Immobilier : « Même les Verts ont compris qu’il fallait construire » (Bernard Mounier, Bouygues)

GRAND ENTRETIEN. Refus des permis de construire, zéro artificialisation nette des sols (ZAN), intensification des recours, réglementation environnementale des bâtiments neufs « RE2020 », c'est le cocktail explosif auquel est exposé le promoteur Bouygues Immobilier. Son président Bernard Mounier, qui avait interpellé le gouvernement début août, vient d'être reçu par le ministre de la Ville et du Logement Olivier Klein.
César Armand
Bernard Mounier est président de Bouygues Immobilier depuis février 2021.
Bernard Mounier est président de Bouygues Immobilier depuis février 2021. (Crédits : Bouygues Immobilier)

LA TRIBUNE - Vous avez été reçu le 7 septembre par le ministre de la Ville et du Logement Olivier Klein. Lui avez-vous fait part de vos demandes de « mesures incitatives », évoquées début août lors de la présentation des résultats semestriels du groupe, pour débloquer la crise du logement ?

BERNARD MOUNIER - Bien sûr ! Le ministre, qui m'a reçu une heure, a sur sa table le rapport de François Rebsamen qui comporte un panel de propositions. Je ne crois pas aux solutions coercitives, mais davantage aux mesures incitatives. Par exemple, trouvons une cogestion Etat-communes en fonction des besoins.

C'est-à-dire ?

Les élus locaux sont parfaitement conscients de problèmes mais sont confrontés aux mêmes soucis que les promoteurs immobiliers. Ils font face à des rejets massifs de leur population à tout nouvel acte de construire. Un projet ne leur rapporte pas nécessairement de recettes, puisqu'une population nouvelle a besoin d'équipements publics supplémentaires, mais nous pouvons travailler ensemble sur des schémas directeurs. Il faut construire ici, densifier là, dédensifier ailleurs...

Cela débloquera-t-il vraiment l'octroi des permis de construire ?

Oui ! Même les nouveaux maires essaient de faire autrement, comme les Verts qui ont compris qu'il fallait construire. Le secteur privé ne peut rien faire pour les inciter mais a la responsabilité de prendre des mesures par lui-même pour améliorer la qualité d'usage du logement. Nous systématisons donc la présence de balcons et de pompes à chaleur et développons les systèmes vertueux. Dans chacun des parkings, nous installons des points de recharge électrique pour faire de la consommation locale, tout comme nous proposons des déplacements de mobilité douce. Nous regardons même ce que consomment les habitants à l'échelle d'un quartier.

Reste que votre projet de nouveau quartier à Charenton-Bercy semble encalminé...

Il a pris trois ans de retard... Nous avons acheté le terrain, mais nous avons encore des discussions avec la ville de Paris et la SNCF. Tout le monde parle de reconstruire la ville sur la ville et de projets mixtes et de ne plus artificialiser, mais la zone d'aménagement concertée (ZAC) n'est toujours pas créée. Nous prévoyons d'y reconvertir des entrepôts, de recouvrir des rails et de construire 250.000 mètres carrés de bureaux, de coworking et de logements, avec des commerces, une crèche, une école, du coliving, mais le temps des acteurs publics fait que le projet est long. Et ce alors qu'ils devraient être les premiers à envoyer des signes forts dans la fabrique de la ville de demain !

Cette cité du XXIème siècle, c'est aussi celle qui reconvertit des bureaux obsolètes en logements de nouvelle génération pour ne plus artificialiser les sols ?

Si nous gardons les mêmes processus de permis, la même fiscalité, les mêmes droits à construire, nous n'y arriverons jamais. Les investisseurs ont des rendements et préfèrent garder un immeuble vide qui a toujours de la valeur plutôt que le transformer.

Le bonus de constructibilité de 30% prévu depuis la loi Elan de 2018 ne suffit toujours pas à rendre les opérations viables ?

Ce n'est pas assez... Dans les immeubles haussmanniens ou les casernes militaires, a priori, il n'y a pas de problème. En revanche, pour les bâtiments des années 1970, ils restent trop vétustes avec des grands plateaux et s'avèrent souvent être des passoires thermiques. Pour ceux-là, augmentons le bonus de constructibilité et accélérons les procédures. Pourquoi attendre des mois voire des années des permis de construire ?

Défendez-vous ce raccourcissement des délais, ne serait-ce que pour éviter les recours, votre combat ?

Nous avons 5.000 lots sous recours et cela s'intensifie ! Ceux qui les déposent sont davantage motivés par des convictions militantes dogmatiques que par la remise en question du projet en lui-même. Ces professionnels de la procédure profitent de la législation en place. Comment expliquez-vous qu'en 2022, des recours puissent être éteints avec un chèque ? C'est facile de créer une association : vous ne prenez pas de risques financiers, contrairement au promoteur. D'autant qu'en amont, l'élu est censé avoir conduit une concertation.

Comment inverser la situation ?

Appliquons le modèle suisse. Chaque maire mène une concertation publique à l'issue de laquelle il organise une votation. Dès lors que l'autorisation est délivrée, il n'y a plus de recours. En France, les recours tombent toujours lorsque le travail a été fait. Sur la friche Nexans, ancienne Compagnie Générale des câbles de Lyon, nous avons créé depuis deux ans un véritable lieu d'urbanisme transitoire. Nous affichons avec nos partenaires des plans de programmation, organisons des tables-rondes et des ateliers avec des acteurs locaux. Autour d'un bar et de jeux pour enfants, nous avons demandé aux riverains « Quel quartier voulez-vous ? » Les associations de quartier sont venues, mais nous ne pouvons pas faire cela partout. Parfois, nous avons des recours pour des opérations de 20 logements...

