La cour des comptes va-t-elle revoir sa copie sur son rapport "La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 et les capacités des armées", dont la présentation était prévue le 2 mars et a été reportée ? C'est possible. Car la guerre en Ukraine a probablement balayé certaines convictions des rapporteurs, qui ont eu la tentation habituelle de confronter les ambitions des armées (Ambition 2030) au seul strict point de vue des finances publiques. Toutefois l'invasion de l'Ukraine par la Russie pourrait faire fléchir l'orthodoxie budgétaire de la Cour des comptes. Dans une copie du rapport obtenue par La Tribune, elle constate par ailleurs une exécution budgétaire des premières années (2019-2021) de la loi de programmation militaire 2019-2025 "globalement conforme à la programmation" et ce "contrairement à ce qui s'était produit depuis deux décennies pour les précédentes lois de programmation militaire" (LPM).
Un effort qui se heurte aux limites budgétaires
La Cour des comptes a jusqu'ici de très grands doutes sur la poursuite de cet effort budgétaire pour les armées entre 2024 et 2025, puis lors de la prochaine LPM, qui doit emmener les armées au modèle "Ambition 2030". Pourquoi ces doutes, qui sont d'ailleurs légitimes d'un point de vue strictement budgétaire ? La Cour estime que "la remontée en puissance de l'outil de défense prévue par la loi de programmation militaire LPM 2019-2025 se heurte à la conjonction de deux évolutions défavorables. D'une part, les finances publiques se sont dégradées sous l'effet de la crise sanitaire, imposant un effort de réduction du déficit public d'ici à 2027 qui peut contrarier la poursuite d'une forte croissance des budgets de défense. D'autre part, l'accélération et la diversification de la montée des menaces mises en évidence par l'Actualisation stratégique de 2021 tendent parallèlement à augmenter les besoins en matière de défense".
"Dans la mesure où le budget du ministère des armées en 2021 représente 10,5 % de celui de l'État hors charge de la dette, le contexte de finances publiques s'accorde mal avec les objectifs d'augmentation en volume visant à réaliser l'ensemble des ambitions décrites par la LPM, sauf à orienter une partie plus importante des ressources destinées à la relance de l'économie vers l'effort de défense. Cette orientation n'a pas à ce stade été retenue par le gouvernement", constate la Cour.
Résultat, la LPM 2019-2025, qui a été construite sur l'hypothèse d'un budget de 47 milliards d'euros en 2024, puis de 50 milliards en 2025, "ne pourra pas être inscrite sans grandes difficultés dans le contexte du nécessaire redressement d'ensemble des finances publiques", assure la Cour. Pour autant, elle cherche des marges de manoeuvre, qui sont minces. "Les marges de manœuvre du ministère des armées sont limitées, surtout après plus d'une décennie d'importantes réformes structurelles. Dans ce contexte, il n'est pas exclu qu'il soit nécessaire de rouvrir une réflexion sur le modèle d'armée", souligne-t-elle.
Une ligne de front qui risque d'être difficile à tenir avec la guerre en Ukraine, qui balaie un grand nombre d'hypothèses très rationnelles sur le papier. Avec la décision de Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine, il y a un avant et un après. Et cette situation internationale instable n'est certainement qu'au début d'un cycle, qui ne permettra pas à la France de baisser les armes. D'autant que l'Allemagne va porter son effort budgétaire pour son armée à 100 milliards d'euros dès 2022.
Trois scénarios insatisfaisants
Dans les trois scénarios, qui ne sont pas satisfaisants, la Cour cherche les fameuses marges de manœuvre budgétaires. Le premier est celui de la confirmation de l'Ambition 2030, qui est le scénario de référence du ministère des armées. Il suppose la poursuite de l'augmentation du budget de la défense. "Cela constitue un défi majeur dans un contexte de finances publiques affaiblies par les conséquences de la crise sanitaire et contraintes par l'engagement de ramener le déficit public à 3 % du PIB d'ici à 2027", affirme la Cour. Le deuxième est celui de la réduction homothétique des capacités des armées et des ambitions. "Ce choix avait été retenu par défaut en 2008 et en 2013, non sans dommage pour les capacités des armées ; il risquerait aujourd'hui de mettre à mal la cohérence du modèle", estime la Cour.
Le troisième consiste, selon la Cour, "à faire des choix capacitaires, comportant des renoncements probablement irréversibles, ce qu'a commencé à effectuer le Royaume-Uni dans sa révision stratégique en 2021". Cette option semble avoir la préférence des Sages de rue Cambon. Mais cette hypothèse risque de faire hurler les armées, notamment l'armée de terre sacrifiée, qui a pourtant été beaucoup sollicitée par les politiques sur tous les théâtres d'opérations, et l'armée de l'air. Mais aussi les industriels, comme le note la Cour : "sur les capacités industrielles, il faudrait assumer des renoncements durables à certaines compétences difficiles à reconstituer une fois perdues". Last but the least, la Cour semble vouloir mettre en débat le modèle de la dissuasion nucléaire française. La Grande-Bretagne a renoncé à la fin des années 1990 à la composante aérienne de la dissuasion.
"Notre modèle d'armées met en son centre une capacité de dissuasion à deux composantes, dont des éléments essentiels devront être renouvelés simultanément dans les deux décennies à venir : réaliser des choix drastiques en les laissant à l'écart risquerait de faire peser l'effort de façon disproportionnée sur la force terrestre, qui a été, en pratique, la plus sollicitée en opérations depuis la fin de la guerre froide".
Un tel scénario remettrait en cause le modèle d'armée complet défini jusqu'ici par la France. Un modèle qui implique de doter les armées françaises de l'ensemble des capacité militaires nécessaires pour remplir toutes les missions, qui leur sont allouées au titre des cinq fonctions stratégiques de la défense : la connaissance/anticipation, la prévention des conflits, la dissuasion nucléaire, l'intervention et la protection du territoire et des populations, afin de « préserver l'autonomie stratégique de notre pays »
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