Ministère des Armées : les cinq défis capitaux de Sébastien Lecornu

Florence Parly a su rassurer tout au long du premier mandat d'Emmanuel Macron les militaires sur sa volonté de remettre à niveau les armées après des années de vaches maigres. Le nouveau ministre des Armées Sébastien Lecornu sera-t-il dans cette continuité ?
Michel Cabirol
La dégradation des finances publiques française pourrait amener l'exécutif à faire des des arbitrages difficiles avec d'autres dépenses publiques.
La dégradation des finances publiques française pourrait amener l'exécutif à faire des des arbitrages difficiles avec d'autres dépenses publiques. (Crédits : PASCAL ROSSIGNOL)

L'alignement des planètes avaient permis à Florence Parly de relancer une très belle dynamique budgétaire en faveur des militaires. La ministre des Armées avait ainsi pu bâtir une loi de programmation militaire (LPM) de réparation, voire de préparation de l'avenir. Elle avait également bénéficié d'une très belle fenêtre pour gagner de nombreux contrats à l'exportation cruciaux pour l'industrie de défense tricolore, notamment pour la filière aéronautique, et permettant de ne pas mettre en danger les objectifs de la LPM. Le nouveau ministre des Armées, Sébastien Lecornu, qui lorgnait vraiment l'Hôtel de Brienne, bénéficiera-t-il du même alignement des planètes ? Des menaces pèsent sur la poursuite de cette belle trajectoire même si Emmanuel Macron, en tant que chef des armées, a jusqu'ici envoyé des signaux positifs aux armées.

1/ Confirmer la trajectoire financière de la LPM

Emmanuel Macron s'est engagé à respecter les trois marches à trois milliards d'euros entre 2023 et 2025. Ce qui permettra au budget des armées d'atteindre 50 milliards d'euros conformément à la LPM 2019-2025. Après 2025, le candidat Macron s'en remet d'abord à l'élaboration d'une revue stratégique plutôt que d'un livre blanc avant de définir un éventuel nouveau pallier budgétaire. Mais comme l'a souligné la Cour des comptes, la dégradation des finances publiques française pourrait amener l'exécutif à faire des choix. Très clairement, confirmer les ambitions de la LPM nécessitera des arbitrages difficiles avec d'autres dépenses publiques pour que la France parvienne à tenir son engagement de réduire son déficit à 3% du PIB d'ici à 2027. Premier signal important pour Sébastien Lecornu : récupérer les 300 millions d'euros coupés dans le budget des Armées. Une réduction soi-disant "temporaire", selon les équipes de Florence Parly qui avaient assuré que ces crédits budgétaires déjà gelés seraient "récupérés" lors de la prochaine loi de finances rectificative prévue en juillet.

Deuxième scénario, faire le choix de rééquilibrages majeurs, comme ceux par exemple réalisés par le Royaume-Uni en 2021, au détriment de ses forces terrestres notamment. Ce dernier scénario serait vécu comme la fin du modèle de l'armée française. Soit la fin du modèle d'armée complète même si les capacités de l'armée restent extrêmement "échantillonnaires" dans beaucoup de domaines. Surtout l'ambition de la France devrait être revue à la baisse au moment où le monde se durcit (Ukraine, mer de Chine) et au moment où l'Allemagne investit fortement dans ses capacités. Ce qui serait une passation de témoin entre Paris et Berlin, qui prendrait le leadership dans le domaine de la défense. Avec les risques que cela comporte pour la souveraineté de la France.

2/ Gagner des contrats à l'export

Après deux années exceptionnelles (2021 et 2022), il sera difficile, voire impossible, à Sébastien Lecornu de faire mieux que Florence Parly. D'autant que "les performances à l'exportation ont été excellentes pendant ces cinq ans. La prise de commande est de 65 milliards sur la période", avait-elle expliqué à La Tribune. Pour autant, et à condition de mouiller la chemise, il reste encore des prospects solides et sérieux à faire aboutir. Mais de la même ampleur que ceux récemment obtenus par l'équipe France, dont les contrats Rafale aux Émirats Arabes Unis et en Égypte, ou frégates FDI en Grèce.

