Taxonomie : "ce qui menace la défense, c'est le suicide par la vertu » (Jean-Louis Thiériot, LR)

Perçu comme une menace pour l’industrie de défense, le projet de la Commission européenne qui définit les investissements considérés comme respectueux de l’environnement a été fustigé lors du Paris Air Forum par les professionnels du secteur. Ils redoutent des réticences à financer les entreprises de la filière. Et se sont exprimés lors d’une table ronde intitulée « Taxonomie/ESG : l’industrie aérospatiale et de défense est-elle finalement vertueuse ? », réunissant Antoine Bouvier, directeur de la stratégie et des affaires publiques d’Airbus, Marwan Lahoud, président exécutif de Tikehau Ace Capital, Jean-Louis Thiériot, député de Seine-et-Marne, Alexandre Lahousse, chef de service des affaires industrielles et de l’intelligence économique à la DGA, ainsi que Solenne Lepage, directrice générale adjointe à la Fédération bancaire française.
« Il ne faut pas se réfugier derrière l'aspect réglementaire pour masquer la façon dont on applique et décline ces règlements. Au niveau des banques, et chacune a son propre avis, les déclinaisons peuvent être locales. Le projet d'écolabel n'est pas adopté, mais il est déjà décliné dans les politiques sectorielles d'investissement de certains établissements bancaires pour la partie défense », estime chef de service des affaires industrielles et de l'intelligence économique à la DGA.
« Il ne faut pas se réfugier derrière l'aspect réglementaire pour masquer la façon dont on applique et décline ces règlements. Au niveau des banques, et chacune a son propre avis, les déclinaisons peuvent être locales. Le projet d'écolabel n'est pas adopté, mais il est déjà décliné dans les politiques sectorielles d'investissement de certains établissements bancaires pour la partie défense », estime chef de service des affaires industrielles et de l'intelligence économique à la DGA. (Crédits : La Tribune)

La bataille n'est pas gagnée et le débat même n'est pas éteint... Les projets de taxonomie et d'écolabel pour les produits financiers, qui veulent orienter les investissements considérés comme respectueux de l'environnement et dont seraient exclues pour le moment les industries de défense européennes, n'ont cessé d'inquiéter les acteurs de la filière. Mais à l'heure où Bruxelles veut renforcer la défense européenne, ne crient-ils pas avant d'avoir mal ? « La taxonomie et l'écolabel ne sont que les derniers avatars et en réalité, ils sont encore en discussion », lance Antoine Bouvier, directeur de la stratégie et des affaires publiques d'Airbus.

« Ce à quoi nous assistons depuis plusieurs années, ce sont des contraintes croissantes qui s'accumulent sur les éléments de financement. Il y a de plus en plus de gestionnaires d'actifs en Europe qui se sont fixés des règles de non intervention dans un certain nombre de secteurs », explique l'ancien PDG de MBDA. Sans oublier « l'évolution sociétale, spécifique à l'Union européenne, qui s'est construite dans un cadre de paix et se renforce, analyse-t-il. Nous avons en face de nous une sorte de pacifisme qui ne veut pas dire son nom et qui attaque l'ensemble de la défense, par le biais le plus sensible, d'un point de vue médiatique, et c'est l'industrie de la défense ».

Autant dire, comme le fait Alexandre Lahousse, chef de service des affaires industrielles et de l'intelligence économique à la Direction générale de l'armement (DGA), qu'il faut rester très vigilant. « Des travaux techniques se poursuivent dans un certain nombre de groupes d'experts », poursuit-il. Et de s'indigner : « Attaquer la défense est choquant. Les textes sur la taxonomie tels qu'ils sont préparés comportent une exclusion qui n'est pas acceptable. L'industrie de l'armement devrait être traitée sur la façon dont elle pilote ses entreprises au même titre que les autres secteurs », juge Alexandre Lahousse, rappelant les efforts en matière de développement durable des industriels comme de la DGA.

