Carlos Tavares a encore accompli l'impossible: rester profitable malgré la crise du Covid-19 qui a pourtant décimé l'industrie automobile mondiale avec des baisses de ventes allant jusqu'à -85% sur certains des plus gros marchés (Europe, Chine). Le groupe PSA a annoncé une baisse de 34,5% de son chiffre d'affaires sur les six premiers mois de l'année à 25,1 milliards d'euros. Le résultat courant du groupe baisse de 84,5%, et celui de la division automobile de 72,5% mais restent positifs, avec respectivement 517 millions et 731 millions d'euros. Ce qui porte la marge opérationnelle courante du groupe à 2,1%. On est loin des 8,5% atteints en 2020, mais compte tenu du contexte, cette performance relève du miracle.
Bien entendu, le groupe a été largement aidé par les mesures de chômage partiel (donc par les subsides du contribuable)... Il n'empêche: PSA a été soumis aux mêmes aléas et n'a pas eu recours à un prêt garanti par l'Etat, au contraire de son compatriote Renault, ou plus gênant, de son futur partenaire de fusion, Fiat Chrysler Automobiles (FCA).
La culture de la frugalité
Pour Carlos Tavares, cette surperformance est le fruit de la culture managériale qu'il a inculqué à son arrivée en juin 2014 qu'il résume en un mot: la frugalité. Baisse des coûts, baisse des surfaces de production, partage des plateformes, économie d'échelles avec l'acquisition d'Opel ou des productions partagées (avec Toyota par exemple sur les utilitaires légers, ou les micro-citadines...), la méthode de Carlos Tavares semble encore être validée. C'est la troisième fois qu'il impressionne les marchés: en 2015 en achevant avec un an d'avance son plan de redressement industriel Back to the Race, en 2018 en gagnant de l'argent avec Opel seulement un an après son rachat, et après 15 années de pertes, et donc, aujourd'hui après un semestre d'une crise dont l'amplitude est inédite dans l'histoire. Carlos Tavares a également promis de poursuivre les efforts de baisse des coûts traduit par le fameux "point mort" (seuil de rentabilité) qui était de 2,8 millions de voitures en 2013 et qui est tombé à 1,6 million en 2019.
Paradoxalement, PSA doit cette performance à son plus gros point faible: son exposition au marché européen. Plus de 80% de ses ventes sont situées sur le Vieux continent, ce qui a toujours été jugé comme excessif pour permettre au groupe de diversifier ses revenus. Mais le marché européen est aussi le plus profitable pour PSA qui a engagé une stratégie de montée en gamme sous la férule de l'intransigeant Carlos Tavares sous son concept fétiche de "pricing power" (capacité à défendre les prix) : fin des ventes tactiques, stratégie produit plus haut de gamme...
D'ailleurs, la première mesure prise lors du rachat d'Opel a été la fermeture des canaux de distribution dits toxiques, véritable cercle vicieux de l'automobile. Il s'agit de méthodes de distribution (voitures de démonstration, ventes aux loueurs courte durée, rabais à outrance) qui permettaient de faire des volumes mais sans profits, et surtout qui altèrent le prix à la revente, ce qui dissuade davantage encore les acheteurs des finitions haut de gamme.
Une stratégie de repositionnement gagnante
Cette recette a été largement démontrée avec le renouvellement de la gamme Peugeot dont les 3008, mais également 5008 ont rencontré un succès pas seulement en volumes, mais également en termes d'options et de niveaux de finitions. La marque au lion semble reproduire cette recette sur la nouvelle 208 conçue dans un cahier des charges beaucoup plus premium que la précédente, mais aussi avec le 2008.
De son côté, la stratégie de repositionnement de Citroën s'étoffe de plus en plus. La nouvelle C4 devrait ainsi amplifier le mouvement après le succès de la C3 et du C5 Aircross. Opel vient de lancer sa nouvelle Corsa et vient de lever le voile sur le nouveau Mokka, deux modèles conçus sur la plateforme EMP2 de PSA. La marque allemande qui vient d'essuyer une baisse de sa part de marché en Europe espère rebondir avec ces deux modèles très volumétriques et mieux finis que la génération précédente. Il y a enfin DS qui poursuit son bonhomme de chemin et continue à déployer doucement mais sûrement son plan produit. Même si les volumes restent encore insuffisants et trop franco-français, la marque premium du groupe continue de s'installer dans le paysage automobile européen, et de contribuer aux profits du groupe. Autrement dit, il y a encore du grain à moudre en matière de performance commerciale pour les années à venir, à mesure que les marques vont déployer leur stratégie de repositionnement produit.
PSA a ainsi acquis une véritable puissance de feu en termes d'efficience commerciale autant qu'en termes d'efficience industrielle. Ainsi, la marge opérationnelle de la seule branche automobile frôle les 4%. La direction estime même qu'il est possible d'atteindre les 4,5% sur le périmètre groupe sur l'ensemble de l'année, en tablant sur un rebond au second semestre. Carlos Tavares s'est ainsi réjoui du carnet de commandes en cours en hausse de 15%, tandis que les stocks sont au plus bas (-24% sur un an).
Questions sur la fusion avec Fiat
Si cette surperformance est une excellente nouvelle pour le groupe français et ses salariés, elle interroge toutefois sur l'équilibre du contrat de fusion signé en décembre dernier avec FCA. Déjà à l'époque, les analystes de marché relevaient qu'en fusionnant à 50/50, les actionnaires de FCA engrangeaient une surprime de 40%. Depuis, l'écart n'a fait que se creuser davantage, et plus encore depuis que le groupe italo-américain ait été contraint de recourir à un prêt garanti par l'Etat italien de plus de 6 milliards d'euros. Pour Carlos Tavares cependant, l'agenda de Stellantis, le nom que portera la nouvelle entité, n'a pas changé d'un iota, il estime qu'elle aura lieu au premier trimestre 2021, sous réserve d'acceptation par la Commission européenne, et ce malgré ses réserves qui l'ont conduit à ouvrir une phase deux dans son enquête de conformité au droit concurrentiel. Pour le patron de PSA, rien n'a en effet changé dans les effets vertueux de la fusion avec FCA, autant en termes de complémentarité géographique que de synergies industrielles.
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