Le béton et la terre cuite en émoi après la réglementation environnementale 2020

La fédération française des tuiles et briques (FFTB) et la filière béton s'étonnent des choix politiques opérés par le gouvernement en matière de construction neuve.
César Armand
RE2020 », la nouvelle réglementation environnementale du bâtiment doit entrer en vigueur le 1er juillet 2021.
RE2020 », la nouvelle réglementation environnementale du bâtiment doit entrer en vigueur le 1er juillet 2021. (Crédits : Reuters)

« RE2020 ». Derrière cet acronyme barbare se cache la nouvelle réglementation environnementale du bâtiment qui doit entrer en vigueur le 1er juillet 2021. D'ici à cette échéance, les professionnels de la construction doivent se mettre en ordre de bataille pour trouver des matériaux qui peuvent stocker du carbone. « Les matériaux qui émettent peu seront avantagés par rapport aux matériaux plus émetteurs », a déclaré lors de sa présentation en novembre dernier, la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon.

« Elle (la nouvelle réglementation, ndlr) oblige les acteurs à se repositionner, à faire évoluer leurs modèles. Elle n'impose pas le choix des matériaux mais donne un cap. On en revient à des matériaux plus locaux, plus naturels, moins émissifs, qu'on a utilisés pendant des siècles », résume Laurent Girometti, directeur général des établissements publics d'aménagement EPA Marne-EPA France et ancien directeur général de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages (DHUP).

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4.500 emplois localisés pour la filière de la terre cuite

En réalité, le gouvernement mise sur les matériaux biosourcés, c'est-à-dire d'origine animale ou végétale, type bois ou chanvre, à la différence des matériaux géosourcés, d'origine minérale et locale, et peu transformés comme la pierre.

Produite à partir de carrières d'argile, la terre cuite, par exemple, équipe déjà 30% des logements collectifs d'une hauteur inférieure ou égale à quatre étages, ainsi que 50% des maisons neuves. La filière des tuiles et des briques, qui pèse au total 850 millions de chiffres d'affaires annuel et représente 4.500 emplois localisés, redoute donc de passer à la trappe.

« Notre industrie a participé à l'expérimentation E+C- pendant deux ans. Aujourd'hui, nous avons l'impression que cela n'a pas servi à grand-chose. C'est un objectif de moyens et non de résultats. C'est clairement discriminant et même paradoxal », déclare ainsi Roland Besnard, PDG de Bouyer Leroux, président du GIE Briques de France et administrateur de la Fédération française des tuiles et briques (FFTB).

Ce label E+C-, qui désigne des bâtiments à énergie positive (E+) et réduction carbone (C-), avait été lancé en 2017 par la ministre du Logement et de l'Habitat durable, Emmanuelle Cosse. Aujourd'hui, présidente de l'Union sociale pour l'habitat, qui représente le monde HLM, elle juge la nouvelle méthode de l'analyse du cycle de vie (ACV) dite ''dynamique'' « en rupture » avec l'expérimentation E+C-. Aux côtés des architectes (UNSFA), d'économistes (UNTEC), des promoteurs (FPI) et des professionnels du bâtiment (FFB et CAPEB), elle a écrit aux ministres concernés pour leur demander de repousser au 31 mars 2022 l'entrée en vigueur de la "RE2020".

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Une analyse de cycle de vie (ACV) "incohérente"

La filière béton - 67.000 emplois directs répartis sur 4 400 sites en France et 200.000 emplois indirects - fait actuellement passer le même message au gouvernement. Pour son porte-parole, l'ACV dynamique est en effet « sortie du chapeau » et en « incohérence totale » avec le label E+C- et le projet de loi sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan). Ce texte impose en effet aux acteurs du BTP une obligation de résultats avant toute obligation de moyens.

« L'ACV devrait obéir à une logique de performances plutôt qu'à un objectif de moyens. Qu'on mesure nos performances intrinsèques, comme l'inertie thermique du bâtiment qui permet de se passer d'air conditionné », relève Roberto Huet, président-directeur général d'Eqiom.

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Débat sur le bois

En réalité, la Fédération française des tuiles et briques (FFTB) comme la filière béton craignent d'être écartés au profit du bois. 30% du territoire national est recouvert de forêts mais un tiers des chênes part en Chine si bien qu'il ne représente que 3% de la construction en France. En visite dans une scierie vosgienne au printemps 2018, le président Macron lui-même avait reconnu qu'« on construit actuellement avec du bois importé (...) c'est un problème ».

« Cela suppose de l'importation au détriment des engagements pour décarboner l'industrie, de même que sur le confort d'été, cela demande l'utilisation de climatisation », appuie l'administrateur de la FFTB Roland Besnard. Et le porte-parole de la filière béton Roberto Huet d'ajouter : « Le bois a ses qualités, mais on confond ce choix de construction avec le goût de se promener en forêt. La forêt industrielle sera en outre un désastre en matière de biodiversité ».

Ce n'est pas l'avis de l'ancien directeur général de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) Laurent Girometti. À la tête désormais des établissements publics d'aménagement EPA Marne-EPA France, il vient de mesurer les coûts de construction des programmes de logements. Il en ressort que l'innovation et la transition environnementale sont possibles tout en maîtrisant les dépenses.

« Le discours de preuve sur le bois existe. Les craintes un peu irrationnelles sur le mode « Ce n'est pas solide » sont derrière nous », considère-t-il. « Ses avantages constructifs sont en outre mieux cernés : la rapidité de sa pose et le silence et la propreté du chantier », ajoute-t-il.

Bois, béton, brique...  Tous ces matériaux de construction emploient des dizaines de milliers de personnes en France et se vendent très bien à l'étranger, du fait de multinationales (Bouygues, Eiffage, Lafarge, Saint-Gobain, Vinci...) installées dans le paysage international. Aussi, il ne faudrait pas que de nouvelles normes mettent en péril tout ce qu'une industrie a réussi à construire en quelques décennies.

Lire aussi : Jusqu'à fin 2022, le BTP craint des années « compliquées » en Ile-de-France

César Armand

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Commentaires 3
à écrit le 19/01/2021 à 5:16
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"On en revient à des matériaux plus locaux, plus naturels, moins émissifs, qu'on a utilisés pendant des siècles », résume Laurent Girometti." "et ancien directeur général de l'Habitat" : haut gradé en plus ! Ca me fait penser à une amie, handicapée...

à écrit le 19/01/2021 à 5:04
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Le retour a la terre bientot obligatoire. La brouette et le rateau en guise de viatique. Les neos ruraux se marrent. La France est a la ramasse. En 22 votez mieux.

à écrit le 18/01/2021 à 17:16
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Article forcément très interessant puisque parlant de matériaux communs au final, allons nous revenir vers la lauze (lourd à porter) ou les toits en chaume ? Et des toits avec panneaux photovoltaiques intégrés ? Directement des plaques qui pourra...

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