Intégrer la souveraineté dans les critères ESG

« Ce qui menace notre base industrielle et technologique de défense (BITD) et notre défense globale, c'est le suicide par la vertu », renchérit le député (LR) de Seine-et-Marne, Jean-Louis Thiériot, auteur d'un récent rapport à l'Assemblée nationale sur le sujet. Et ce, pendant que les concurrents de l'Europe, eux, n'en font pas preuve, selon lui... Or la sécurité et la défense revêtent un intérêt général et l'industrie de la défense, qui compte 4.000 entreprises et 200.000 emplois, a un rôle vital.

Le député en est convaincu : « Le combat à mener est d'intégrer dans les critères ESG (ndlr : environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance) la notion de sécurité et de souveraineté. Il n'y a pas de durabilité sans sécurité », martèle-t-il, tout en pointant que le projet européen de taxonomie et de label de financement durable sont « en contradiction totale » avec les récentes ambitions de Bruxelles pour renforcer la défense.

Risque réputationnel

Au-delà de la réglementation, le secteur bancaire est lui aussi critiqué et se voit reprocher d'être frileux. « Aujourd'hui, une partie du corpus légal et réglementaire s'impose aux banques et à leur clientèle. Or les règles de sécurité financière et les normes auxquelles nous devons nous conformer se sont considérablement renforcées depuis une quinzaine d'années », souligne pour sa part Solenne Lepage, directrice générale adjointe à la Fédération bancaire française. Si, dans les grands groupes, « ces matières sont connues », c'est moins le cas des PME qui, elles, ont parfois besoin d'être « éclairées davantage », dit-elle. Quant à la taxonomie, « ce n'est pas aujourd'hui un élément déterminant pour (dire) ceci peut ou ne peut pas être financé », affirme-t-elle.

Ce que conteste Alexandre Lahousse. « Il ne faut pas se réfugier derrière l'aspect réglementaire pour masquer la façon dont on applique et décline ces règlements. Au niveau des banques, et chacune a son propre avis, les déclinaisons peuvent être locales. Le projet d'écolabel n'est pas adopté, mais il est déjà décliné dans les politiques sectorielles d'investissement de certains établissements bancaires pour la partie défense », estime-t-il. Concernant les PME de la BITD, il note par ailleurs, « quelques cas avérés de refus de financement pour aller à l'export », dont certains liés à la nature de l'activité.

« La taxonomie sociale n'a certes pas été adoptée mais elle est déjà intégrée par anticipation dans certaines politiques de banques », confirme Jean-Louis Thiériot. A cela s'ajoute la prise en compte du risque réputationnel, qui « aboutit au désir, dans un certain nombre cas, de ne pas apporter des financements. Cela vaut pour les banques, les assurances et certains fonds », avance celui qui préconisait dans son rapport l'instauration d'un médiateur et des référents défense dans les banques.

Une pratique ancienne

Marwan Lahoud, président exécutif de Tikehau Ace Capital, qui investit notamment dans l'aéronautique et la défense, évoque effectivement une certaine « aversion assez ancienne », qui freine l'investissement dans les industries de défense, et en particulier « dans certaines sociétés de l'Europe du nord », dit-il. « Bien avant qu'on parle d'ESG, certains gestionnaires d'actifs, excités par des ONG, se posaient déjà des questions sur le fait d'aller ou non vers telle industrie ou telle entreprise impliquée dans l'armement nucléaire, notamment », poursuit-il. La guerre en Ukraine changera-t-elle la donne ? Pas durablement à en croire l'investisseur, pour qui « le pacifisme et la malveillance » sont toujours sous-jacents. « Dès que la guerre s'arrêtera, nous retrouverons les mêmes tendances », conclut-il.

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Commentaires 2
à écrit le 16/06/2022 à 18:57
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Quel est le grand bénéficiaire... Adieu vielle Europe que le.....

à écrit le 16/06/2022 à 6:50
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Quand des non-élue se prennent pour le doigt de Dieu par une vision dogmatique de l'avenir, nous prenons le chemin de la dictature!

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