"Notre souveraineté risque d’être mise en cause" (Christian Cambon, Sénat)

PARIS AIR FORUM. Comment développer la résilience et l’autonomie stratégique de la filière défense ? A l’heure où la pandémie de Covid-19 expose le secteur, notamment aéronautique, à une violente crise, et où le tissu fragilisé de l’industrie de souveraineté se heurte à des difficultés de financement bancaire, cette question est cruciale. Elle a réuni Christian Cambon, président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au Sénat, le général Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’Armée de l’Air et de l’Espace ainsi Patrice Caine, PDG de Thales, et Elie Girard, directeur général d’Atos, autour d’un débat lors de la septième édition du Paris Air Forum, organisée par La Tribune.
"Cette crise a révélé une très forte polarisation entre les Etats-Unis et la Chine, notamment dans le domaine informationnel. C'est à prendre en compte encore plus, tout comme le domaine cyber", estime le général Philippe Lavigne, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace.

L'industrie de défense n'est pas épargnée par la crise sanitaire. Mais elle résiste bien mieux que les entreprises ayant une activité majoritaire dans l'aéronautique civile comme Airbus ou Safran. "Nous avons connu la crise de la demande, avec un trafic aérien quasiment à l'arrêt au niveau mondial, et aussi une crise de l'offre, en particulier pendant le confinement très strict. Néanmoins, nous avons été capables de maintenir la continuité des opérations critiques, pour la défense notamment", constate Patrice Caine, PDG de Thales lors d'une table-ronde dans le cadre du Paris Air Forum organisé vendredi par La Tribune. De fait, son modèle économique permet au géant de l'aérospatial d'amortir beaucoup mieux les chocs.

"Nous sommes assis sur un socle technologique transverse et puissant, qui s'appuie sur 30.000 ingénieurs et nous permet de servir différents marchés", affirme-t-il. Autre clé importante, "une très grande répartition géographique de notre chiffre d'affaires, dont les trois quarts sont réalisés hors de France. Enfin, la moitié des contrats du groupe s'élèvent à moins de 10 millions d'euros". Une situation qui "donne une grande résilience au groupe", analyse le patron de Thales.

Vulnérabilité de la supply chain

Si certains poids lourds comme Thales ou Atos se montrent résilients, le défi pour la filière est de préserver la base industrielle et technologique de défense (BITD) et ses entreprises de la supply chain qui, elles, sont plus vulnérables. "A ce point, nous avons eu quelques ruptures d'approvisionnement mais nous avons pu trouver à chaque fois des moyens pour ne pas mettre en retard les livraisons finales", assure Patrice Caine. Le groupe reste vigilant... "Nous nous sommes équipés, dans les grands groupes comme Thales, mais aussi au sein de la profession comme GIFAS et en lien avec les ministères, d'une sorte de 'tour de contrôle' pour bien surveiller les entreprises critiques pour la BITD".

De même, "la profession a pris sa part alors même que les financements sont rares, y compris pour les grands groupes, en mettant en place un fonds, de manière à accompagner les entreprises à la fois critiques pour la supply chain et très fragilisées", précise-t-il. Les industriels (200 millions d'euros), l'État (200 millions) et le fonds d'investissement Tikehau (230 millions) ont abondé un fonds de soutien en faveur du secteur aéronautique ACE Aéro Partenaires.

Préserver l'industrie de souveraineté

"Protéger la BITD au sortir d'une telle crise présente des difficultés spécifiques, au sens où les industries de défense de manière générale sont un secteur particulier. Il y a un effet de latence, les marchés sont beaucoup plus lents à démarrer. On peut imaginer qu'en l'absence d'un volet plan de relance bénéficiant aux industries de défense, les marchés en cours ne vont pas apparaître tout de suite pour soutenir les activités de nos entreprises", analyse pour sa part Christian Cambon, président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au Sénat. En outre, "si une PME met un genou à terre, cela engendre des ruptures d'approvisionnement, avec le risque d'un effet domino".

Autre point, le caractère souvent dual - civil et militaire - des entreprises du secteur. Le civil étant à la peine, "ces entreprises risquent d'être déstabilisées et ne pas être à la hauteur des attentes du secteur militaire", prévient-il. Le sénateur redoute par ailleurs "un effet psychologique", lié au grand public, dont les attentes se concentrent sur les sujets de santé. "Nous avons le devoir de bien expliquer l'importance d'une industrie de défense. D'abord pour assurer la sécurité dans notre pays, dans un monde où les crises éclatent presque quotidiennement, mais aussi pour soutenir la BITD et le savoir-faire de nos industries de défense". Et d'insister : "Sans une BITD forte, ce n'est pas seulement des emplois, c'est notre propre sécurité, notre propre souveraineté, qui risqueraient d'être mises en cause".

