Armées : la Cour des comptes propose de réduire la voilure dans un contexte budgétaire contraint

Dans son rapport sur l'effort budgétaire en faveur de la défense, la Cour des comptes ne croit pas à la réalisation d'Ambition 2030 du ministère des Armées en raison de la dégradation des finances publiques. Attirée par le modèle britannique, elle demande au ministère des Armées de faire des choix stratégiques dans ses priorités, y compris dans le domaine de la dissuasion nucléaire.
Michel Cabirol
La poursuite de l'augmentation du budget de la défense constitue un défi majeur dans un contexte de finances publiques affaiblies par les conséquences de la crise sanitaire et contraintes par l'engagement de ramener le déficit public à 3 % du PIB d'ici à 2027, estime la Cour des Comptes.
La poursuite de l'augmentation du budget de la défense "constitue un défi majeur dans un contexte de finances publiques affaiblies par les conséquences de la crise sanitaire et contraintes par l'engagement de ramener le déficit public à 3 % du PIB d'ici à 2027", estime la Cour des Comptes. (Crédits : POOL)

La cour des comptes va-t-elle revoir sa copie sur son rapport "La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 et les capacités des armées", dont la présentation était prévue le 2 mars et a été reportée ? C'est possible. Car la guerre en Ukraine a probablement balayé certaines convictions des rapporteurs, qui ont eu la tentation habituelle de confronter les ambitions des armées (Ambition 2030) au seul strict point de vue des finances publiques. Toutefois l'invasion de l'Ukraine par la Russie pourrait faire fléchir l'orthodoxie budgétaire de la Cour des comptes. Dans une copie du rapport obtenue par La Tribune, elle constate par ailleurs une exécution budgétaire des premières années (2019-2021) de la loi de programmation militaire 2019-2025 "globalement conforme à la programmation" et ce "contrairement à ce qui s'était produit depuis deux décennies pour les précédentes lois de programmation militaire" (LPM).

Un effort qui se heurte aux limites budgétaires

La Cour des comptes a jusqu'ici de très grands doutes sur la poursuite de cet effort budgétaire pour les armées entre 2024 et 2025, puis lors de la prochaine LPM, qui doit emmener les armées au modèle "Ambition 2030". Pourquoi ces doutes, qui sont d'ailleurs légitimes d'un point de vue strictement budgétaire ? La Cour estime que "la remontée en puissance de l'outil de défense prévue par la loi de programmation militaire LPM 2019-2025 se heurte à la conjonction de deux évolutions défavorables. D'une part, les finances publiques se sont dégradées sous l'effet de la crise sanitaire, imposant un effort de réduction du déficit public d'ici à 2027 qui peut contrarier la poursuite d'une forte croissance des budgets de défense. D'autre part, l'accélération et la diversification de la montée des menaces mises en évidence par l'Actualisation stratégique de 2021 tendent parallèlement à augmenter les besoins en matière de défense".

"Dans la mesure où le budget du ministère des armées en 2021 représente 10,5 % de celui de l'État hors charge de la dette, le contexte de finances publiques s'accorde mal avec les objectifs d'augmentation en volume visant à réaliser l'ensemble des ambitions décrites par la LPM, sauf à orienter une partie plus importante des ressources destinées à la relance de l'économie vers l'effort de défense. Cette orientation n'a pas à ce stade été retenue par le gouvernement", constate la Cour.

Résultat, la LPM 2019-2025, qui a été construite sur l'hypothèse d'un budget de 47 milliards d'euros en 2024, puis de 50 milliards en 2025, "ne pourra pas être inscrite sans grandes difficultés dans le contexte du nécessaire redressement d'ensemble des finances publiques", assure la Cour. Pour autant, elle cherche des marges de manoeuvre, qui sont minces. "Les marges de manœuvre du ministère des armées sont limitées, surtout après plus d'une décennie d'importantes réformes structurelles. Dans ce contexte, il n'est pas exclu qu'il soit nécessaire de rouvrir une réflexion sur le modèle d'armée", souligne-t-elle.

Une ligne de front qui risque d'être difficile à tenir avec la guerre en Ukraine, qui balaie un grand nombre d'hypothèses très rationnelles sur le papier. Avec la décision de Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine, il y a un avant et un après. Et cette situation internationale instable n'est certainement qu'au début d'un cycle, qui ne permettra pas à la France de baisser les armes. D'autant que l'Allemagne va porter son effort budgétaire pour son armée à 100 milliards d'euros dès 2022.

Trois scénarios insatisfaisants

Dans les trois scénarios, qui ne sont pas satisfaisants, la Cour cherche les fameuses marges de manœuvre budgétaires. Le premier est celui de la confirmation de l'Ambition 2030, qui est le scénario de référence du ministère des armées. Il suppose la poursuite de l'augmentation du budget de la défense. "Cela constitue un défi majeur dans un contexte de finances publiques affaiblies par les conséquences de la crise sanitaire et contraintes par l'engagement de ramener le déficit public à 3 % du PIB d'ici à 2027", affirme la Cour. Le deuxième est celui de la réduction homothétique des capacités des armées et des ambitions. "Ce choix avait été retenu par défaut en 2008 et en 2013, non sans dommage pour les capacités des armées ; il risquerait aujourd'hui de mettre à mal la cohérence du modèle", estime la Cour.

Le troisième consiste, selon la Cour, "à faire des choix capacitaires, comportant des renoncements probablement irréversibles, ce qu'a commencé à effectuer le Royaume-Uni dans sa révision stratégique en 2021". Cette option semble avoir la préférence des Sages de rue Cambon. Mais cette hypothèse risque de faire hurler les armées, notamment l'armée de terre sacrifiée, qui a pourtant été beaucoup sollicitée par les politiques sur tous les théâtres d'opérations, et l'armée de l'air. Mais aussi les industriels, comme le note la Cour : "sur les capacités industrielles, il faudrait assumer des renoncements durables à certaines compétences difficiles à reconstituer une fois perdues". Last but the least, la Cour semble vouloir mettre en débat le modèle de la dissuasion nucléaire française. La Grande-Bretagne a renoncé à la fin des années 1990 à la composante aérienne de la dissuasion.

"Notre modèle d'armées met en son centre une capacité de dissuasion à deux composantes, dont des éléments essentiels devront être renouvelés simultanément dans les deux décennies à venir : réaliser des choix drastiques en les laissant à l'écart risquerait de faire peser l'effort de façon disproportionnée sur la force terrestre, qui a été, en pratique, la plus sollicitée en opérations depuis la fin de la guerre froide".

Un tel scénario remettrait en cause le modèle d'armée complet défini jusqu'ici par la France. Un modèle qui implique de doter les armées françaises de l'ensemble des capacité militaires nécessaires pour remplir toutes les missions, qui leur sont allouées au titre des cinq fonctions stratégiques de la défense : la connaissance/anticipation, la prévention des conflits, la dissuasion nucléaire, l'intervention et la protection du territoire et des populations, afin de « préserver l'autonomie stratégique de notre pays »

Michel Cabirol

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Commentaires 29
à écrit le 27/03/2022 à 19:06
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Macron n'a jamais aimé les militaires qu'il se rassure la réciproque est vrai. Le jour ou le pays aura besoin de nous nous ferons comme les Français le minimum syndicale.

à écrit le 14/03/2022 à 9:38
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Aujourd'hui la situation mondiale en termes de géopolitique nous montre une fois de plus que la cour des comptes est aveugle et sourde. Pour être respecté, il faut être fort (commercialement, techniquement, militairement). 20 ans de dépenses sociale...

à écrit le 13/03/2022 à 19:02
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Ce n est quand même pas la cour des comptes qui va faire la politique de défense de la France. Moscovici fait en permance la leçon au gouvernement Macron sur ses dépenses, quand on se rappelle la gestion des finances sous François Hollande, dont il...

à écrit le 13/03/2022 à 12:32
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Après BHL notre président s'entretient désormais avec Chubbakka d'après la photo.

à écrit le 13/03/2022 à 9:38
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Bonjour La France a suspendue la conscription, pour des raisons électorale.... 25 ans après , nous n'avons pas les moyens d'entretenir une armée de métier.... ensuite en cas de danger a l'est , nous n'avons personne d'instruire militairement pour n...

le 13/03/2022 à 12:09
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L'argent ne c'est pas perdue , elles est passée dans d'autres poches .

à écrit le 12/03/2022 à 22:30
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combien le coût de l’immigration?

le 21/03/2022 à 13:25
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Bonjour, Une très bonne question ? La France est un pays d'accueil depuis 30ans ... Depuis les années 1970 , nous perdons des places dans les pays industrialisés et riche... Coïncidence ou cause a effets.

à écrit le 12/03/2022 à 12:54
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Supprimer la CAF et certaines aides qui ne servent qu'a entenir une masse de refouler du boulot ! avec cet argent nous rebatissons notre défense auniveau atteint fin des années 60 . A il y aura moins de voiures étrangères neuves au bas des immeubles ...

à écrit le 12/03/2022 à 10:30
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"la Cour des comptes...Attirée par le modèle britannique": mais, au meme moment, en Grande Bretagne, de nombreuses voix s'élèvent, dont de parlementaires, pour dire que les forces armées britanniques sont devenus trop faibles à la suite des multiples...

