BTP : face à l'inflation, Bercy se défend de faire des « petites annonces » mais les professionnels restent sur leur faim

Quinze mois après une première réunion en pleine crise Covid et à quelques jours de la présentation du budget 2023 en Conseil des ministres, les ministres Bruno Le Maire, Olivia Grégoire et Olivier Klein se sont fait l'écho, ce 22 septembre, de treize mesures pour « soutenir et simplifier les opérations économiques » du BTP. Si la Fédération française du bâtiment (FFB) et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) approuvent la méthode, elles regrettent que les marchés privés ne soient pas aussi concernés que les marchés publics. Explications.
César Armand
(Crédits : Reuters)

C'était il y a quinze mois : le 14 juin 2021, face aux difficultés d'approvisionnement en matériaux de construction, le ministre Bruno Le Maire annonçait l'envoi d'une circulaire à tous les acheteurs de l'Etat pour ne pas appliquer de pénalités de retard aux TPE-PME du BTP, avec la création d'un ''comité de crise'' pour faire remonter les « comportements anormaux » sous la houlette du Médiateur des entreprises Pierre Pelouzet et l'instauration d'une ''médiation de filière'' pour amortir ce choc. Un an plus tard, la crise économique s'est doublée d'une crise énergétique avec la guerre en Ukraine et d'une crise écologique avec l'accélération du dérèglement climatique.

En organisant des « Assises du bâtiment et des travaux publics » à Bercy en juillet dernier, le gouvernement pensait avoir trouvé la solution miracle pour affronter cette triple crise. Sauf que dès le départ, les organisations professionnelles concernées - à l'exception notable de la Fédération française du bâtiment - ont critiqué les bonnes résolutions affichées par le pouvoir politique. C'est pourquoi, malgré la présentation de treize mesures « pour soutenir et simplifier les opérations économiques du secteur » ce 22 septembre, les acteurs économiques restent toujours sur leur faim.

« Améliorer la trésorerie des entreprises »

Au volet « améliorer la trésorerie des entreprises », Bruno Le Maire a ainsi annoncé le relèvement, « dans les plus brefs délais », de 20 à 30% des seuils planchers des avances dans les marchés publics de l'Etat passés avec les PME. Mais aussi l'amélioration de l'échelonnement du remboursement de ces avances.

« Nous allons engager les modifications réglementaires pour que ce soit plus progressif et afin d'éviter les chocs de trésorerie », a explicité la ministre des PME Olivia Grégoire.

Sur ce sujet, la Fédération française du bâtiment (FFB) et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) auraient aimé que les collectivités territoriales, qui représentent 70% de la commande publique, soient associées. Une demande entendue par le ministre qui promet d'ouvrir des discussions avec les élus locaux.

« Il faut échanger avec eux pour trouver la meilleure voie de passage et que ça serve de modèle », a affirmé Bruno Le Maire.

En attendant, sera publié un énième guide pratique en matière de pénalités de retard payées par les acteurs du BTP pour éviter que les situations de pénurie ne leur soient « injustement » reprochées. « C'est utile pour la rédaction des marchés publics et indispensable pour éviter des tensions de trésorerie », a justifié Olivia Grégoire, ministre des PME.

« Améliorer la prévisibilité des prix sur les marchés publics et privés »

Au chapitre « améliorer la prévisibilité des prix sur les marchés publics et privés », le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a saisi le Conseil d'Etat pour aider les PME à réviser les prix dans les marchés publics et prendre en compte les surcoûts engendrés « en arguant des circonstances exceptionnelles ».

« Ce n'est plus rentable pour les PME », a justifié Bruno Le Maire. Une circulaire sera donc publiée « dans les prochains jours ». Et là encore, une mission va être confiée au Médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet, pour améliorer la prévisibilité des prix des matières premières.

« Seule une mesure d'ordre public législative aurait permis la révision des prix des contrats en cours à prix ferme », regrette, en revanche, la Fédération nationale des travaux publics.

