
Drôle d'ambiance à la Maison d'architecture Île-de-France en ce 5 juin. A quelques minutes des conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement, les professionnels s'émeuvent des annonces de Matignon dévoilés la veille après six mois de travail et des centaines d'heures de réunions tous azimuts. « Le malade chronique est arrivé aux urgences, j'attends maintenant la date des obsèques », lâche, saignant, Pascal Boulanger, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI).
« C'est une déception. Nous allons travailler avec le gouvernement et les parlementaires pour sauver un secteur entier, car nous aussi nous logeons nos employés. C'est ça le plus dur : il faut penser aux plus modestes », appuie Olivier Salleron, le patron de la Fédération du bâtiment (FFB).
Le président du pôle Habitat de la FFB, Grégory Monod, lui, n'a pas voulu venir. « C'est un acte volontaire », confie son délégué général Christophe Boucaux. « Si on veut tuer le malade, il n'y a pas mieux. C'est méprisant pour la maison individuelle », poursuit-il, évoquant 83.000 ventes en douze mois à fin avril, « 10% de moins que le point le plus bas et 30% de moins que la moyenne de long-terme ». « On rajoute de la peine à la douleur », conclut-il.
Cri de « colère » des professionnels d'être « méprisés »
L'heure est désormais à la grand-messe dans l'ancienne chapelle des Recollets. Sur scène, le ministre de la Ville et du Logement martèle à plusieurs reprises : « Oui, le logement intéresse l'Etat... Non, cette crise, nous ne la découvrons pas. Cette crise, je la vis au quotidien comme maire (Divers gauche) de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ».
En réalité, dans la salle, le cœur n'y est pas. Au même moment, la FPI, la FFB, son pôle Habitat, ainsi que la Fédération nationale de l'immobilier, le promoteur-constructeur-bailleur social Procivis, l'Union des syndicats de l'immobilier (Unis) et l'Union nationale des syndicats français d'architectes (UNSFA) crient, dans un communiqué, leur « colère » d'être « méprisés ».
« Il n'y a plus de politique du logement », assènent les fédérations professionnelles.
« Le gouvernement a-t-il conscience que la situation deviendra hors de contrôle et que toute la chaîne du logement continuera à se bloquer ? », s'interrogent-ils encore, pointant « des mesures non chiffrées, ou pas à la hauteur des enjeux ».
« Monsieur le ministre, on tient vraiment à cette mesure ! »
C'est ensuite au tour du maire (PS) de Villeurbanne (Rhône), Cédric Van Styvendael, co-pilote du groupe de travail sur les politiques sociales, de prendre le micro. « Arrêtons de dire que ça coûte un pognon de dingue ! », s'exclame-t-il, rappelant que la politique du logement rapporte à l'Etat près de 50 milliards d'euros par an, n'en déplaise au président Macron qui avait critiqué, dans Challenges, un « système de surdépenses publiques pour de l'inefficacité collective ».
Par la suite, les oreilles du pouvoir exécutif vont continuer à siffler. Avec la déléguée générale de l'Institut des hautes études pour le logement (Idhéal) Catherine Sabbah, l'ex-président du Conseil national de l'habitat, Mickael Nogal, député (LREM) de Haute-Garonne de 2017 à 2022, interpelle directement le ministre Klein.
« Le foncier va devenir de plus en plus rare et de plus en plus cher. Nous allons nous retrouver avec un coût du logement de plus en plus coûteux. Nous avons besoin de solutions concrètes », exhorte l'ancien parlementaire Nogal.
Ce dernier n'a jamais été élu local, mais se fait l'avocat des bâtisseurs en plaidant pour « un bonus aux maires engagés, une aide financière à chaque nouveau logement ». « Monsieur le ministre, on tient vraiment à cette mesure ! Il est indispensable d'avoir un pacte budgétaire entre l'Etat et les maires », enchaîne-t-il. Sans doute s'est-il souvenu des récentes déclarations en ce sens dudit Olivier Klein devant l'Assemblée nationale...
L'ère de l'argent public rare
« Nous sommes entrés dans l'ère de l'argent public rare. On ne règlera pas la crise uniquement par la dépense publique », avait néanmoins prévenu le ministre de la Ville et du Logement lors de son discours d'ouverture.
Il n'en fallait pas plus à la présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH), Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du Logement, pour monter au front. Si elle s'est félicitée de la reconnaissance des besoins financiers extrêmement lourds des bailleurs sociaux pour décarboner le parc social à 2050, « reste à connaître le montant de l'enveloppe dédiée et sa pérennité, si elle existe », a-t-elle pointé.
« Mais pour le reste, rien ici ne permettra de créer un choc salutaire pour la production de logements sociaux et abordables », a-t-elle poursuivi, cinglante.
Et de pointer des aides à la pierre pour le logement social qui baisseront en 2024 : « sans celles-ci, nous serons incapables de sortir le moindre logement très social, le PLAI », a-t-elle averti. Sans oublier une TVA toujours à 10% alors qu'elle aurait espéré 5,5%. Avant d'asséner : « Je ne parle même pas de l'utilisation de ce CNR pour fermer le débat sur la réduction du loyer de solidarité (RLS) qui prive chaque année les bailleurs sociaux de 1,3 milliard d'euros ».
Le logement, un secteur matraqué fiscalement ?
Le meilleur étant toujours pour la fin, la parole est revenue aux deux grands co-animateurs de ce Conseil national de la refondation. D'emblée, la pdg de Nexity a ainsi attaqué un plan « minimaliste et imprécis ». « Il n'y a rien qui donne un coup de pied au fond de la piscine », a-t-elle affirmé, joignant le geste à la parole.
« Rien ne change la donne sur le marché de la location. Le bailleur n'est pas dans un paradis fiscal. Le logement est aussi un secteur matraqué fiscalement », a insisté Véronique Bédague, répondant, sans le dire, aux propos du chef de l'Etat qui avait taclé un « paradis pour les investisseurs immobiliers ».
Son binôme le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, a, de son côté, appelé à « sortir le logement de la technique, de la lecture que pourraient en avoir les financierss de la République ». « C'est une question de Première ministre, de président de la République, de société », a-t-il ajouté, à l'adresse... du ministre Klein.
« Sur le logement social, ce n'est pas acceptable. Sur la nécessité de faire quelque chose sur le foncier, maîtrisons-le. Enfin, je regrette qu'il n'y ait pas d'aides aux maires bâtisseurs. Je ne comprends pas, alors que ce serait un super message de l'Etat ! », a soutenu Christophe Robert.
Pas de déni, mais un défi
Et la Première ministre est arrivée. Très vite, elle a admis que « le nombre de permis de construire recule dans les zones tendues [où la demande prime sur l'offre] là où nous avons le plus besoin de logements », avec un marché locatif de longue durée « qui se réduit » et des conséquences « préoccupantes » pour les Français.
« Pas de déni mais un défi. Il n'y a pas de mesures magiques seules et uniques pour débloquer la situation », a fait valoir Elisabeth Borne, appelant à la mobilisation collective et à l'engagement.
Et d'annoncer que 600 millions d'euros seront débloqués chaque année jusqu'en 2027 pour la prolongation du prêt à taux zéro, à condition d'acheter dans le collectif neuf ou dans l'ancien sous réserve de rénovation. Mais aussi près de 1 milliard d'euros de prêts de la Caisse des Dépôts pour le bail réel solidaire, des logements moins chers car distinguant les prix du foncier et du bâti.
« L'Etat a une exigence d'efficacité de la dépense publique », a aussi souligné la cheffe du gouvernement.
A bon entendeur...
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