Il n'empêche, il n'y a pas de petits contrats, il n'y a que des contrats qui font vivre une des industries de défense les plus performantes en Europe. Sébastien Lecornu devra même se bagarrer pour sécuriser le contrat Rafale en Indonésie (42 appareils), de plus en plus incertain, selon des sources concordantes, et pour gagner le prospect de corvettes en Grèce en raison de l'imbroglio juridique du chantier naval Hellenic Shipyard, dont la propriété est revendiquée par le milliardaire Iskandar Safa.

3/ Relancer la dynamique des coopérations

La coopération européenne sera l'un des gros chantiers du nouveau ministre des Armées. En cinq ans, les résultats obtenus ont été maigres. Très maigres. Pourtant, la France a été très volontaire. Les coopérations lancées avec l'Allemagne par Emmanuel Macron et Angela Merkel lors du sommet franco-allemand en juillet 2017 laissaient pourtant augurer de bien meilleurs résultats : SCAF (Système de combat aérien du futur), MGCS (Main Ground Combat Systems ou char du futur), MAWS (avion de patrouille maritime), Eurodrone (drone MALE européen) et modernisation du Tigre Mark 3 avec son nouveau missile sol-air. C'est également vrai avec la Grande-Bretagne (missiles de croisière) et avec l'Italie (naval).

A ce jour, seul le contrat de lancement de l'Eurodrone a été notifié par l'OCCAR. Mais tout le monde se gausse de cet objet non identifié, notamment au sein des armées françaises, qui arrive trop tardivement et sans être disruptif. Si des négociations inextricables se poursuivent sur le SCAF et le MGCS, l'Allemagne semble vouloir descendre de MAWS et du Tigre Mark 3. Un an après le conseil franco-allemand, elle avait déjà quitté sans état d'âme en 2018 le programme missile air-sol Mast-F au profit de la germanisation du missile Spike par Diehl.

Avec la Grande-Bretagne, la France voulait lancer une nouvelle génération de missiles de croisière pour remplacer les missiles SCALP/Storm Shadow et Exocet/Harpoon par le programme FMAN/FMC. Mais le contexte politique (Brexit, Aukus, pêcheurs) entre la France et la Grande-Bretagne n'a pas permis de poursuivre cette coopération. Elle est au point mort. Enfin, avec l'Italie, la France souhaitait une alliance d'envergure dans les bâtiments de surface avec l'Italie, soit entre Naval Group et Fincantieri. Français et Italiens ont dû revoir leurs ambitions à la baisse et ont finalement créé une entreprise commune Naviris. 'C'est la communauté réduite aux acquêts", a estimé Florence Parly.

Tel un missionnaire, le nouveau ministre devra relancer toutes ces coopérations tout en ne négligeant surtout pas de défendre les intérêts des industriels français face aux appétits de leurs rivaux européens toujours prêts à monter en compétence dans des domaines où ils ne sont pas les meilleurs. Ainsi, la notion de "Best Athlete" doit rester le principe cardinal de la coopération même s'il a déjà beaucoup été écorné.

4/ Gagner la bataille de la taxonomie

Le dossier de la taxonomie est à surveiller comme le lait sur le feu tant il peut être mortifère pour l'industrie de défense. Sans financement, elle devra rendre les armes et la France achètera aux Etats-Unis ou ailleurs ses équipements de défense avec les limites d'emploi exigées par le vendeur. En dépit de la guerre en Ukraine, qui a vu resurgir la guerre en Europe, rien n'est véritablement réglé à la Commission européenne. "Est-ce que la défense peut être considérée comme une activité non soutenable ? C'est une absurdité puisque c'est la survie de la nation qui est en question", affirmait récemment dans La Tribune Florence Parly. Elle appelait à "une vigilance de tous les instants". Car, selon elle, "on voit bien que ceux qui sont à la manœuvre n'ont pas renoncé. Cela veut dire que le combat n'est pas terminé".

