« L'inflation est un sujet de préoccupation » pour l'armée de Terre (général Pierre Schill)

INTERVIEW. Avant l'ouverture lundi du salon Eurosatory, le chef d'état-major de l'armée de Terre, le général Pierre Schill, livre ses réflexions sur le retour de l'inflation qui perturbe la programmation militaire avec de possibles ajustements, sur la guerre en Ukraine et ses conséquences pour les armées européennes et sur le long chemin de la modernisation de l'armée de Terre. Avec le retour d'expérience des différents conflits récents (Ukraine, Haut-Karabagh, Yemen), le général Schill a identifié plusieurs lacunes capacitaires à gommer rapidement : munitions, lutte anti-drones, robotisation et défense sol-air basse couche. Enfin, il annonce l'arrivée du Patroller (SDF) fin 2022.
Il est clair que le drone est un élément qui change la donne tactique. (...) Les combats en Ukraine montrent que les drones restent une capacité déterminante dans le cadre d'une guerre de haute intensité y compris face à un adversaire russe qui dispose de toute la panoplie de défense sol-air, des S-400 aux bitubes de 23 mm. Les Russes essuient des pertes conséquentes causées par ces drones et des munitions télé-opérées (Général Pierre Schill)
"Il est clair que le drone est un élément qui change la donne tactique. (...) Les combats en Ukraine montrent que les drones restent une capacité déterminante dans le cadre d'une guerre de haute intensité y compris face à un adversaire russe qui dispose de toute la panoplie de défense sol-air, des S-400 aux bitubes de 23 mm. Les Russes essuient des pertes conséquentes causées par ces drones et des munitions télé-opérées" (Général Pierre Schill) (Crédits : Armée de terre)

LA TRIBUNE - Le retour de l'inflation pénalise-t-il l'armée de Terre ?
Le général Pierre Schill -
 Par définition, en période d'inflation, la hausse des prix réduit mécaniquement la capacité d'achat à niveau de ressources financières donné. Nous devons notamment faire davantage d'économies sur l'énergie dans la vie courante. Par ailleurs, les réponses apportées à l'évolution de la situation sécuritaire à l'Est de l'Europe avec le déploiement d'un bataillon en Roumanie et d'une compagnie en Estonie ont un coût. La guerre est revenue sur notre continent et nous constatons que la modernisation ainsi que le durcissement de la préparation opérationnelle initiés par l'armée de Terre s'avèrent pertinents. Nous nous rendons compte également qu'il sera nécessaire d'ajuster nos capacités. Les questions qui se posent sont : quels choix budgétaires faut-il envisager ? Quelle sera leur ampleur ? L'état-major de l'armée de Terre, en liaison avec l'état-major des Armées, réfléchit actuellement à ces sujets en ayant l'objectif de préserver les capacités d'entraînement, la profondeur logistique, la modernisation et de ne pas engendrer de ruptures temporaires de capacité.

Êtes-vous inquiet sur les conséquences de l'inflation ?
Il s'agit d'un sujet de préoccupation et je veille à ce que l'armée de Terre demeure apte à répondre à l'ambition stratégique de notre pays. Dans un contexte marqué par le retour des menaces de la force à l'Est et la rémanence des risques de la faiblesse au Sahel, l'ambition portée par l'armée de Terre est de disposer des capacités lui permettant d'agir sur tout le spectre de la conflictualité en opérant sur trois espaces stratégiques prioritaires : la protection et la résilience du territoire national, la prévention et l'influence et enfin la solidarité stratégique avec nos alliés.

