Insectes : InnovaFeed lève 140 millions d'euros et lance son usine

La startup française vient de terminer la construction de sa ferme verticale à Nesle (Somme), censée constituer le modèle de son développement futur. Elle entame aussi la construction d'une usine encore plus grande aux Etats-Unis.
Giulietta Gamberini
InnovaFeed cultive des mouches soldat noir (Hermetia Illucens) et les transforme en protéines alternatives aux farines pour poissons, ainsi qu'en huiles pour les porcs et les volailles.
InnovaFeed cultive des mouches soldat noir (Hermetia Illucens) et les transforme en protéines alternatives aux farines pour poissons, ainsi qu'en huiles pour les porcs et les volailles. (Crédits : InnovaFeed)

Malgré la crise sanitaire, 2020 aura été une année faste et décisive pour l'industrie française de production d'insectes destinés à l'alimentation animale. Après Ynsect, qui en octobre a dévoilé une levée de fonds de 190 millions d'euros, c'est au tour d'InnovaFeed d'annoncer une accélération de son développement, sur trois fronts simultanés.

La startup, qui cultive des mouches soldat noir (Hermetia Illucens) et les transforme en protéines alternatives aux farines pour poissons, ainsi qu'en huiles pour les porcs et les volailles, a terminé la construction de sa nouvelle ferme verticale à Nesle (Somme), qui entre ainsi en opération. Sur 25.000 kilomètres carrés de surfaces, elle permettra de produire 100.000 tonnes d'ingrédients chaque année, et 15.000 tonnes de protéines destinées aux farines - le produit qui génère la majorité des revenus.

Un potentiel de marché énorme

C'est quinze fois plus que ce qui était produit jusqu'à présent dans son site pilote de Gouzeaucourt (Somme), ouvert en 2017. Mais c'est toujours une goutte dans la mer par rapport au potentiel d'absorption mondial. Sur le seul marché des aliments pour poissons, qu'une nouvelle réglementation a ouvert aux protéines dérivées des insectes en 2017, 120 millions de tonnes de farines sont écoulées chaque année. Quant à la nutrition des autres animaux d'élevage, les huiles à base d'insectes peuvent déjà remplacer les huiles végétales, souvent pointées du doigt car issues de la déforestation. Les producteurs d'insectes espèrent en outre que leurs protéines seront bientôt autorisées dans les farines aussi en dehors de la filière piscicole.

La production - de préférence locale - des protéines est en effet l'un des principaux enjeux de la sécurité alimentaire et de l'alimentation durable des prochaines décennies. Au niveau mondial, la croissance démographique laisse craindre un déficit de 40 millions de tonnes d'ici 2030. Et en Europe, 70% des protéines consommées par les animaux sont aujourd'hui importées.

Une symbiose industrielle

InnovaFeed mise donc sur ce besoin, ainsi que sur un autre choix censé renforcer l'impact positif de l'utilisation d'insectes au lieu d'autres sources de protéines: la symbiose industrielle.

"Notre projet a un sens surtout dans les régions industrielles où il existe à proximité des matières premières à valoriser", souligne le cofondateur Clément Ray.

L'usine de Nesle a ainsi été construite au cœur des Hauts-de-France, première région agricole française, et à proximité d'une amidonnerie de Tereos. Les insectes d'InnovaFeed seront nourris grâce aux co-produits du sucrier français. L'usine, largement robotisée et dotée de quelque 3.000 capteurs associés à des logiciels propres, afin d'optimiser l'élevage des 20.000 œufs collectés chaque seconde, sera en outre alimentée à 60% par l'énergie fatale générée par un autre acteur local: Kogeban, filiale d'Akuo Energy. Le 40% restant sera de l'énergie produite localement par Kogeban à partir de biomasse. Cette symbiose permettra d'économiser chaque année 57.000 tonnes de CO2, et permet de réduire les émissions de l'usine de plus de 80%, affirme InnovaFeed qui a fait réaliser une étude ACV à Quantis.

Une usine aux Etats-Unis

Dans la vision d'InnovaFeed, cette usine doit être le modèle d'un développement destiné à dépasser les frontières françaises. L'entreprise, qui compte aujourd'hui 120 salariés, dont 70 ingénieurs, vient d'ailleurs aussi de souscrire un partenariat avec la multinationale américaine de  l'agro-industrie Archer-Daniels-Midland Company (ADM). Dès 2021, elle commencera la construction d'une nouvelle usine aux Etats-Unis à Decatur (Illinois), siège d'ADM et plus gros site de transformation du maïs au monde - au rythme de 30.000 tonnes par jour. Comme à Nesle, InnovaFeed utilisera les co-produits d'ADM, ainsi que son énergie fatale. La capacité de production sera toutefois quatre fois supérieure à celle de Nesle, en atteignant 60.000 tonnes de protéine d'insectes et 400.000 tonnes d'ingrédients par an.

A plus long terme, InnovaFeed espère également faire d'ADM, qui produit également des nutriments animaux, l'un de ses clients. La startup, qui compte porter ses salariés à 300 avant la fin 2021, envisage également l'ouverture d'autres sites, notamment en Europe. Et elle garde en œil sur d'éventuelles nouvelles applications de sa technologie, en mettant par exemple son expertise au service d'un programme mondial de lutte contre la dengue via l'élevage de moustiques porteurs de bactéries les protégeant contre le virus.

200 millions depuis 2016

Cette stratégie d'expansion vient d'être soutenue par une levée de fonds de 140 millions d'euros, dont la moitié en equity, à laquelle ont participé ses deux actionnaires historiques: Temasek, fonds souverain singapourien, et Creadev, fonds d'investissement de la famille Mulliez. Elle porte ainsi à 200 millions d'euros les financements sécurisés par InnovaFeed depuis sa création en 2016.

La confiance des investisseurs dans ses projets de développement a été confortée par la signature tout au long des dernières années de contrats avec des partenaires stratégiques, souligne Clément Ray. C'est le cas d'Auchan, qui dès 2018 a lancé une première filière française de truites nourries aux insectes, et qui depuis juin commercialise également des volailles alimentées aux huiles d'InnovaFeed. Mais c'est aussi le cas des fabricants d'aliments de nutrition animale Nealia et Cargill, ainsi que du producteur d'engrais organiques Italpollina. Ce dernier valorise un troisième produit d'InnovaFeed, susceptible de contribuer au développement d'une agriculture plus durable: les déjections d'insectes.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 21/11/2020 à 21:42
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On va rigoler le jour où toutes ces bestioles vont s'échapper de l'usine d'élevage... après le covid-19, les bugs...😂🤣🤣😂

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