LA TRIBUNE - Heineken a fait part de sa volonté de quitter l'agglomération de Strasbourg en 2025. Le site que la brasserie exploite à Schiltigheim, commune dont vous êtes la maire, serait trop enclavé et non rentable. 220 emplois sont menacés. Que s'est-il passé ?
DANIELLE DAMBACH - Dans un premier temps, je vais me battre aux côtés des salariés pour tenter de maintenir à tout prix une activité brassicole sur le site. Selon la direction d'Heineken France, produire une bière à Schiltigheim coûterait plus cher qu'à Marseille. Je me permets d'en douter. L'histoire de l'enclavement est un mensonge. La circulation est fluide et la ZFE n'entrave en rien l'accessibilité du site industriel. Nous avons offert à Heineken la garantie qu'ils obtiendraient des dérogations pour leurs camions. Je pense plutôt qu'ils considèrent que la valorisation du foncier peut rapporter beaucoup d'argent. Le site s'étend sur douze hectares, c'est une manne pour le propriétaire.
Comment Heineken peut-il valoriser son foncier ?
Dans le passé, ils ont racheté Adelshoffen et ils l'ont fermée. Ils ont ensuite racheté la brasserie Fischer. Ils l'ont fermée. Les promoteurs ont construit 610 logements sur ce site emblématique de notre commune brassicole. Si les douze hectares du site de l'Espérance se retrouvent un jour sur le marché, il n'y aura pas de Fischer bis. Avec ma casquette de vice-présidente de l'Eurométropole, je m'opposerai à toute autorisation de constructibilité pour du logement seul. Je souhaite que ce site conserve sa vocation économique. Schiltigheim offre déjà beaucoup de logements. Ma commune compte 32.000 habitants et nous en avons gagné 2.000 au cours des trois dernières années. Schiltigheim est la commune la plus densément peuplée en Alsace avec 500 habitants au kilomètre carré, contre 280 habitants en moyenne. Il faut de l'emploi. La qualité de vie, c'est la proximité de son travail, du médecin, du cinéma, une médiathèque en bas de chez soi.
Le site industriel de la brasserie Fischer a été cédé par Heineken. 610 logements ont été construits. (Crédits : Olivier Mirguet)
Schiltigheim recèle de nombreuses friches industrielles liées à son passé brassicole. Le sort de la brasserie Schutzenberger, fermée en 2006, n'est toujours pas réglé...
La collectivité aurait aimé préempter ce joyau patrimonial sur 3,6 hectares, mais cela n'a pas été possible cette fois-ci. Un investisseur privé, Denis Oussadon, a acquis une part majoritaire des actions et proposé de réaliser un nouveau quartier d'immeubles de grande hauteur. J'ai refusé. Heureusement, la plus grande partie du site est inscrit à l'inventaire des monuments historiques. Nous allons élaborer une déclaration de projet et travailler avec le cabinet d'architecture de Nicolas Michelin, qui sait valoriser le bâti ancien. Un comité de pilotage du site s'est installé au mois de décembre 2022. Notre projet global va prévoir la valorisation de la salle de brassage, de l'hôtellerie, un village des artisans. Il s'agit de garder la configuration actuelle des bâtiments. On a établi une jauge maximale de 140 logements.
Que vont devenir les autres marques de ce passé industriel du nord de l'agglomération strasbourgeoise ?
Pour moi une friche, c'est un potentiel de renouvellement urbain. C'est toujours une chance. L'activité à Schiltigheim a explosé au début du vingtième siècle, quand les grandes brasseries sont venues s'installer dans la commune voisine parce que Strasbourg était devenue trop étroite. C'est une histoire riche qui a été oubliée, que je veux valoriser. Nous sommes loin d'être une ville dortoir. Schiltigheim est une ville en mutation, fière de son histoire.
Le nord de l'agglomération strasbourgeoise apparaît en retard sur la densité de son réseau de pistes cyclables, sur ses transports en commun. Comment pouvez-vous y remédier ?
Le nord de l'agglomération a connu des loupés dans les transports depuis plus de deux décennies. Parfois, les maires des communes au nord de Strasbourg ont semblé se liguer pour laisser toute sa place à la voiture. On est resté figé dans un urbanisme du siècle dernier. Depuis mon élection en 2018, j'ai relancé le projet du tramway. C'est indispensable si on veut améliorer la qualité de vie, la qualité de l'air et la citoyenneté. Ce tram est acté et s'accompagne de nouveaux aménagements pour les cyclistes et les piétons.
La zone à faibles émissions (ZFE-m) est entrée en vigueur dans l'Eurométropole le 1er janvier. Les socio-professionnels se plaignent de restrictions de circulation en cours et à venir. La réduction des émissions polluantes des voitures est-elle compatible avec le développement économique ?
Le choix a été fait d'une mise en place progressive de la ZFE, après une année pédagogique en 2022. Les véhicules sans Crit'Air et les Crit'Air 5 sont désormais interdites, avec des dérogations pour les activités économiques. Les communes de Strasbourg, Ostwald, Holzheim Schiltigheim ont adopté une interdiction aux Crit'Air 2 à partir de janvier 2028. Dans le nord de l'agglomération, 98 % de la population est exposée aux dépassements des seuils de pollution, parce qu'on est très proches de la M35. Je ne voudrais pas qu'on puisse nous attaquer pour inaction climatique. D'ici à 2028, les professionnels auront de nouveaux véhicules. Il y aura davantage de transports en commun avec l'arrivée du tram nord. Il y aura des mobilités douces avec nos aménagements cyclables prévus pour 100 millions d'euros jusqu'à la fin de ce mandat.
Comment pouvez-vous concilier les zones de développement économique et les besoins d'urbanisation de l'agglomération ?
Il ne faut pas tout laisser aux logements et veiller à la mixité des fonctions dans une ville et dans chaque quartier. Pour développer de l'emploi, on ne peut pas seulement compter sur quelques rez-de-chaussée d'immeubles.
Pour y parvenir, faudra-t-il créer des zones d'activités ?
Il faut cesser d'aménager ces zones d'activités aux portes d'entrée des villes et intégrer les activités économiques au reste de la ville. Le Port du Rhin fait aujourd'hui partie intégrante de la ville Strasbourg. A terme, avec le tramway et avec les pistes cyclables, les personnes qui y travaillent ne sera plus liées à la voiture. La révolution peut passer par le vélo électrique : vous arrivez à l'heure au travail et vous n'avez pas de souci pour vous garer. Pout ceux qu travaillent en horaires décalés, tôt le matin ou tard le soir, on pourra augmenter la plage de desserte des transports en commun ou envisager le transport à la demande. Il s'est déjà développé entre les communes de la deuxième couronne, en lien avec les collèges et doit encore pouvoir se déployer pour répondre aux besoins des entreprises.
Propos recueillis par O.M.
Sujets les + commentés