La guerre en Ukraine et, à un degré moindre, le conflit court mais violent au Haut-Karabakh, ont remis au goût du jour les combats de haute intensité, ce qui a généré de nombreux débats : rusticité versus technologie, ou encore notion de masse versus armées échantillonnaires. Quelles sont vos certitudes en la matière ?
Le conflit en Ukraine rappelle que la masse est un des facteurs de supériorité opérationnelle. Les études et travaux de l'armée de Terre, et plus globalement des armées, menés depuis plus d'une dizaine d'années l'ont constamment mis en avant. Toutefois, il convient de ne pas opposer masse et technologie. Les deux sont complémentaires : il s'agit de trouver le juste équilibre. La recherche de cet équilibre a sous-tendu le développement de nos programmes d'armement dans le cadre de la modernisation de l'armée de Terre. N'oublions pas que les questions capacitaires sont étroitement liées au potentiel offert par notre industrie de défense. Or, notre industrie nationale est une industrie de haute technicité. Il n'y a pas de défense solide et durable pour un pays si elle n'est pas adossée à une industrie nationale compétitive. C'est ce que découvrent parfois de manière un peu brutale certains de nos partenaires européens, qui n'avaient pas eu la même réflexion que nous et qui n'avaient pas fait in fine les mêmes choix que nous. Ils se retrouvent aujourd'hui souvent démunis pour acquérir des capacités en réaction à l'invasion de l'Ukraine par la Russie et s'interrogent sur des possibilités d'achats rapides.

Mais ils vont pour la majorité se tourner vers les Etats-Unis...
...C'est effectivement une option probable dans l'urgence. Néanmoins, il convient de rappeler qu'acquérir des armements à l'étranger est possible mais soulève des questions relatives à l'autonomie et la souveraineté nationale. La dépendance à des fournisseurs extérieurs, l'actualité l'illustre dans divers domaines, constitue une solution fragile et de court terme. Si la France peut se passer de moutarde pour quelque temps, peut-elle s'en remettre à d'autres pour sa défense ? A mon sens, une solution durable est une solution fondée sur une industrie de défense nationale comme nous avons le privilège d'en disposer. Il y a un équilibre à trouver entre la performance et le prix. C'est un élément discriminant. Pour surmonter durablement ce dilemme, il nous faut davantage travailler, au sein du ministère et avec les industriels, sur la soutenabilité de nos équipements sur toute leur durée de vie. C'est le cas des véhicules blindés Scorpion, pour lesquels il y a un défi en ce qui concerne le coût de possession. Il nous faut le maîtriser. La soutenabilité du coût d'utilisation constitue, dès la phase de conception, un élément structurant des choix d'architecture et de stratégie de soutien. L'armée de Terre doit y être étroitement associée pour deux raisons : elle servira ces équipements en opération, elle assumera dans la durée le coût d'utilisation.

Mais avec le programme Scorpion, fer de lance du combat collaboratif de l'armée de Terre, vous êtes en avance par rapport à beaucoup d'autres pays au monde, y compris les États-Unis. Mais le programme Scorpion n'est-il pas finalement trop technologique par rapport à vos souhaits ?
Avec Scorpion, il s'agit de faire d'une pierre, deux coups : renouveler nos blindés, en service depuis 40 ans, et démultiplier leur efficacité par leur mise en réseau. Les blindés et, plus largement les unités, partageront en temps quasi-réel les informations les plus utiles pour déterminer la meilleure combinaison possible pour se protéger et pour détruire l'ennemi : c'est le combat collaboratif. « Comprendre plus vite, décider plus vite, agir et réagir plus vite, tout cela pour multiplier nos chances de dominer l'adversaire ». Scorpion n'est pas « trop » technologique. L'ambition est élevée et ce choix nous permettra de répondre aux défis tactiques et opérationnels des prochaines années voire des prochaines décennies. A titre d'illustration, le Griffon a été étudié pour pouvoir bénéficier des pleines capacités d'agression, de protection et de survivabilité. La question que l'on peut se poser est de savoir si la totalité du parc Griffon doit être équipée de l'ensemble de ces capacités. Autrement dit, le niveau d'intégration au combat collaboratif doit pouvoir varier en fonction de l'emploi tactique des unités.C'est une vraie piste de réflexion pour finalement disposer du volume attendu de véhicules d'appui et de soutien, fabriqués sur le même châssis, offrant une même mobilité et un soutien commun.

