
Les associations, les élus locaux et les professionnels de la « fabrique de la ville » les attendent avec impatience. Ajournées à la dernière minute en raison d'un déplacement de la Première ministre à la Réunion en compagnie de son ministre de la Ville et du Logement, même pas évoquées par le président de la République, menacées financièrement par les ministres de Bercy, les conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) sur la politique du logement à mener seront dévoilées ce 5 juin par la cheffe du gouvernement.
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Pendant six mois, Véronique Bédague, la PDG de Nexity, le leader de la promotion immobilière, et Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, ont supervisé trois groupes de travail: un premier sur la refonte des politiques sociales de l'habitat, un deuxième pour relancer la construction et un troisième sur la transition écologique, eux-mêmes co-animés par des responsables politiques locaux et nationaux et des experts du secteur, comme Christine Leconte, présidente de l'Ordre des Architectes.
Cinq axes retenus par Matignon
Dès ce 4 juin, Matignon a communiqué à la presse les cinq axes retenus par Elisabeth Borne. Il s'agit de favoriser l'accession à la propriété, l'accès à la location, de soutenir la production et la rénovation des logements sociaux, de relancer la production de logements, et enfin d'amplifier la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé.
Au premier chapitre sur l'accession à la propriété, la mensualisation de la révision du taux d'usure sera prolongée « jusqu'à la fin de l'année » De même que les règles d'octroi du crédit immobilier vont être « assouplis » pour faciliter l'accès au crédit pour les primo-accédants et pour les investissements locatifs.
Aujourd'hui, les taux d'intérêt sont si élevés et mécaniquement les taux d'efforts si soutenus que plus de la majorité des demandes de prêt sont refusées par les banques. Réponse le 13 juin à l'issue de la réunion du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) qui fait la pluie et le beau temps.
En attendant, l'exécutif pense avoir trouvé la parade : le prêt à taux zéro (PTZ) ne s'arrêtera fin 2023 et sera prolongé jusqu'en 2027 mais dans deux cas de figure pour l'achat d'un bien neuf en immobilier collectif ou pour l'acquisition d'un habitat ancien en zone tendue, c'est-à-dire où la demande excède largement neuf, sous réserve de le rénover.
N'en déplaise à Bruno Le Maire
Et ce n'en déplaise à Bruno Le Maire. Devant les promoteurs immobiliers réunis à Bercy le 30 mai, puis lors de leur congrès le 1er juin, et enfin dans Le JDD ce 4 juin, le ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique avait souligné que le PTZ bénéficiait à 65.000 personnes et qu'il coûtait cher.
« Ne laissons donc pas croire que le PTZ est un moyen pour les millions de nos compatriotes qui sont dans la classe moyenne d'accéder à la propriété. C'est tout simplement faux. Nous devons donc le recentrer. Aucune économie n'est facile, mais toute économie est nécessaire », a-t-il asséné.
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Sur ces nouveaux prêts à taux zéro, Matignon ne donne pas pour autant de nouveaux chiffres mais promet de les « affiner » d'ici au projet de loi de finances 2024, élaboré cet été et présenté à la rentrée. Le dispositif Pinel, qui permet de bénéficier d'un avantage fiscal à condition de louer moins cher que le marché, ne sera, lui, pas prolongé.
Quelle suite aux déclarations du président Macron ?
Les équipes de la Première ministre défendent aussi l'accession sociale à travers le développement du bail réel solidaire (BRS) pour le rendre accessible à davantage de Français « en augmentant les plafonds pour qu'il y en ait plus ». Si ce dispositif consiste à séparer les prix du foncier et du bâti pour en diminuer le coût final, Matignon ne dit pas mot sur l'encadrement des prix du foncier privé et public, que réclament les acteurs publics et privés depuis au moins 2019.
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Pour favoriser l'accès à la location pour les classes moyennes, le cabinet d'Elisabeth Borne annonce que le logement locatif intermédiaire (LLI) sera ouvert à davantage de communes et au rachat de logements dans l'ancien pour les rénover. En cela, il ne fait que traduire en actes les paroles du chef de l'Etat dans Challenges qui avait invité à « regarder comment développer beaucoup plus de LLI pour baisser les prix, parce que la crise du logement se situe là ».
Par logement locatif intermédiaire, il faut entendre des habitats réservés à des populations trop riches pour accéder au logement social et trop pauvres pour acquérir du logement sur le marché libre, et qui ais restent aujourd'hui cantonnés à l'immobilier neuf et réservés aux zones A, A Bis et B1, des zones tendues où la demande prime sur l'offre.
« Aujourd'hui, le profil-type, c'est un ménage d'actifs de 38 ans avec un enfant, dont les ressources n'excèdent pas 3.000 euros à deux, qui ne reste pas plus de cinq ans, car s'inscrivant dans un parcours résidentiel », expliquait Anne-Sophie Grave, présidente du directoire de CDC Habitat, lors du rachat récent de 17.000 logements aux promoteurs.
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Cette dernière proposait ainsi d'ouvrir le dispositif aux villes moyennes qui ont retrouvé de l'attractivité depuis la crise sanitaire et le programme de revitalisation « Action Cœur de Ville » et d'en finir avec le zonage pendant deux ans à titre expérimental. Pour Matignon, il s'agit, pour l'heure, de « réviser le zonage pour faire entrer cent communes supplémentaires ».
Vers une remise à plat de la fiscalité sur les locations ?
