Relocaliser le BTP par la commande publique : les élus locaux commencent à s'y mettre

DOSSIER MONDIALISATION- Depuis un an et demi au moins, les professionnels du bâtiment alertent sur la nécessité de créer et de structurer des filières de production de matériaux de construction, ne serait-ce que pour appliquer la réglementation environnementale des bâtiments neufs dite « RE2020 ». Alors que tout s'est accéléré depuis deux ans sur le plan législatif, entre les lois « Anti-gaspillage » et « Climat & Résilience », former les élus locaux devient une nécessité. Décryptage.
César Armand
Alors que le taux de réemploi des matériaux de construction issus des déchets est inférieur à 1% selon l'Agence de la transition écologique (Ademe), l'Etat vise 2% d'ici à 2024 et 4% d'ici à 2027.
Alors que le taux de réemploi des matériaux de construction issus des déchets est inférieur à 1% selon l'Agence de la transition écologique (Ademe), l'Etat vise 2% d'ici à 2024 et 4% d'ici à 2027. (Crédits : C.A.)

Ils n'ont tout simplement plus le choix. Depuis le 1er janvier 2022, les professionnels du bâtiment neuf doivent désormais utiliser, en priorité, des matériaux biosourcés, c'est-à-dire d'origine locale, végétale et animale, type biomasse et chanvre, ainsi que des matières géosourcées, c'est-à-dire d'origine locale et minérale, type pierre de taille ou pierre crue. Autrement dit, appliquer la nouvelle réglementation environnementale dite « RE2020 » qui « encourage » le recours à ces matériaux, ainsi que « la brique et le béton qui se seront décarbonés ».

Créer et structurer des filières

« L'accent [du quinquennat 2022-2027, ndlr] sera mis sur les approvisionnements de matériaux, la souveraineté stratégique et la création de filières « ,  s'était ainsi engagée, le 10 mars dernier, l'ex-ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, auditionnée au nom du président - pas encore candidat - Emmanuel Macron, par l'Union sociale pour l'habitat, la Fondation Abbé Pierre, les associations d'élus France urbaine et Intercommunalités de France et la Fédération française du bâtiment.

Début 2021, à l'occasion de la campagne pour les élections départementales et régionales, la Fédération française du bâtiment (FFB) avait déjà interpellé les candidats au sujet notamment de l'approvisionnement en matériaux. A l'époque, l'association Régions de France avait affiché « une volonté plus marquée d'adopter une approche plus transversale », tant pour structurer des filières que pour créer un continuum entre les différents acteurs du bâtiment.

Mais un an et demi plus tard, rien n'a changé. « Un élu qui voudrait utiliser des matériaux n'a pas de cartographie de tous les matériaux de proximité », pointe Christine Leconte, présidente du Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA). Pour pallier ce manque, elle vient d'entamer un travail, en collaboration avec l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), l'établissement public officiellement chargé d'assurer la production, l'entretien et la diffusion de l'information géographique dite de référence. L'objectif est de « montrer à l'échelle nationale où se trouvent les filières ». Le travail a déjà été fait en Île-de-France ainsi que dans la région Grand-Est où un autre architecte a répertorié tous les gisements de matériaux.

« Imaginez alors pour un particulier, un privé ou un élu qui voudrait un isolant comme cela facilitera son choix lorsque tout cela sera exploitable ! », s'enthousiasme, à l'avance, la présidente du Conseil national de l'ordre des architectes Christine Leconte.

Tout s'est accéléré avec les lois AGEC et Climat & Résilience

Il existe déjà des leviers, mais ils restent difficilement actionnables. Par exemple, l'article L2112,4 de la Commande publique fait référence à un acheteur qui peut imposer que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie d'un marché « soient localisés sur le territoire des Etats-membres de l'Union européenne afin, notamment, de prendre en compte des considérations environnementales [...] ou d'assurer la sécurité des informations et des approvisionnements ».

Dans les faits, « ces cas d'application, hormis pour l'acquisition de masques sanitaires, n'a jamais été clarifié », souligne-t-on chez France urbaine, l'association des maires des grandes villes et présidents de métropoles. « Il serait intéressant que la Direction des Affaires juridiques [de Bercy] précise dans quel cas et pour quelles filières un acheteur peut imposer cet article et agir en toute sécurité juridique », ajoute-t-on.

Dans la loi pourtant, tout s'est accéléré ces deux dernières années, à commencer par le projet de loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC). Dans ce texte gouvernemental promulgué le 10 février 2020, il est précisé à l'article 28, qu'à compter du 1er janvier 2021, les biens acquis par l'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements soient issus du réemploi, de la réutilisation, ou intègrent des matières recyclées dans des proportions de 20 à 100% selon le type de produit.

« Cet article va contribuer à la structuration d'une offre locale et nationale, mais pour autant le décret d'application doit être retravaillé pour être plus opérationnel, notamment en définissant mieux les familles d'achat visées », dit-on encore du côté de France urbaine.

Un plan national des achats durables

Plus récemment, la loi « Climat & Résilience » du 24 août 2021 impose aux acheteurs publics de prendre en compte, dans leurs marchés, au moins une considération liée aux aspects environnementaux des travaux, services ou fournitures achetés. Autrement dit, au moins un critère, comme le choix des matériaux, doit prendre en compte les caractéristiques environnementales de l'offre, tout en choisissant l'offre la plus avantageuse économiquement. C'est le premier objectif du Plan national des achats durables (PNAD 2022-2026), auquel s'ajoute un deuxième objectif : l'obligation d'intégrer une considération sociale dans 30% des contrats de la commande publique d'ici à 2025, comme l'égalité femme-homme.

« Les collectivités n'ont pas attendu ces réglementations pour y réfléchir, même si la crise a accentué un changement dans les pratiques d'achat », assure-t-on chez l'association d'élus Intercommunalités de France.
« La Covid-19 a en effet ouvert une réflexion au sein des intercommunalités sur les moyens d'encourager les TPE-PME à se saisir des marchés publics et sur les outils à mettre en œuvre pour leur simplifier l'accès à certains matériaux », poursuit-on.

La communauté d'agglomération Seine Eure (60 communes en Normandie) s'est par exemple fixée comme objectif d'inscrire dans ses marchés des clauses sur la réutilisation des déchets produits sur le chantier, sur le recyclage des déchets non utilisés et sur l'inclusion d'autres matériaux recyclés.

En Occitanie, la communauté d'agglomération du Grand Albigeois (16 communes dans le Tarn) a, dans le même esprit, entamé une réflexion sur une « matériauthèque » en vue de faire du « sourcing »  sur son territoire, en clair, une sorte de guide de recensement des matériaux locaux. Toujours dans cette région du Sud-Ouest, le Sicoval (36 communes en Haute-Garonne) a rénové une structure d'accueil de loisirs ainsi qu'une crèche à partir de matériaux de récupération et en s'approvisionnant localement.

Des achats socialement et écologiquement responsables

La dernière loi « Climat & Résilience » a également étendu aux collectivités, dont le volume d'achats annuels est supérieur à 50 millions d'euros - contre 100 millions jusqu'alors - l'obligation d'élaborer un SPASER (schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables). Il s'agit d'un outil créé dans le cadre de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire qui vise à encourager les collectivités territoriales à rentrer dans les clous des objectifs du plan national d'action pour l'achat public durable. Il s'applique aux achats réalisés auprès des entreprises solidaires d'utilité sociale agréées en tant que telles, ainsi qu'auprès des entreprises employant des personnes défavorisées ou appartenant à des groupes vulnérables.

Ces entreprises solidaires devraient être en première ligne dans l'application au 1er janvier 2023 de la responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les produits et matériaux de construction du bâtiment (PMCB). Actuellement, si le taux de réemploi des matériaux de construction, issus des déchets, est inférieur à 1% selon l'Agence de la transition écologique (Ademe), l'Etat vise 2% d'ici à 2024 et 4% d'ici à 2027. Des proportions encore bien faibles. « Ceci s'explique par un manque de moyens », décrypte Coline Blaison, cofondatrice de Cycle Up et administratrice du tout jeune Syndicat des acteurs du réemploi des matériaux de construction. « Seuls de petits acteurs, souvent de l'économie sociale et solidaire, créent des chaînes de reconditionnement, des espaces de stockage, alors que cela nécessite des investissements importants qui pourraient être subventionnés par des acteurs publics, mais aussi de la prescription qui passerait notamment par la contrainte règlementaire », enchaîne-t-elle.