Et sur la vétronique...
Non, je ne crois pas que le combat collaboratif en temps réel soit trop technologique. Il est même probable que ce soit le standard dans les années à venir. Quand le char Leclerc est arrivé dans les forces avec son système de commandement novateur, il a changé la physionomie du combat de la cavalerie lourde. Jusque-là, la cavalerie lourde devait charger groupée pour être certaine de faire masse au moment du choc contre l'adversaire. Les chars Leclerc, parce qu'ils partagent en permanence leur position, ont complètement changé la donne. Ils peuvent être initialement dispersés, se rassembler pour faire le choc, puis se séparer à nouveau. Depuis que l'artillerie existe, les canons ont toujours été groupés pour fonctionner en batterie, un des exemples historiques emblématiques est la bataille de Wagram en 1809. Aujourd'hui, nous pouvons transmettre des éléments de tir à des systèmes d'artillerie mobiles complètement disséminés et camouflés. Sur ordre, ils se mettent en batterie, tirent six obus et, avant même que le premier obus ne tombe au sol, ils ont déjà quitté leur position. Est-ce trop moderne ? Je ne le pense pas. L'emploi de l'artillerie en Ukraine nous révèle que nous avons le système qu'il nous faut. Le combat collaboratif est appelé à devenir une norme.

Les Griffon et les Jaguar n'ont-ils été pensés que pour des guerres expéditionnaires du type Barkhane ? Peuvent-ils faire le poids dans des combats de haute intensité ?
Le Griffon et le Jaguar ont été pensés pour équiper le segment médian de l'armée de Terre. Leur niveau de performance a été établi en 2014 dans un contexte d'emploi qui exigeait de pouvoir mener, sur un même théâtre et simultanément, des opérations de coercition, des actions de restauration de la sécurité générale et une participation à la reconstruction. Ils sont une des capacités primordiales de notre polyvalence. La guerre est un caméléon, l'évolution de la nature de nos engagements est constante. La démarche incrémentale du programme Scorpion a vocation à intégrer les enseignements des conflits successifs ainsi que les retours d'expérience acquise sur les théâtres d'opération. Le but est de s'adapter à l'évolution des menaces du champ de bataille - missiles, drones, NRBC, cybermenaces, brouillage, leurrage - par l'insertion progressive de technologies arrivées à maturité.

Pourtant, on entend de plus en plus cette musique...
... Il est très clair que ces équipements ont été conçus pour faire face à des combats de haute intensité. Ils sont d'ailleurs intégrés au combat collaboratif Scorpion qui démultiplie les effets, en particulier par le tir au-delà des vues directes. La France possède la particularité d'être aujourd'hui l'un des seuls pays occidentaux à développer un segment médian en vue d'un affrontement de haute intensité. C'est peut-être source de confusion. Certes, ce sont des capacités blindées sur roues,mais à haute mobilité. Il est vrai que de nombreux pays ont choisi de n'avoir que des capacités de combat lourdes. Le cas de l'armée russe est illustratif. Notre segment médian n'a pas vocation, bien sûr, à faire face à une concentration de blindés lourds mais la performance de ses capteurs, sa mobilité, son aptitude au tir au-delà de la vue directe, le rendent apte à la reconnaissance, à l'action de couverture, à l'exploitation. Ce sont des aptitudes au combat que nous estimons pertinentes, y compris face à des armées mécanisées. Dans l'hypothèse où une division serait constituée pour combattre un adversaire de premier rang, elle comprendrait une brigade blindée lourde, une brigade blindée médiane ainsi qu'une troisième brigade peut-être légère en vue de remplir les missions de reconnaissance. La brigade blindée médiane composée de Griffon et de Jaguar aurait sa place dans le combat pour réaliser un mouvement tournant et exploiter une percée. Aujourd'hui, l'Allemagne qui dispose d'un segment lourd et d'un segment léger, réfléchit à l'option de se doter d'un segment médian.

Dans La Tribune, l'ancienne ministre des Armées estimait que les industriels devaient apprendre à produire un peu plus vite pour répondre plus rapidement aux besoins des armées. C'est également votre souhait ?
Oui, c'est évident. Nous devons collectivement être dans le bon tempo et faire coïncider le temps industriel avec le temps opérationnel. Sur ce point, je vois deux axes. Celui de la préparation de l'avenir : il faut investir au bon niveau pour la recherche et le développement tout en restant raisonnables sur le niveau de technologie visé. Ensuite, après ce que nous appelons « le dérisquage », vient le temps de la fabrication : il faut alors s'assurer que les budgets permettront de respecter le calendrier de commandes et de livraisons dont l'armée de Terre a besoin. Même si nos équipements ont en général des cycles d'élaboration moins longs que ceux de la Marine ou de l'armée de l'Air et de l'Espace, ils restent soumis à ce temps long des investissements. Le programme Scorpion, qui accompagne la modernisation de l'armée de Terre, est le fruit d'un travail doctrinal initié il y a une dizaine d'années. L'architecture de ce programme a été pensée d'abord autour d'un système d'infovalorisation du champ de bataille, le SICS, qui s'appuie sur une connectivité rénovée pour permettre aux unités de partager en temps quasi-réel les informations les plus utiles,pour décider plus vite que l'adversaire et produire des effets ciblés. Les livraisons du programme Scorpion s'échelonneront sur période de plus de dix ans.

Sur les drones, quel est votre retour d'expérience par rapport au Haut-Karabakh et à l'Ukraine?
Il est clair que le drone est un élément qui change la donne tactique. Le constat n'est pas nouveau, nous le savions avant l'invasion russe en Ukraine et également avant le conflit du Haut-Karabakh. Les combats en Ukraine montrent que les drones restent une capacité déterminante dans le cadre d'une guerre de haute intensité y compris face à un adversaire russe qui dispose de toute la panoplie de défense sol-air, des S-400 aux bitubes de 23 mm. Les Russes essuient des pertes conséquentes causées par ces drones et des munitions télé-opérées. Récemment, des tentatives de franchissement russes ont été observées par des drones qui ont ensuite permis de régler des tirs d'artillerie. Face à l'armée russe, ce type d'armement aurait pu être rapidement limité mais nous avons la démonstration qu'il fait clairement partie de la panoplie des capacités de combat modernes. Il faut toutefois se garder de conclure que les drones sont devenus l'arme de la suprématie tactique. Des parades existent - la défense sol-air - ou se développent très rapidement - la lutte anti-drones. Les drones apportent un réel avantage tactique et nous sommes également conscients que les drones ennemis constituent une menace sérieuse impliquant le développement de systèmes de défense adaptés. Par ailleurs, les conflits récents nous rappellent la nécessité de retrouver des habitudes, perdues en raison d'un certain confort opératif : se réapproprier les mesures de camouflage élémentaires, réapprendre la dispersion ou la capacité à se battre sans disposer de la supériorité aérienne.

Et dans le Haut-Karabagh ?
Le conflit du Haut-Karabagh a montré une exploitation intelligente des drones notamment avec des attaques menées contre des systèmes d'armes à haute valeur ajoutée, y compris des systèmes de défense aérienne sol-air, même si l'adversaire n'avait qu'une profondeur opérationnelle limitée.

Quelle est votre ambition dans ce domaine ?
L'emploi des drones dans l'armée de Terre, il faut le rappeler, est ancien puisqu'il remonte à plus d'une soixantaine d'années. Ce qui est nouveau, c'est l'augmentation exponentielle de leur nombre et la grande variété de leur emploi tactique. Par conséquent, l'armée de Terre a formalisé en 2019 une « ambition drone » comprenant des objectifs concrets. Aujourd'hui il y a environ 1.000 drones en service. En 2023, 3.000 drones seront mis en œuvre, disposant d'une trame complète offrant à chaque niveau tactique - de la section au corps d'armée - un segment drone adapté à ses besoins. Les drones les plus petits (nanodrones et microdrones), sont destinés à équiper l'ensemble des unités de l'armée de Terre pour des fonctions de reconnaissance et de surveillance. Quant aux mini-drones et drones tactiques, ils seront mis en œuvre par des unités spécialisées. Avec le système de drones tactiques (SDT) dont les premiers systèmes devraient être livrés en 2022, l'armée de Terre sera une des premières armées de Terre occidentales à disposer d'un drone multicapteurs, qui sera armé.

