« Le ciment et le béton bas-carbone impliquent des investissements massifs » François Petry, LafargeHolcim France

INTERVIEW. Le directeur général de LafargeHolcim France, qui consacre 60% de ses budgets d'innovation et de recherche à la transition écologique, regrette que la nouvelle réglementation environnementale dite "RE 2020" « favorise » des matériaux de construction qui relâcheront « plus tard » du CO2. Pour François Petry, si le béton en émet lors de sa production, il restera une solution « pérenne » de construction et de fabrication.
Pour François Petry, directeur général de LafargeHolcim France, « la place que la RE 2020 accorde aux produits minéraux ignore tout de cette recherche et des investissements prometteurs pour des produits au poids de CO2 réduit ».
Pour François Petry, directeur général de LafargeHolcim France, « la place que la "RE 2020" accorde aux produits minéraux ignore tout de cette recherche et des investissements prometteurs pour des produits au poids de CO2 réduit ». (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Quel bilan dressez-vous de l'année 2020 et quelles perspectives envisagez-vous pour 2021 ?

FRANCOIS PETRY, Directeur général de LafargeHolcim France - Le premier confinement nous a frappé de plein fouet, comme l'ensemble du secteur. Nous avons subi un grand coup d'accordéon avec des baisses d'activités majeures, et notamment une chute de la construction lors du premier confinement. Rien qu'au premier semestre, nous avons perdu entre 15 à 20% de notre volume d'affaires.

Nous avons néanmoins connu un effet de rattrapage au deuxième semestre, avec 5 à 7% de reprise selon les activités et les marchés. Cette deuxième partie de l'année a effectivement été plus dynamique grâce à la réalisation d'ouvrages et de projets déjà lancés.

Sachant qu'en 2020, il nous a manqué 3-4 mois de transactions financières et que le nombre de chantiers et d'appels d'offres s'est réduit à la suite du décalage des élections municipales, nous sommes cependant un peu inquiets sur la continuité des affaires. En 2021, nous aurons donc besoin d'être extrêmement disciplinés, agiles et réactifs pour bien gérer la relance de la demande, ne serait-ce que pour livrer dans les délais à nos clients.

Je ne peux pas présager d'une date précise de sortie de l'épidémie, mais je pense que l'année qui s'ouvre sera plus continue avec moins de creux et des volumes légèrement supérieurs. Par rapport à l'an dernier, nous devrions ainsi progresser de 3 à 5% avec des différences importantes selon les marchés et les activités.

Dans les travaux publics, les appels d'offres locaux ont été erratiques et nous avons manqué d'activité, alors que dans le bâtiment, le gouvernement pousse fortement la rénovation, à l'inverse de la construction neuve. C'est sur ce marché du neuf que nous avons le plus d'incertitudes et le plus besoin de soutien car le besoin est là mais les mesures incitatives n'ont pas été mises en place.

La nouvelle réglementation environnementale, dite "RE 2020", met l'accent sur les matériaux biosourcés. Comment pouvez-vous y répondre ?

Pour le ciment et pour le béton, nous sommes dans une dynamique nouvelle, solide et résolue vers une réduction de l'empreinte carbone de nos produits. Le ciment et le béton bas-carbone impliquent des investissements massifs et représentent plus de 60% des budgets de notre centre mondial d'innovation et de recherche qui est près de Lyon. Par ailleurs, depuis 2018 nous avons adopté une démarche de transparence pour nos clients et nous scorons déjà tous nos produits en fonction de leur poids carbone et du pourcentage de matériaux recyclés employés (360Score).

La nouvelle réglementation environnementale favorise au-delà du raisonnable les matériaux biosourcés. La place qu'elle accorde aux produits minéraux ignore tout de cette recherche et des investissements prometteurs pour des produits au poids de CO2 réduit. Cela génère naturellement de l'incertitude. Alors même que la France dispose de tous les talents et de toute l'expérience nécessaire pour rendre les matériaux géosourcés plus vertueux pour l'environnement, cette incertitude peut rendre difficile les décisions d'investissement des actionnaires dans un marché rendu peu lisible.

Ce qui interpelle le plus, c'est que la "RE 2020" va favoriser des produits qui relâcheront plus tard du CO2, alors que nos produits en émettent lors de leur production mais ont un cycle de vie très long. Cela revient à faire peser une véritable dette carbone sur les générations futures ! Le béton répond pourtant à des attentes majeures en matière de durabilité, de production locale et de recyclabilité, car oui, le béton est recyclable à 100% dans le béton. