons démontrer que nous investissons justement dans une filière aéronautique qui cherche à se décarboner.

Un dossier comme Orolia, qui fabrique les horloges atomiques de la constellation Galileo, pourrait-il vous intéresser ?
Nous n'allons pas aller sur tous les sujets. Il faut que nous nous concentrions sur les sujets les plus proches de nous. Nous allons atteindre, voire dépasser une levée de 1 milliard d'euros - ce sont des moyens importants - mais il nous faut aussi choisir nos priorités.

Avez-vous refusé beaucoup de dossiers ?
A ce jour, nous avons étudié un peu plus de 100 dossiers environ. Nous avons regardé sérieusement 25 dossiers. Et à la fin, nous en avons gardé une petite dizaine. Soit 10% des dossiers.

Quelles sont les raisons des refus ?
Les dossiers ne sont pas clé pour la filière ou pas intéressants sur le plan économique. Certains ne sont pas aéronautiques. Enfin, nous avons également eu des demandes, qui n'étaient pas dans la philosophie d'investissement de notre fonds.

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Commentaires 3
à écrit le 21/10/2021 à 10:33
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Financer les secteur aéronautique, c'est gaspiller du bonn et bel argent pour recommencer à faire baguenauder autour du monde hommes et marchandises. Ainsi soit il.

à écrit le 21/10/2021 à 9:47
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Bref! C'est une période très délicate pour les rentiers, leur adaptation est très lente du fait qu'ils freinent toute évolution pour que rien ne change!

à écrit le 21/10/2021 à 7:57
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On ne s'en fait pas pour vous.

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