Avez-vous décidé entre des roquettes ou des missiles ?
A ce stade, rien n'est encore décidé mais nous souhaitons disposer d'un armement qui soit le plus rapidement disponible, donc vraisemblablement une roquette adaptée. Puis nous lancerons des programmes pour des armements plus conséquents.

Estimez-vous utile pour l'armée de Terre de disposer de drones consommables ?
Nous avons déjà pris une décision relative à la préparation opérationnelle. Nous avons constaté que l'utilisation de drones intermédiaires dotés d'une caméra puissante, onéreux, entraînait un phénomène de prudence au sein de nos unités, soucieuses de ne pas les perdre ou les détériorer. Nous avons mis en place des systèmes de financement pour que les unités puissent acheter des drones consommables pour s'entraîner. Ils seront également disponibles pour être utilisés en opération le cas échéant. Évidemment, ils ne rendent pas le même service qu'un drone équipé d'une caméra thermique et d'un système de protection contre une attaque cyber. Ces drones bas-coût vont vraiment permettre de familiariser nos unités à l'emploi tactique du drone en levant l'appréhension d'une éventuelle casse ou perte.

Vous avez fait sauter un tabou !
Peut-être, même si cela demeure un effort financier pour l'armée de Terre. Les régiments bénéficieront de crédits pour en racheter chaque année.

Et sur les munitions rôdeuses ?
Si vous me le permettez, je trouve que le terme de munitions rôdeuses est impropre. Il laisse à penser qu'il s'agirait de munitions totalement autonomes capables de frapper à l'improviste et en permanence nos unités. La réalité opérationnelle est bien différente : il s'agit de munitions télé-opérées, c'est-à-dire de drones, plus ou moins lourds, dotés d'une charge explosive et opérés à distance. La guerre en Ukraine confirme un besoin déjà identifié depuis plusieurs années de compléter notre système de force avec des munitions télé-opérées. La Direction générale de l'armement (DGA) a lancé un appel à projet. Nous espérons aboutir assez rapidement à une mise en service de capacités souveraines, adaptées, sûres, et surtout, disposant d'une certification, ce qui permettra l'entraînement en métropole, actuellement impossible avec les achats sur étagère, faute de certification.

De quoi avez-vous besoin comme nouveaux armements disruptifs sur les opérations extérieures ?
La lutte anti-drone est un bon exemple. C'est une dimension pour laquelle, pour l'instant, le glaive l'emporte sur le bouclier. C'est un système primordial qui fait l'objet d'une course pour trouver le bon bouclier. Mais à l'heure actuelle, aucun pays, pas même les Etats-Unis, n'a réussi à développer l'équipement anti-drones, qui fasse réellement la différence.

Le programme Parade a été lancé...
...Oui, parmi d'autres. C'est une première brique, qui est assez adaptée à la défense de points fixes. Mais nous avons également besoin de disposer de capacités de lutte anti-drone mobiles pour assurer la sûreté des convois et de la force Scorpion en opération extérieure. Les lasers seront probablement une technologie d'avenir dans la lutte anti-drones. En attendant, nous adoptons des mesures d'adaptation réactive pour apporter au plus tôt une première réponse à nos unités déployées. Il faut vraiment renforcer le bouclier.

