Cette fois nous y sommes. L'industrie automobile mondiale est entrée dans le dur de cette décennie que les prophètes du changement annonçaient comme décisive. Les transformations annoncées dans les années 2010 sont ainsi devenues une réalité : connectivité, autonomie, électrification, transition énergétique... Les constructeurs automobiles n'en sont plus au stade des promesses et sont désormais attendus sur des actes. Sonnants et trébuchants bien sûr, car ils ont investi des sommes considérables pour affronter les multiples fronts de cette transformation. Mais il n'est pas certain que cela suffise à les maintenir dans la course.
Les marchés, eux, ont fait leur choix : ils n'ont d'yeux que pour les startups de l'électromobilité. Rivian, Nio, Tesla... Leur valorisation atteignent des niveaux stratosphériques au point d'inquiéter les régulateurs sur des bulles spéculatives. Les Gafas ne sont pas en reste puisqu'ils multiplient les indiscrétions sur leur volonté d'investir l'univers automobile sous une forme (une simple interface homme-machine) ou sous une autre (inventer la voiture du futur).
Enfin, les constructeurs automobiles chinois sont à la manœuvre dans le monde entier avec des produits au rapport qualité-prix imbattables. Pour pimenter cette nouvelle donne : une crise sanitaire, une pénurie de semi-conducteurs et des matières premières en hausse. Sans parler du resserrement réglementaire sur les normes climatiques.
En France, des restructurations sous la contrainte
Ainsi, les constructeurs automobiles sont entrés dans cette nouvelle ère dans les pires conditions possibles. Les entreprises françaises du secteur étaient contraintes d'engager des restructurations radicales. L'un, l'ancien PSA et malgré ses finances florissantes, a décidé de fusionner avec un groupe étranger (Fiat Chrysler) pour devenir le quatrième constructeur mondial, seul moyen pour lui d'atteindre la taille critique. L'autre, Renault, a dû renverser la table de quasi-deux décennies de règne d'un patron qu'on disait pourtant visionnaire et charismatique.
Les deux affichent un optimisme prudent. Il est vrai que depuis la crise des subprimes de 2008, l'industrie automobile s'est profondément restructurée : repositionnement sur des produits haut de gamme, cap sur l'innovation, rationalisation industrielle. Valeo - dont le PDG Jacques Aschenbroich va passer la main d'ici la fin de l'année - Faurecia, Michelin, et les deux constructeurs tricolores ont désormais acquis une forte résilience qui leur permet de résister à toutes les tempêtes.
Oui mais le tissu de fournisseurs, lui, n'a pas accompli ce travail. Soit parce qu'il n'avait pas la capacité d'anticiper cette transformation schumpeterienne, soit tout simplement parce qu'elle n'en avait pas les moyens.
Contraint d'acheter ses pièces un tiers plus chers !
Pour Luca de Meo, patron non moins charismatique de Renault, a déjà prévenu qu'il n'engagera pas d'acharnement thérapeutique pour sauver des entreprises en état de mort cérébrale, comme il l'a prouvé dans le dossier de la fonderie SAM. L'ancien de chez Seat veut en finir avec ces habitudes d'un ancien temps qui obligeaient Renault à payer ses fournisseurs jusqu'à 30% plus chers que ses concurrents. Ce système orchestré par l'Etat (tous gouvernements confondus) a complaisamment conduit ces petits fournisseurs en dehors des standards de compétitivité.
Mais alors que Renault a bien failli être rayé de la carte, l'Etat a fini par se résoudre : l'ancienne régie ne sera plus un outil de politique industrielle. Devenus fatalistes, le gouvernement comme les représentants de la filière ont adopté une autre philosophie : il faut sauver ce qui peut encore l'être. Emmanuel Macron qui a repris le dossier en main en personne, en recevant les représentants de la filière, travaille sur un plan de soutien de plusieurs milliards d'euros (la filière en réclame 6).
Mais pas question de verser des milliards dans un tonneau des Danaïdes. Bercy a engagé d'importantes actions pour accompagner ces petites PME dans cette transformation : recapitalisation, investissement dans de nouveaux outils, dans leur reconversion industrielle, consolidation... Mais au rythme actuel de la mutation sectorielle, l'automobile française n'évitera pas une sanglante sélection darwinienne. La PFA craint de 50.000 à 80.000 emplois supprimés d'ici à 2030.
Cette facture traduit le manque d'anticipation et de méthodologie des différents protagonistes de l'industrie automobile française. Elle achèvera néanmoins la mue industrielle entamée lors de la crise des subprimes et qui a réussi aux constructeurs et aux équipementiers. Ce nouvel ordre mondial pourrait ainsi surtout signifier la fin d'un désordre français.
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