à écrit le 12/03/2022 à 10:03
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Si l'argent avait servit et mis au bon endroit les armées seraient pas aujourdhui dans cet état. Supprimer un max de sous officier était la pire chose a faire surtout n gardant les officiers.

à écrit le 12/03/2022 à 10:02
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Certes, il faut se poser des questions et même sur la dissuasion cependant les guerres modernes reposent sur deux facteurs: l'interdiction et le combat. L'interdiction doit reposer sur un niveau suffisant d'armes et de munition pour infliger des pert...

à écrit le 12/03/2022 à 7:11
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La soupe doit etre bonne. Taper sur le web la question combien de generaux en active et vous pouvez voir les effectifs. Nombre d'entre eux en double, triple voire davantage. Bref la republique est bonne fille, elle regale a tout va, et c'est comme ca...

le 12/03/2022 à 9:56
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"combien de generaux en active" Sans oublier les inactifs : On apprend en effet, d’après une note interne et confidentielle du ministère de la Défense, que l’armée française possède des généraux dits de « la deuxième section », laquelle a été c...

à écrit le 11/03/2022 à 21:00
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Le service militaire je l'ai fait. D'un point de vue militaire c'est une ânerie. Quand on a pas les moyens de se payer plus de 200 chars Leclerc ça ne sert à rien de former tous les ans 200 pilotes et 200 tireurs appelés puisqu'en cas de mobilisation...

à écrit le 11/03/2022 à 19:05
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Il ne fallait pas supprimer le service militaire : l'armée avait tout un personnel d'appelés qui ne coûtait pas cher. Bien formés par des soldats de métiers consciencieux, et plutôt motivés, par dessus le marché, autant que je me souvienne. Qu'est...

à écrit le 11/03/2022 à 18:57
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ben ouais, mettre sur Kadafi, parce que c'est plus un copain, mettre sur les maliens, par un gros qui trouve qu'il a pas fait assez la guerre, tout ça a un coup. Le problème vient de ces députés qui ne font pas le "garde fou" mais sont juste là pou...

à écrit le 11/03/2022 à 18:20
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Invitons Poutine à Paris le problème est résolu...

à écrit le 11/03/2022 à 18:10
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Bonjour, Bon ils est claire qu'une armée de métier sa conte chère... Et en plus le corps des officiers est important .. Donc avons nous les moyens de notre politique d' intervention hors métropole .... Le budget tout juste 2% ne suffit plus ... ...

à écrit le 11/03/2022 à 16:19
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50 milliards € ça nous coûte par an et en France l'armée. Pour 50 milliards cela représente le matos et 270.000 personnes dont 200.000 militaires. On se dit alors que 200.000 militaires c'est pas mal.. oui.. MAIS... sauf qu'avec tout ceci, cela ne p...

le 11/03/2022 à 17:48
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Vous avez parfaitement raison ! Désarmons complètement et faisons de la France un pays sans armée. L’exemple français sera suivi par le monde et la paix perpétuelle que l’Homme espère de ses vœux depuis des millénaires deviendra une réalité. A moins...

le 12/03/2022 à 10:05
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50 milliards c'est aussi le service de notre dette, il me semble..

à écrit le 11/03/2022 à 14:16
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De brillants visionnaires ! Imaginez que les magistrats de la cour des comptes, en grande partie issus du corps de l'inspection des finances, passent pour l'élite de l'élite des grands corps de l'Etat. Méditons un instant sur cette affirmation.

à écrit le 11/03/2022 à 13:57
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Je préconise une enquête de sécurité sur les auteurs de ce rapport. Quels sont leurs liens avec la Chine, la Russie, les Etats-Unis ?

à écrit le 11/03/2022 à 13:57
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Je préconise une enquête de sécurité sur les auteurs de ce rapport. Quels sont leurs liens avec la Chine, la Russie, les Etats-Unis ?

à écrit le 11/03/2022 à 13:51
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Pauvre Cour des Comptes, complètement à la ramasse...

à écrit le 11/03/2022 à 13:14
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Ah la cour des comptes et ses recommandations, tout un poème. Cette dernière rappelle le Pierre Laval des années 30, président du conseil, qui déclarait que la France n'avait pas les moyens financiers de réarmer contre l'Allemagne ...

le 13/03/2022 à 9:41
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Ils faut pas le dire, mais notre armée de métier nous coûte très très chère... Pour même pas 100 000 homme et femme dans l'armée de terre ...( Rien quoi )

à écrit le 11/03/2022 à 13:02
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15 ans d'effondrement exponentiel et j'insiste sur le mot exponentiel, de notre économie tandis que nos dirigeants ne font que défausser leurs responsabilités et qu'ils refusent toute entrée d'argent frais sous toutes ses formes dans les caisses pub...

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