Et en dehors de la lutte anti-drones ?
La robotisation du champ de bataille modifiera le combat aéroterrestre. Lancée en 2021, la démarche capacitaire Vulcain a pour ambition d'imaginer et de construire progressivement la rupture robotique qui participera à la supériorité opérationnelle de la force terrestre en 2040. La phase initiale 2021-2025 de Vulcain a déjà débuté. Elle doit permettre d'identifier le besoin militaire à travers la mise en situation de matériels existants et de participer au développement d'une première capacité robotique qui équipera des unités pilotes à compter de 2025. Les unités opérationnelles dotées de systèmes automatisés sont attendues à compter de 2030. Nous observons ce qui est déjà disponible pour voir comment l'utiliser mais nous souhaitons réaliser des percées dans ce domaine. Pour illustrer cette volonté, nous organisons le challenge CoHoMa (collaboration homme machine) qui cherche à pousser dans leurs retranchements des étudiants d'écoles d'ingénieurs (Polytechnique, ENSTA...) qui construisent des drones et des robots. Avec l'aide d'industriels comme Thales et Nexter, ils sont mis à l'épreuve dans le cadre d'un scénario tactique de guerre.

Dans les programmes en coopération, on a l'impression que le programme MGCS est enlisé et que le Tigre Mark 3 ne reste qu'un demi-succès. Quel est votre sentiment ?
Ces deux programmes en coopération s'insèrent dans la démarche capacitaire TITAN qui vise à mettre en cohérence les capacités futures d'un système de forces aéroterrestre à l'horizon 2040. Il faudra à un moment donné une réelle avancée du programme MGCS, le système de char lourd du futur. Nous en aurons forcément besoin. Malgré l'ambition commune des armées de Terre française et allemande, le projet MGCS connaît des difficultés en raison des enjeux industriels qui prennent le pas sur le besoin militaire. Notre besoin reste de disposer de premiers systèmes à compter de 2035. Les points d'attention de l'armée de Terre portent sur son intégration dans le combat collaboratif, sa masse, son empreinte logistique et son coût de possession maîtrisés.

En tout cas, Thales veut rentrer dans MGCS...
Thales a une légitimité très forte. C'est un sujet actuellement à l'étude.

Les Allemands sont très réticents sur ce schéma. Voyez-vous une issue positive ?
Les études suivent leur cours, le programme jouit d'un intérêt politique renouvelé, les deux parties travaillent à surmonter les difficultés. Il faut faire preuve de patience et de confiance !

Est-ce irréalisable ?
Nous disposons encore de temps car nous débutons la rénovation du char Leclerc. Intégré à la bulle Scorpion, le Leclerc rénové nous permet d'attendre le MGCS. L'horizon 2035 est partagé avec l'Allemagne. De plus, le contrat d'étude d'architecture est prolongé. Le contexte est donc favorable pour avancer sur la base d'objectifs convergents.

Êtes-vous confiant dans le développement de la radio logicielle Contact, qui provoque quelques inquiétudes ?
La radio logicielle Contact va constituer un vrai saut technologique, son développement est impératif. Il est primordial qu'il soit mené à bien. L'enjeu calendaire est important : en 2023, nous avons besoin de faire la démonstration que nous sommes capables de rendre opérationnelle une brigade qui combinera des moyens d'ancienne et de nouvelle génération. Cette coexistence sera une des réalités du quotidien pour l'armée de Terre pendant de nombreuses années dès le début de l'année 2024. Ce sera le cas entre les Griffon et les VAB, les Jaguars et les AMX-10RC, les VBAE et les VBL...C'est donc avant tout un enjeu opérationnel. Une partie très importante de cette coexistence concerne les postes radio d'ancienne génération PR4G et les nouveaux Contact. Contact est l'élément clé, j'allais dire, la brique de Lego permettant de construire cette coexistence. A ce stade, je suis confiant pour qu'en 2023, Thales et Atos soient au rendez-vous pour nous proposer une solution. Est-ce que cette solution sera déjà la solution dans sa forme définitive ? Je ne sais pas. Elle sera en tout cas une première étape, dont l'importance est indéniable.