Frilosité des banques

Or les entreprises de défense, en particulier les PME, butent sur un autre problème, celui du financement bancaire. "Nous avons des retours inquiétants de refus de banques d'importance nationale à financer des investissements ou des actions de reprise" liés à la "compliance" et des questions d'image du secteur, témoigne le président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées au Sénat. Celle-ci a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme, avec un rapport sur le sujet publié en juillet (L'industrie de défense dans l'œil du cyclone).

"Nous attendons une action ferme", indique le sénateur. Aussi, "nous comptons sur la mobilisation de l'État pour que même s'il n'y a pas de volet industrie de défense dans le plan de relance, on tente de maintenir la LPM" (loi de programmation militaire). Quant aux banques, "il faut qu'elles comprennent que financer les PME de défense, c'est financer des emplois localisés qui contribueront à la relance lorsque celle-ci va sonner et qu'il faut véritablement un effort de solidarité nationale", précise-t-il.

Les menaces se multiplient

Le besoin d'investir dans la défense se fait sentir, d'autant que les menaces n'ont pas cessé avec la pandémie. "Cette crise a révélé une très forte polarisation entre les Etats-Unis et la Chine, notamment dans le domaine informationnel. C'est à prendre en compte encore plus, tout comme le domaine cyber", estime le général Philippe Lavigne, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace. Menace biologique, menace liée aux drones, développement de technologies hypersoniques... sont également présentes.

L'espace, de son côté, représente un véritable théâtre de conflictualité. La France y met-elle des moyens ? Dans le domaine de l'espace, "la France est leader européen, avec sa stratégie de défense et ses moyens, souligne le général Lavigne. "Nous renouvelons actuellement tout notre parc de satellites. De même, dans le domaine de la maîtrise de l'espace exo-atmosphérique, nous sommes leader en Europe. L'armée de l'air et de l'espace monte en puissance", assure-t-il.

La menace cyber omniprésente

De son côté, Thales constate "un accroissement considérable du nombre de menaces cyber", d'après Patrice Caine. De même qu'une corrélation géographique, avec une augmentation du nombre de menaces dans des zones en lien avec la propagation de l'épidémie. "Nous avons vu beaucoup d'attaques assez basiques, par exemple plus de la moitié des applications pour suivre l'évolution de la pandémie ont été corrompues", précise-t-il. Toutefois, si la menace monte, les outils pour la combattre ont eux aussi évolué ces derniers mois. "Il y a eu une accélération quasi quantique, notamment dans l'utilisation de big data, pour contrer ces cyberattaques", selon Elie Girard, directeur général d'Atos. "Ces données massives ainsi que les capacités de calculs permettent de réagir avant que l'attaque se soit matérialisée", affirme-t-il.

Et le sénateur Christian Cambon d'insister sur la nécessité d'une dimension tant européenne que nationale dans la prise en compte de la menace cyber. "Des moyens considérables ont d'ores et déjà été mis pour renforcer les dispositifs aussi bien en moyens humains et en crédits d'équipements, par l'intermédiaire de nos industriels qui font de très gros efforts dans ce domaine", salue-t-il. Toutefois, "nous ne maîtriserons pas tous ces dangers seuls", conclut-il.

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Commentaires 3
à écrit le 26/01/2021 à 18:20
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aux non de la mondialisation nos dirigeants en france ont tout vendu deja incapable de construire l'europe et d'assurer a la france et aux francais leur souveraineté puisque meme nos lois sont inféodé a bruxelles leur folie des grandeurs est qu'i...

à écrit le 23/11/2020 à 9:52
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Vous parlez de souveraineté, alors que les français ne sont même pas souverain dans leur pays... certain "défendent leur actionnaire" sans doute!

à écrit le 23/11/2020 à 9:15
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Heu les gars il serait temps de s'affoler ! Vous avez vu les hurluberlus que nous avons à notre tête !? Quelques jolies espionnes russes ou chinoises et en quelques jours elles ont les codes de la frappe nucléaire française hein... -_- Pour ma pa...

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