L'équipe de la Première ministre assure aussi travailler sur une remise à plat de la fiscalité des locations pour favoriser les locations de longue durée, et ce alors qu'une proposition de loi transpartisane devait être examinée à l'Assemblée la semaine prochaine avant d'être reportée, et qu'une loi de la majorité présidentielle propose d'agir dessus pour faire baisser les prix dans les zones tendues. Par ailleurs, un rapport de l'Inspection générale des Finances préconise la fin des ristournes sur les meublés touristiques de courte durée.
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Autre piste : une convention signée avec Action Logement, le premier bailleur social et le premier producteur de logements sociaux. Il va acquérir 30.000 logements en vente en état futur d'achèvement (VEFA) auprès des promoteurs immobiliers, mais à la différence de CDC Habitat qui en achète 17.000, les modalités de financement ne sont pas (encore ?) connues. Ce n'est pas tout, le gouvernement et l'organisme qui collecte la participation de l'employeur à l'effort de construction (PEEC) vont signer une convention visant à doubler le nombre de bénéficiaires de la garantie Visale, caution ouverte à tous les moins de 30 ans.
Certes le président-candidat avait fait campagne sur la généralisation de cette garantie pour rassurer locataires et propriétaires, mais Action Logement avait vivement manifesté son opposition, pointant le coût de la facture. Reste donc à savoir qui paiera quoi, sachant que Bercy peut toujours confirmer, par décret, le classement par l'Insee de l'ex-1% Logement comme administration publique et faire de facto sa dette... publique.
Quelle sera la nature du « pacte de confiance » avec le monde HLM ?
Au menu production et rénovation logements sociaux, l'exécutif entend soutenir un deuxième plan logement d'abord, avec une enveloppe supplémentaire de 160 millions d'euros sur le quinquennat, mais aussi engager la profession dans une relance de la production de logements sociaux et soutenir les organismes via un « pacte de confiance ».
Concrètement, dans le contexte d'augmentation de la hausse du taux de livret A, qui fait bondir leurs intérêts, il y aura un renforcement des fonds propres des bailleurs, un allongement de maturité des prêts et le gel des cotisations en 2023 et 2024
Tout comme sera créé un dispositif de seconde vie pour les rénovations lourdes des logements et mis en place un dispositif d'aide à la rénovation énergétique, le parc social étant malgré tout très en avance sur l'éradication des passoires thermiques à la différence du parc privé. Les logements G, F et E seront interdits à la location en 2025, 2028 et 2034.
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Ce n'est pas tout : outre le rachat de 47.000 logements par CDC Habitat et Action Logement et la révision du zonage, la relance de la production de logements passera par la levée des blocages sur la délivrance des permis de construire en zone tendue.
Rien de neuf, comme après la Covid de 2020, un travail sera mené sur « la territorialisation des besoins actuels et futurs », grâce aux préfets chargés d'« identifier les leviers pour faciliter la construction ».
Cela se traduira aussi par l'engagement avec les élus locaux d'un programme national de renouvellement urbain des grandes friches en zone urbaine et des galettes commerciales pour favoriser le développement de nouveaux quartiers durables et mixtes. Quitte à oublier que l'Etat y travaille déjà avec la Banque des territoires...
« Des moyens supplémentaires seront mis pour réhabiliter les friches », a confié l'entourage de la cheffe de gouvernement, rappelant la pérennisation du "Fonds friche" - lancé en septembre 2020 - dans le "Fonds vert", lui-même appelé à durer.
L'Etat sera-t-il lui-même « exemplaire » ?
L'Etat sera lui-même « exemplaire », dit-on encore à Matignon. Il est question en effet d'accélérer la transformation du foncier de l'État et de ses opérateurs en faisant notamment évoluer les règles des Domaines pour contribuer à la modération des prix. Est-ce à dire que les ventes aux enchères seront interdites ? Rien n'est moins sûr...
Il est également prévu de lever les derniers freins juridiques pour favoriser la production de logements compatibles avec les objectifs de sobriété foncière pour accélérer la transformation des bureaux en logements par exemple. D'autant que le temps presse: à horizon 2031, la consommation foncière devra avoir diminué de moitié, avant d'être arrêtée d'ici à 2050 avec la politique de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols.
Sauf que les freins sont avant tout financiers. Les propriétaires d'actifs en mutation continuent de s'acquitter de la taxe foncière et de la taxe d'équipement le temps des travaux, à la différence de ceux qui détruisent tout pour reconstruire aussi. La réponse viendra peut-être du « hors site » dont l'exécutif veut bâtir « une filière d'excellence ».
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Combien ça va coûter ?
Dernier point : l'amplification de la rénovation énergétique et thermique des logements du parc privé. Comment ? En poursuivant le développement de Ma Prime Rénov « renforcée en moyens » avec un objectif de 200.000 rénovations « performantes », sans révéler ce que signifie concrètement cet adjectif.
Ou encore en déployant des guichets de conseil « France Rénov » de 450 à 1.300 sur les prochaines années ou en augmentant « significativement » le nombre de « Mon Accompagnateur Rénov », de 2.000 actuellement à 5.000 en 2025. Son rôle tel qu'imaginé par Olivier Sichel de la Banque des territoires : établir un diagnostic thermique, neutre et fiable, réaliser un plan de financement et suivre les travaux
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Aides à la rénovation des ménages et des logements sociaux, prolongation du prêt à taux zéro, nouveau programme « Logement d'abord »... Toutes ces dépenses nouvelles ont un coût, mais Matignon le martèle : elles seront gagées par des recettes de même que ce seront in fine des investissements qui rapporteront de l'argent.
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