Le programme de camions logistiques a enfin été lancé. Craignez-vous des ruptures temporaires de capacités ?
La ministre a effectivement signé le lancement du programme PL 4/6 tonnes. Cette signature est une première étape, concernant les camions citernes. Une capacité sur laquelle pèse le risque d'une rupture temporaire de capacité si jamais nous ne renouvelions pas ce parc rapidement.

Estimez-vous que l'armée de Terre a un déficit en matière de défense sol-air?
Oui. La défense sol-air basse couche, qui s'inscrit également dans la démarche capacitaire TITAN, est une capacité que nous avions l'intention d'acquérir plus tard dans notre plan de programmation. Avec les retours d'expérience d'Ukraine mais aussi du Yémen et du Haut-Karabakh, nous devons mettre cette problématique - de la lutte anti-drones à la lutte contre les missiles et les hélicoptères - sur le dessus de la pile. Notamment en disposant d'une capacité blindée mobile d'accompagnement de la force, en modernisant la façon de véhiculer le système Mistral qui est aujourd'hui sur des camions. En outre, les radars et le contrôle de ces systèmes - le couplage avec les fameux systèmes de lutte anti drones - doivent être développés.

Avez-vous des certitudes sur une réévaluation de vos moyens ?
L'armée de Terre porte ce besoin depuis plusieurs années. La prochaine loi de programmation militaire sera l'occasion de concrétiser cette réévaluation. Les évolutions récentes du contexte stratégique ont considérablement renforcé l'intérêt d'une telle capacité. Je suis confiant.

Pour mener une guerre de haute intensité, l'armée française n'a pas énormément, comme l'ont bien décrit plusieurs rapports parlementaires, de stocks de munitions ou de pièces de rechange. Le Maintien en condition opérationnelle (MCO) n'est pas toujours au niveau de ce que vous aimeriez avoir. Quels sont les axes d'amélioration pour atteindre une résilience dans une guerre de haute intensité ?
Sur notre modèle d'armée, nous souhaitons rester une nation-cadre mais nous n'imaginons pas partir seul en guerre mais en coalition, en additionnant notre masse à celle de nos alliés et partenaires. Mais si nous voulons être une nation-cadre, il faut que nous apportions un certain nombre de capacités. C'est pour cela que depuis l'année 2019, les deux lois de programmation visent cette ambition opérationnelle à horizon 2030. C'est donc vraiment sur la durée que nous mettrons à niveau les stocks de munitions ainsi que le MCO, qui traduit concrètement le niveau de notre activité. Nous avons fait le choix de construire de manière progressive et le respect des trois marches budgétaires à venir fixées à 3 milliards d'euros sera décisif pour maintenir le rythme de la transformation de nos capacités. A titre d'exemple, 10% des livraisons du programme Scorpion ont été réalisées en 2021, 18 % le seront fin 2022 et 45 % en 2025 et l'effort se poursuivra au-delà. L'enjeu est d'éviter de prolonger indéfiniment la période de transition qui voit coexister deux générations d'équipements.

Avec la guerre en Ukraine, que souhaitez-vous changer par rapport à la programmation initiale ?
Nous avons peut-être trop mis la priorité initiale sur la constitution du squelette et pas assez sur le muscle. Or, ce que nous dit cette guerre, c'est que nous devons nous préparer et être prêts à partir demain matin. Il faut donc trouver un nouvel équilibre entre les investissements dans les capacités et les investissements pour développer nos muscles. Nous devons « acquérir » davantage de muscles pour être pleinement et immédiatement opérationnels. Cela passe par l'achat de lots de déploiement initiaux, de pièces de rechange, de munitions et de carburant pour pouvoir tenir nos engagements opérationnels tout en atteignant les objectifs de préparation opérationnelle annuels. Nous avons probablement des ajustements à apporter. Sur le plan capacitaire, j'ai le sentiment que nous avons visé juste compte tenu de ce que nous pouvons observer des combats en Ukraine.

