Protéines d'insectes : Innovafeed lève 250 millions d'euros pour compléter son industrialisation

La startup française, qui produit des farines et des huiles pour l'alimentation animale ainsi que des engrais naturels issus de l'élevage de mouches, compte utiliser cette somme pour finaliser la construction de deux usines, l'une en France, l'autre aux Etats-Unis. La massification de la production est en effet devenue un enjeu clé pour ce secteur de la FoodTech française qui, pionnier au niveau mondial, a jusqu'à présent été particulièrement soutenu par les investisseurs.
Giulietta Gamberini
Pour l'instant, les ventes de ces produits premium se fondent essentiellement sur la promesse d'une meilleure qualité nutritive et d'un moindre impact sur l'environnement.
Pour l'instant, les ventes de ces produits "premium" se fondent essentiellement sur la promesse d'une meilleure qualité nutritive et d'un moindre impact sur l'environnement. (Crédits : InnovaFeed)

« Dans un contexte mondial de ralentissement des investissements dans la FoodTech, il s'agit d'une levée de fonds particulièrement remarquable », souligne Matthieu Vincent, cofondateur du cabinet de conseil français DigitalFoodLab, dédié au suivi des startups qui innovent dans le secteur alimentaire. Et pour cause, Innovafeed, société de biotechnologie créée en France en 2016 et spécialisée dans l'élevage d'insectes destinés à l'alimentation animale et végétale, a annoncé ce mardi une levée de fonds de 250 millions d'euros.

Un montant bien plus important que les 140 millions d'euros déjà levés il y a moins de deux ans, en novembre 2020. Il porte ainsi le financement total cumulé par l'entreprise à 450 millions d'euros : plus que celui de son principal concurrent, lui aussi français, Ÿnsect, qui, depuis sa création en 2011, a levé 425 millions d'euros.

400.000 tonnes de produits en 2025 aux Etats-Unis

Ces fonds doivent servir à compléter la phase d'industrialisation d'Innovafeed, en terminant notamment la construction de deux usines, en France et aux Etats-Unis. La première, située à Nesle (Hauts-de-France), est déjà en activité mais doit être étendue afin d'atteindre l'objectif de produire quelque 100.000 tonnes par an de farine destinée à l'aquaculture, d'huiles pour les porcs et les volailles et d'engrais issus de l'élevage de mouches soldat noir (Hermetia Illucens). C'est quinze fois la production du site pilote ouvert par la startup à Gouzeaucourt (Somme) en 2017.

La deuxième usine, dont la construction doit encore commencer, sera située à Decatur (Illinois), siège de la multinationale américaine de l'agro-industrie Archer-Daniels-Midland Company (ADM) et plus gros site de transformation du maïs au monde. Innovafeed espère sortir, à partir de 2025, 400.000 tonnes de produits par an.

Une industrialisation essentielle

La massification de la production est devenue en effet un enjeu clé pour l'industrie française de production d'insectes destinés à l'alimentation animale et végétale. Pionnière au niveau mondial, elle a jusqu'à présent été particulièrement soutenue par les investisseurs, analyse Matthieu Vincent.

« C'est en construisant de vraies unités de production que ces startups montreront si elles sont en mesure de réduire les prix et de devenir des alternatives à l'alimentation animale et végétale, car aujourd'hui, leurs produits ne sont pas encore compétitifs par rapport à ceux qu'ils sont censés remplacer », explique-t-il.

Pour l'instant, les ventes de ces produits « premium » se fondent en effet essentiellement sur la promesse d'une meilleure qualité nutritive et d'un moindre impact sur l'environnement. InnovaFeed ne communique d'ailleurs pas son chiffre d'affaires actuel, ni sa valorisation.

Face à l'émergence au niveau mondial d'une pluralité d'autres acteurs sur ce créneau, « l'objectif est en outre de se développer avant que des concurrents ne prennent le marché », ajoute Matthieu Vincent.