Au-delà d'une réglementation à venir, ce sont les pratiques du système bancaire, qui posent déjà des problèmes à l'industrie de la défense européenne. "Ce qui est assez vicieux, c'est qu'on lutte à la fois contre des pratiques et contre des règles, souligne-t-on d'ailleurs à Paris. Dans le domaine de la finance, il y a des pratiques qui se sont établies sans nécessairement qu'il y ait des règles mises en place. Et ce qui est terrible, c'est que les règles veulent maintenant inscrire dans le droit ces pratiques". Résultat, il n'est déjà pas facile de lutter contre les pratiques pour les industriels impactés, et a fortiori si les projets de règlement visent à donner un fondement à ces pratiques. La filière bancaire est pour l'instant divisée en France. Mais le projet de taxonomie européenne s'il était adopté en l'état pourrait sonner le glas de l'industrie de défense, et de la souveraineté de la France en matière d'armement.

5/ Guerre de haute intensité : mettre à niveau les armées

Le constat est terrible aujourd'hui encore en dépit d'une hausse du budget depuis cinq ans. L'armée française est devenue au fil du temps et des coupes budgétaires une armée avec des moyens échantillonnaires même si elle couvre encore pratiquement l'ensemble du spectre opérationnel. Trop peu de matériels pour tenir une guerre de haute intensité dans la durée.Trop peu de munitions. Trop peu de tout. "C'est vrai de dire que les munitions ont été l'une des variables d'ajustement au cours des 25 dernières années, constatait la ministre des Armées dans un entretien accordé à La Tribune. Il y a une question de moyens sans doute mais aussi une question de pondération entre les différents types de munitions. Il y a aussi la capacité des industriels à répondre à nos besoins". En outre, les stratèges du ministère de la défense ont dû faire l'impasse dans leurs arbitrages dans les années 2000 sur le haut du spectre de la guerre à haute intensité (chars lourds, artillerie...)

Ce défi est lié aux moyens alloués au ministère des Armées. Car ce modèle dit "échantillonnaire" reste une chance. "S'il peut être qualifié sans conteste d'échantillonnaire, le bonsaï français est prêt à croître à tout instant dans la direction voulue par les autorités politiques, fait unique en Europe, et il confère à la France une capacité à jouer un rôle déterminant dans des coalitions aux côtés de ses alliés", avaient estimé les députés Jean-Louis Thiériot et Patricia Mirallès dans un récent rapport portant sur "la préparation de nos armées et de notre pays à la guerre de haute intensité". A Sébastien Lecornu de mettre à niveau les armées françaises pour qu'elles soient prêtes à mener une guerre de haute intensité, vraisemblablement en coalition. Tout en investissant le plus possible dans l'innovation, qui sera également un paramètre disruptif pour gagner la guerre avant la guerre...

Michel Cabirol

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Commentaires 9
à écrit le 23/05/2022 à 20:22
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Bonjour Sa commence bien, ils faut régler le petit bp des 2 rafales avec un accrochage... . mais tout vas bien...

à écrit le 23/05/2022 à 14:09
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Il faut faire table rase des OpEx dont la barkhane et investir dans des nouveaux programmes porteurs pour notre industrie.

le 23/05/2022 à 20:39
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Bonjour, s'est surtout a nos industries de produits quelque chose d'un prix concurrentiel et surtout utiles sur un champs de bataille.... Nous avons un maximum de projets invendable... bien sûr ils ne faut pas le dire...

à écrit le 23/05/2022 à 9:16
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Etrange cette politique de toujours plein d'argent où il en faut pas en priorité. Pourquoi ne pas réformer le statut des personnels des armées pour qu'il travaille en étant heureux plutôt que de quitter en masse les institutions?...

le 23/05/2022 à 10:36
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Il n y aurait pas beaucoup de volontaires mais surtout de compétences … les salaires ne sont pas au niveau du privé a compétence égale… et l état n a pas de volet financier pour augmenter les salaires … d ailleurs une hémorragie de talents commence à...

le 23/05/2022 à 10:38
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Il n y aurait pas beaucoup de volontaires mais surtout de compétences … les salaires ne sont pas au niveau du privé a compétence égale… et l état n a pas de volet financier pour augmenter les salaires … d ailleurs une hémorragie de talents commence à...

à écrit le 23/05/2022 à 9:01
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Il sort d'où se brave homme..

le 23/05/2022 à 10:23
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souvenez vous il a été dans le viseur de la justice pour conflit d intérêt. ( dans la presse ) sans suite probablement ,?

à écrit le 23/05/2022 à 8:31
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C'est pas ce monsieur qui c'étaient si bien occupé des Dom-Tom? On cherche a tout prix des saboteurs?

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