Mais quand on regarde ce qui se passe dans le conflit ukrainien pour les blindés russes et qu'on compte les Leclerc, on se pose des questions...
...Nous ne faisons pas le même emploi de nos Leclerc que les Russes de leurs T-72. Il ne faut ni minimiser, ni surestimer la force de l'armée russe dans ce conflit. Il ne faut pas non plus minimiser l'armée ukrainienne, qui est une armée très forte. Son effectif est environ deux fois celui de l'armée de Terre française en hommes, elle possède dix fois plus de canons d'artillerie que nous et quatre fois plus de chars. Mais si un Leclerc ne vaut peut-être pas trois T-72, nous avons une force qui est non négligeable. De plus, nous sommes probablement une des armées de Terre les plus réactives d'Europe et des plus opérationnelles. Pour en revenir au sujet des chars, nous avons été quelque peu sidérés de la manière dont les Russes emploient leurs capacités face à l'Ukraine. Jamais vous ne verrez des colonnes de Leclerc les uns derrière les autres sur un axe ou se préparant à franchir un pont. Jamais. Les Russes ont perdu des dizaines d'engins blindés et de chars sur de simples erreurs tactiques. Nous ne devons pas les faire.

Qu'est-ce qui vous a le plus surpris de la part des Russes dans ce conflit ?
L'emploi des hélicoptères. Comme les Américains, les Britanniques et les Israéliens, nous considérons que les hélicoptères doivent intervenir de nuit et être très près du sol pour échapper aux tirs sol-air de très courte portée. Ce n'est pas le cas des hélicoptères russes qui ont été employés dans les premiers jours du conflit à des altitudes de 50/60 mètres, ce qui laisse penser que les Russes n'avaient pas de capacités de pénétration en vol de nuit.

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Commentaires 8
à écrit le 14/06/2022 à 21:28
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Bonjour, Si s'est l'inflation qui m'inquiète sa vas.... La faiblesse de nos armée ? Le petit d'effectifs de combattants.... Le matériel blindé qui a entre 30 a 40 ans ( Leclerc et x10rc ) La difficulté de modernisation de nos matériels... Fa...

à écrit le 13/06/2022 à 13:53
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Les voyous de la ponction publique vont se gaver toujours plus sur le dos des agricultures. Si ils se planquent derriere les civils comme le font les ukrainiens, on pourra dire qu on aura des ponctionnaires assassins

à écrit le 12/06/2022 à 14:40
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Bonjour , L'inflation...MDR La bonne questions est de savoir quel est le plan en cas de dégradations politique et militaire en Ukraine.... Maintenant que la conscription n'est plus en cours , quel est la situation en cas de guerres total.. Puisq...

à écrit le 12/06/2022 à 9:28
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Il est permis de s'étonner du retard pris dans la lutte anti-drônes, Ensuite si nous souhaitons orienter la France vers un entrainement aux hautes intensités il serait sage de se poser la question d'une conscription disons partielle mais d'un niveau ...

le 12/06/2022 à 14:46
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La conscription est terminée. Vous voulez quoi avec cette idée de retour de la conscription, faire entrer dans nos casernes les dealers de cannabis qui ont déjà tant fait de mal dans les dernières années du service militaire !!!!!

le 12/06/2022 à 16:16
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Cher Calamard: Je trouve simplement désolant que nos grandes et même petites autorités qui décident de la dette et de la guerre ne tirent pas un seul coup de vrai fusil durant toute leur vie? Les Russes démontrent au quotidien que la guerre technolog...

à écrit le 12/06/2022 à 9:01
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Voilà un bon article par quelqu'un qui connait son sujet. Une phrase importante à retenir : "Il n'y a pas de défense solide et durable pour un pays si elle n'est pas adossée à une industrie nationale compétitive." Ainsi, tout ce qui nuit à l'in...

le 13/06/2022 à 11:06
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dans etc... puis-je placer 7. l'absence de volonté à la guerre de la population française ?

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