Un marché accessible énorme

Le nouveau tour de table qui vient d'être mené par le fonds d'investissement souverain de l'émirat du Qatar (QIA) confirme, selon InnovaFeed,  l'attractivité de l'entreprise et de la filière insectes, ainsi que la fidélité de ses soutiens financiers et opérationnels de long terme. La levée de fonds a en effet été réalisée auprès d'investisseurs historiques, tels que Creadev et le groupe singapourien Temasek, et de leaders agroalimentaires comme ADM et Cargill, avec lesquels l'entreprise avait déjà conclu des partenariats stratégiques. InnovaFeed est également soutenue, à côté d'autres fonds d'investissement privés, par plusieurs acteurs bancaires via un crédit syndiqué, ainsi que par les pouvoirs publics via le Plan France 2030, souligne son communiqué.

« Partout dans le monde, tous les animaux pour lesquels ce nouveau type de nourriture constitue une alternative intéressante peuvent désormais être nourris grâce aux insectes », affirme Bastien Oggeri, cofondateur d'InnovaFeed.

Le marché accessible est donc énorme : pour alimenter les seuls poissons, 120 millions de tonnes de farine sont écoulées chaque année.

Un modèle de production circulaire

L'argument environnemental pèse en outre de plus en plus pour les potentiels clients, sous la pression de l'opinion publique mondiale. Les aliments pour animaux sont souvent issus de la déforestation et pèsent lourdement sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur agroalimentaire.

« Cette levée de fonds montre comme la promesse de protéines alternatives séduit toujours les investisseurs », souligne Matthieu Vincent

InnovaFeed mise d'ailleurs sur un modèle de production circulaire, fondé sur l'utilisation de coproduits (des résidus du processus industriels) et d'énergie fatale de gros partenaires industriels. Déjà testé à Nesle avec le groupe sucrier Tereos et le producteur d'énergie renouvelable Akuo Energy, le modèle sera également déployé aux Etats-Unis avec ADM.

Quant à l'écart entre les prix des produits issus d'insectes et ceux des aliments classiques pour animaux ou des engrais, il s'est réduit tant les seconds sont impactés par la flambée des cours des marchés internationaux des céréales, des oléo-protéagineux et du gaz, note encore le cofondateur de DigitalFoodLab.

Des débouchés sécurisés pour un milliard d'euros sur dix ans

« Le développement aux Etats-Unis permet en outre l'accès à un marché plus important et davantage ouvert à l'innovation », observe encore l'analyste. Ÿnsect vient d'ailleurs d'y acheter une entreprise élevant des insectes à destination des volailles, Jord. Et InnovaFeed y a sécurisé ses débouchés commerciaux grâce à des partenariats avec ADM et Cargill portant « sur des volumes représentant plus d'un milliard d'euros sur les dix prochaines années ».

Celui avec ADM doit de surcroît permettre de tester l'utilisation de ses ingrédients issus d'insectes pour l'alimentation des animaux domestiques. Un marché lui aussi très important et de plus en plus ouvert en termes réglementaires, mais dont les deux principaux acteurs (Mars et Nestlé) semblent encore méfiants face au potentiel des insectes, explique Mathhieu Vincent. Ÿnsect, qui a souscrit un partenariat avec une entreprise américaine, tente aussi de l'investir.

Quant au marché de l'alimentation humaine (sportive, végane etc.), bien qu'il ne soit pas négligé par InnovaFeed qui affirme avoir déposé un dossier auprès de l'Union européenne, il reste bien moins prometteur pour des raisons d'acceptabilité comme de réglementation. Dans l'UE, seul un insecte produit par Ÿnsect a jusqu'à présent été autorisé à cette fin. Une autre piste poursuivie par InnovaFeed semble plus solide : le licenciement des technologies de l'entreprise (génétiques, robotiques et de collecte de données) à d'autres acteurs souhaitant développer l'élevage d'insectes pour la production de protéines alternatives. La levée de fonds de 250 millions d'euros doit aussi servir à ce déploiement, « notamment en Asie ».

Giulietta Gamberini

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