L'industrie automobile n'est pas au bout de ses peines... Le secteur qui pourrait finir l'année comme le seul au monde à avoir fait moins bien en 2021 qu'en 2020, se prépare à une année 2022 non moins compliquée. Réunie ce mardi matin à la Maison des Travaux Publics à Paris, dans le cadre des débats du Lab de la PFA (la plateforme automobile qui représente la filière), plusieurs analystes ont dressé un tableau extrêmement sombre des perspectives qui menacent le secteur.
Semi-conducteurs, une crise qui ne passe toujours pas
D'abord, sur la crise des semi-conducteurs, le pic n'est toujours pas passé comme annoncé en début d'année par les constructeurs automobiles. Ces derniers tablaient sur une reprise au second semestre, sauf qu'une résurgence épidémique en Malaisie, un des principaux pays producteurs, a oblitéré toutes ces perspectives. Denis Schemoul, spécialiste de l'automobile chez IHS Markit, n'attend plus de "phase d'amélioration" avant la fin 2022 et table sur une "phase de normalisation" en 2023. Et seulement ensuite, l'industrie automobile pourra envisager une "phase de rattrapage". Voilà de quoi relativiser l'optimisme affiché par les constructeurs automobiles qui s'emploient à annoncer la fin imminente de la crise.
Surchauffe sur les matières premières
D'autant que cette pénurie n'est plus le seul sujet de préoccupation du secteur. "D'autres problèmes se profilent...", a lancé Thomas Besson, analyste chez Kepler Cheuvreux et spécialiste de l'automobile. Les craintes sont essentiellement concentrées sur les matières premières qui, tour à tour, montrent des signes de surchauffe. Après la hausse des prix de l'acier et du cuivre, c'est le magnésium qui est désormais sous tension.
Et les problèmes vont s'accentuer avec l'avènement de la voiture électrique dont la décomposition en matières est radicalement différente de la voiture thermique. Elle nécessitera environ 19% de matériaux en plus, mais davantage de cuivre, de graphite et d'aluminium, et nettement moins d'acier. Sauf que la demande de voitures électriques est très supérieure aux attentes, ce qui s'est immédiatement traduit par des tensions sur ces matières.
L'impossible prévisibilité de marché
Pour Elisabeth Waelbroeck-Rocha, chef du service économie internationale chez IHS Markit, l'une des problématiques majeures du secteur est ce manque de visibilité. "Nous découvrons les problèmes petit à petit", confesse-t-elle et d'ajouter "personne n'a fait d'étude complète sur la chaîne de valeur de l'automobile" pour identifier les points critiques. Chaque maillon de la chaîne est ainsi fragilisé, et le moindre grain de sable crée des réactions en chaîne tel un effet papillon. "On a rarement eu autant tort dans nos prévisions. Ce que nous observons aujourd'hui ne correspond pas à ce que nous avions prévu en avril", admet également Thomas Besson, pour mieux souligner l'impossibilité de modéliser les perspectives de marché.
"Les pénuries sont plus graves que les hausses de prix", nuance toutefois Elisabeth Waelbroeck-Rocha. Selon elle, les hausses de prix sont gérables dans une chaîne de valeur. Elles sont répercutées dans les marges ou sur les prix... Mais elles ne grippent pas toute la chaîne de production au point de mettre en danger toute la filière.
La filière en danger, y compris en cas de reprise...
Pour Marc Mortureux, la situation est gravissime pour les petits fournisseurs dont la trésorerie est très sensible et peut difficilement supporter de telles amplitudes de marché. Même constituer des stocks est trop coûteux pour eux... "Le pire serait qu'ils ratent la reprise économique une fois que tous les obstacles auront été levés, parce que le carnet de commandes est là, il faudra être en capacité de répondre massivement à cette reprise", anticipe le patron de la PFA.
"C'est la première fois que le secteur doit faire face à une baisse simultanée des volumes et une hausse des prix des matières premières", note Thomas Besson qui se réfère à la crise des subprimes qui avait été très différente et déjà très violente. Selon lui, il faudra probablement en passer par une reprise en main des petits fournisseurs par les équipementiers, par un soutien logistique ou financier. "Il y aura beaucoup de consolidation" prédit-il.
Les constructeurs protégés par leurs prix
Finalement, seuls les constructeurs automobiles semblent tirer leur épingle du jeu, malgré leurs dénégations. Comme le rappelle Thomas Besson, malgré une forte baisse des volumes, ils s'apprêtent à afficher de très bons ratios financiers, portés par des ventes de voitures électriques et mieux équipées. D'après l'analyste, ils sont protégés par le "pricing power" de leurs produits, soit leur capacité à répercuter des hausses de prix. "Ils ont déjà augmenté trois fois leurs prix depuis le début de l'année", rappelle Thomas Besson. Un privilège dont ne disposent pas les équipementiers et fournisseurs automobiles.
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