
« Pour l'instant, nous n'avons pas beaucoup d'informations sur la récolte de nos voisins d'outre-Atlantique en termes de volumes. Les Canadiens sont spéculateurs. Ils ne font pas beaucoup d'offres sur le marché dans l'espoir de voir les prix remonter, comme au cœur de la pénurie », constate Luc Vandermaesen, directeur général de l'entreprise Reine de Dijon (165 salariés, 50 millions de chiffre d'affaires).
Même si l'industriel reste confiant sur les surfaces semées cette année, il devra encore attendre quelques mois pour recevoir sa matière première, en quantité suffisante pour répondre aux besoins du marché. En effet, la récolte outre-Atlantique arrive en Europe, par bateau, d'ici la fin de l'année, et c'est un transport qui prend du temps car les graines sont soumises à des contrôles de traçabilité à chaque étape du voyage.
Dans l'entreprise Reine de Dijon, le dirigeant utilise encore, avec parcimonie, les graines de la récolte 2021. « Depuis le début de la pénurie, nous avons une vision de la production à seulement 10 jours », précise-t-il. L'entreprise n'a toutefois jamais arrêté ses lignes, ni eu recours au chômage partiel.
La solution des graines ukrainiennes ou russes, définitivement abandonnée ?
Cette situation d'ultra-dépendance aux graines canadiennes aurait pu évoluer si le conflit russo-ukrainien n'avait pas éclaté en février dernier. « Habituellement, les Russes et les Ukrainiens produisent des graines blondes, mais sont aussi en capacité de produire des graines brunes que nous utilisons dans la moutarde de Dijon », explique Luc Vandermaesen. « Nous savons qu'il y a des réserves de graines brunes mais, avec la guerre, personne n'a réussi à mettre la main dessus... », poursuit-il.
L'avantage de l'Ukraine ou de la Russie est la proximité qui évite le transport en bateau et permet de gagner du temps. « Un certain nombre d'industriels auraient ainsi demandé à l'Ukraine de semer en avril 2022, pour une récolte en septembre », concède Luc Vandermaesen. Toutefois, « ni l'Ukraine ni la Russie n'ont la connaissance de notre niveau d'exigence en termes de qualité de graine pour la moutarde de Dijon. C'est pour cela qu'ils n'ont jamais été une source d'approvisionnement principale », reconnaît l'industriel.
Les prix augmentent, le nombre de cultivateurs aussi (+315%)
Et si la solution était de produire notre propre graine de moutarde en France ? La seule variable d'ajustement capable de faire basculer la balance : c'est le prix ! « L'ensemble de la profession a accepté de payer aux agriculteurs français un prix plus élevé que les années précédentes puisqu'on a plus que doublé le prix entre la récolte 2022 et 2023 », confie Luc Vandermaesen.
Cette augmentation des prix a clairement encouragé les producteurs bourguignons à resemer de la moutarde pour ceux qui n'en faisaient plus et pour ceux qui en faisait, parfois, à augmenter leur surface de production. « Je cultivais 12 hectares de moutarde tous les ans et je suis passé à 18 et demi », témoigne Vincent Beaunée, producteur situé dans le Val de Saône, qui possède une exploitation de polycultures sur 60 hectares.
« On était déjà passé de 800 euros à 1.350 euros la tonne pour la récolte 2022. Pour celle de 2023, le prix contractualisé au producteur est à 2.000 euros la tonne », précise-t-il. De quoi créer de l'émulation chez les agriculteurs côte-d'oriens, dont le nombre ayant cultivé de la moutarde est passé de 165 à... 520 en un an (+315%) !
Ce qui représente une augmentation conséquente des surfaces mises en culture qui, dans l'intervalle, sont passées de 4.500 hectares à 12.000 hectares.
« Notre souhait est bien évidemment d'ancrer et de développer cette production localement », assure Laure Ohleyer, chargée de missions « filière moutarde » à la chambre d'agriculture de Côte-d'Or.
Cette année, grâce à une météo clémente et à un mélange qui résiste aux attaques d'insectes, la récolte bourguignonne a été bonne, soit 6.000 tonnes récoltées contre 4.000 tonnes en 2021.
Avec le doublement des surfaces cultivées, la récolte 2023 pourrait atteindre 15.000 tonnes, si les conditions le permettent, « ce qui serait un record absolu pour les graines d'origine française ! », s'enthousiasme Luc Vandermaesen.
Un vrai coup de boost pour la filière qui espère honorer ses tonnages l'an prochain auprès des grands industriels tels qu'Unilever ou Reine de Dijon. « Nous devrions être en capacité de fournir 50% de leurs besoins », prévoit Laure Ohleyer. « Sachant que pour des petits fabricants tels que la moutarderie Fallot, nous sommes déjà à 100% d'approvisionnement », précise-t-elle.
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