N'est-ce parce que l'urgence environnementale préoccupe nos concitoyens, alors que la nouvelle réglementation « RE2020 » accélère la décarbonation de l'immobilier ?

Les porteurs de recours ont une méconnaissance des projets et nous reprochent de faire trop de béton, même lorsque ce sont des opérations en... bois. Après, ils vous disent que les opérations sont trop hautes... Nous aurons néanmoins encore besoin de béton pour les infrastructures, les escaliers et les rez-de-chaussée, mais nous avons signé un partenariat avec Hoffmann Green Cement Technologies qui produit du béton bas-carbone. Nous l'utiliserons localement en Vendée et dans les Pays-de-la-Loire plutôt qu'à Marseille. Pourquoi des bétonnières roulent-elles encore aux énergies fossiles ? Le carbone est un combat citoyen, c'est devenu un combat de l'entreprise.

Justement, comment agissez-vous pour réduire votre empreinte carbone ?

Nos opérations émettaient en 2020 et 2021 1.100 kg de CO2 par m², chiffres certifiés par deux bureaux d'étude experts de la RE2020. Nos futures opérations de logements, en conception dès cette année, émettront un peu moins de 800 kg de CO2 par m² sur 50 ans d'utilisation. Pour poursuivre nos objectifs de décarbonation nous allons continuer à signer des partenariats pour construire en paille, construire en terre... car il y a énormément d'initiatives locales. Nous y arriverons par l'innovation.

Comment précisément ?

Par exemple, nous nous apprêtons à signer des contrats cadres avec des fournisseurs de pompes à chaleur et leur demandons également d'étudier leur production pour qu'elle soit plus vertueuse pour l'environnement. Par exemple, afin que leur fabrication consomme moins de plastique et leur production moins d'énergie. Résultat : ils vont investir dans la transition écologique et énergétique au profit de toute la chaîne de valeur et des particuliers souhaitant changer d'équipement. Nous allons faire la même chose avec les fabricants de moquettes, de peintures et avec l'ensemble des composants. La peinture à base d'algue réduit sensiblement - de 30% environ - le taux de carbone, par rapport à une peinture classique.

Est-ce viable économiquement ?

Dans l'immobilier résidentiel, les marges des professionnels oscillent entre 5 et 8%. Nous, nous faisons moins mais nous voulons atteindre rapidement les standards de la nouvelle réglementation de 2025 : 710 kg de CO2/m² dont 260 pour la partie énergie et 650 pour la partie construction. Aujourd'hui, nous visons les 750. Avec les pompes à chaleur, la partie énergie s'effondre à 70 kg de CO2/m², mais cela reste plus difficile pour la partie construction avec le béton (710...). Pour y parvenir, nous allons généraliser la maquette numérique sur l'ensemble de nos opérations - le BIM - qui n'est utilisée jusqu'à présent que sur 5% des projets. Cela permettra d'offrir des habitats modulables avec un configurateur de logement où le futur propriétaire pourra par exemple choisir l'emplacement des cloisons. A chaque modification, le client obtiendra le nouveau prix immédiatement de même que le fournisseur sera aussitôt informé de nos besoins et de nos commandes. Aujourd'hui, ces changements s'opèrent par tableau Excel. Demain, cela donnera des gains de productivité et des produits en adéquation avec les attentes de nos concitoyens. Cela est d'ores et déjà en cours sur nos opérations en conception dès cette année.

César Armand

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Commentaires 10
à écrit le 12/09/2022 à 21:12
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Si même les verts y adhèrent, c'est que l'idée est mure

le 13/09/2022 à 18:26
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Sans doute qu'ils sont surtout rouges avant d'être verts...

à écrit le 12/09/2022 à 20:55
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Construire oui, mais pas des hlm à l’horizontal qui détruisent les meilleures terres agricoles et consomme davantage d’énergie. L’immeuble avec grande terrasse et jardin collectif devrait être la norme, comme dans certaines régions nordiques.

à écrit le 12/09/2022 à 13:05
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Vu les politiques de ces 40 dernières années on peut construire jusqu’à bétonner tout le territoire ça ne suffira jamais.les capitales européennes étant déjà pour beaucoup surdensifiees.

à écrit le 12/09/2022 à 12:03
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Les acteurs de la construction doivent se frotter les mains avec les nouvelles étiquettes énergie, et notamment l'impossibilité de louer ou vendre des biens mal classés. On pourrait en dire long sur les étiquettes énergétiques, qui par exemple n'incl...

à écrit le 12/09/2022 à 11:30
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Il faut quand meme bien comprendre une chose: les habitants actuels n ont aucun interet a qu il y ait plus de construction car ca fait baisser le prix de leur logement s il y a abondance d offre ! Si un jeune a interet a avoir pletore d offre et prix...

le 12/09/2022 à 12:45
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Pourquoi ..? les enfants prennent leur indépendance , les couples qui se séparent , l'envie de plus de surface , quitter un appart. pour une maison etc... les raisons sont nombreuses et les promoteurs sont là pour les satisfaire et ne dis t-on pas "q...

le 12/09/2022 à 15:06
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Sully disait "labourage et paturage sont les 2 mamelles de la france". on ets plus en 1950 et on a pas besoin de BTP pour employer des bac -5 sinon desoeuvrés. Pour le reste, il y a moins en moins d enfant donc moins en moins de besoins de logemen...

à écrit le 12/09/2022 à 9:45
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Les ecolos ont compris, il faut construire beaucoup pour les immigres, le reservoir electorale de la gauche dont il font partie.

le 12/09/2022 à 11:24
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Ils peuvent donc remercier Macron et son million d'immigré lors de son premier mandat ,voir remonter à Giscard et le regroupement familial en 1976 avec les conséquences que l'on connaît aujourd'hui.

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