« Cette rapide mobilisation en faveur des artisans et entrepreneurs de bâtiment doit s'amplifier, notamment sur les mesures relatives aux marchés privés », abonde son homologue, la Fédération française du bâtiment.

« Simplifier les marchés publics »

Au menu « simplifier les marchés publics », Bruno Le Maire a validé la pérennisation à 100.000 euros du seuil des contrats publics sans passer d'appel d'offres. Ce relèvement de 70.000 à 100.000 euros avait été décidé en septembre 2020 au lendemain de la présentation du plan "France Relance" de 100 milliards d'euros et inscrit dans la loi de finances 2021 et 2022. Reste donc à inscrire cette pérennisation dans le prochain projet de loi de finances présenté le 26 septembre prochain à Bercy et en Conseil des ministres, mais le patron de Bercy n'a guère été plus prolixe sur le budget 2023.

Dans ce domaine, le ministre a également promis d'abaisser de 6 à 4 mois le délai inscrit dans le cahier des clauses administratives générales des marchés publics, entre la notification d'un marché et l'ordre de service de démarrage effectif des travaux.

« Nous allons raccourcir ce délai pour accélérer les mises en chantier et protéger les entreprises de l'explosion des prix », a expliqué Bruno Le Maire.

Toujours au menu « simplification », Bruno Le Maire a fait savoir qu'il y aurait une tolérance de 4 mois pour la mise en conformité des entreprises à la responsabilité élargie du producteur (REP). Cette réglementation qui contraint les professionnels à l'économie circulaire devait s'appliquer le 1er janvier 2022, avant que son entrée en vigueur ne soit repoussée au 1er janvier 2023. Avec cette tolérance, la date du 1er janvier 2023 est confirmée, mais les acteurs du BTP ne seront pas sanctionnés avant le 1er mai 2023.

Dernière mesure : une meilleure articulation des contrôles sur les chantiers pour lutter contre le travail illégal.

« Nous voulons aller plus loin et plus efficacement en augmentant le nombre de contrôles », a souligné la ministre des PME Olivia Grégoire.

« Accélérer la transition écologique du secteur »

Ultime point : « accélérer la transition écologique du secteur ». Dans le cadre de « France 2030 », un appel d'offres de 30 millions d'euros sera lancé pour renforcer l'offre globale de rénovation performante. Une concertation, enfin, sera enclenchée sur la mise en place d'un carbone-score des matériaux sur le modèle du Nutri-score qui existe dans l'alimentation.

« Il s'agit de construire plus et mieux », a résumé, en quelques mots, Bruno Le Maire.

« Il nous faut poursuivre les efforts de la RE2020 [la réglementation environnementale des bâtiments neufs qui s'applique depuis le 1er janvier 2022, Ndlr] », a appuyé son collègue chargé du Logement, Olivier Klein.

« Ce ne sont pas des petites annonces, ce sont des propositions fortes »

Reste que cet inventaire à la Prévert ne semble pas répondre à la triple « urgence » économique, écologique et énergétique rencontrée par le secteur. Le ministre de l'Economie s'en est défendu, déclarant que le gouvernement rencontrait les fédérations tous les mois et rappelant qu'un autre « point d'étape » est prévu au printemps 2023.

« Ce ne sont pas des petites annonces, ce sont des propositions fortes », a encore rétorqué à La Tribune Bruno Le Maire.

« Juridiquement, ce sont des sujets très complexes et on ne change pas des politiques structurelles en quinze jours », a-t-il poursuivi, visiblement agacé.

Avant de changer de ton : par exemple, le ministre s'est dit « pas fermé » à des fonds propres pour la rénovation des logements sociaux, telle que le lui demande leur représentante et ancienne ministre Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat.

A une nuance près : « ça coûte des milliards voire des dizaines des milliards d'euros » alors qu'en tant que patron de Bercy, il ne doit ni « aggraver la déficit » ni « creuser la dette ». Le « quoi qu'il en coûte » est bel et bien révolu...

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César Armand

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