Les responsables politiques locaux montrent la voie

En attendant, les élus locaux montrent la voie. A l'instar de la métropole du Grand Besançon qui organise chaque année une rencontre avec les entreprises « pour promouvoir une commande publique responsable », témoigne-t-on aux Intercommunalités de France.

Chez France urbaine, qui estime à 300 collectivités le nombre de territoires concernés, ont défend ainsi les SPASER : « Ce sont des documents structurants permettant d'élaborer une vraie stratégie d'achat globale par famille, pour mieux intégrer les questions de durabilité et d'inclusion dans la commande publique ». L'association des maires des grandes villes et des présidents de villes vient de monter un sous-groupe de travail dédié au suivi de ces schémas, tant pour réfléchir à leur gouvernance que pour proposer à ses adhérents une batterie d'indicateurs.

Les élus de terrains s'emparent de plus en plus de cet outil. Dernier exemple en date : l'un de ses adhérents, la ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), qui accueillera une grande partie du Village olympique en 2024, vient de se doter, le 7 juillet, d'un SPASER. « Nous affichons la volonté politique de développer une architecture durable et bioclimatique. Les Jeux olympiques vont engendrer une forte transformation des bâtiments dont nous devons anticiper l'ambition avec des matériaux sains, biosourcés et géosourcés », explique Laurent Monnet, maire-adjoint (Divers gauche), chargé notamment de la Transformation écologique et de la commande publique. « Nous réfléchissons aussi bien à l'usage et à la récupération de l'eau qu'au recyclage du béton quand c'est possible », embraye ce conseiller territorial.

« Cela nécessite plus généralement de former les élus »

Pour ancrer ces pratiques dans la loi, France urbaine a porté l'article 36 de la loi « Climat et résilience », avec l'Institut national de l'économie circulaire (INEC), auprès des parlementaires. Au 1er janvier 2025 au plus tard, l'Etat devra leur mettre à disposition des outils opérationnels. Ceux-ci permettront aux collectivités d'intégrer le coût global lié notamment à l'acquisition, à l'utilisation, à la maintenance et à la fin de vie des biens, ainsi que, lorsque c'est pertinent, les coûts externes supportés par l'ensemble de la société, tels que la pollution atmosphérique, les émissions de gaz à effet de serre, la perte de la biodiversité ou la déforestation.

« Il s'agit d'un outil à fort potentiel pour favoriser des solutions locales, mais les acheteurs manquent aujourd'hui d'outils qui leur permettraient de déployer ces analyses de cycle de vie simplement, et en toute sécurité juridique », insiste-t-on du côté de l'association d'élus.

« Cela nécessite plus généralement de former les élus », abonde-t-on aux Intercommunalités de France.

Ils ne croient pas si bien dire. Dans son dernier livre Charbons ardents (Les Editions Sydney Laurent), le président-fondateur de l'Institut national de l'économie circulaire (INEC) François-Michel Lambert, député écologiste des Bouches-du-Rhône de 2012 à 2022, écrit : « Quand le marché public ne met pas dans son cahier des charges, des critères qui favoriseraient des solutions locales, c'est le prix qui l'emporte. (...) Les élus locaux pourront plus facilement acheter localement dans le cadre d'appels d'offres à condition de former les acheteurs publics. Et maintenant, il faut aller plus loin en créant un lien entre achats publics et transformation écologique, revoir même le concept d'achat pour basculer dans l'économie de la fonctionnalité, partager l'usage plutôt qu'être propriétaire », conclut-il.

César Armand

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Commentaire 1
à écrit le 27/07/2022 à 7:09
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oui oui, il faut produire en france, quoi qu'il en coute aux collectivites qui paieront ce qu'il faut en augmentant les impots justes ( et au passage, si il y a des petits arrangements d'arriere boutique c'est encore mieux)......je ne sais pas si la ...

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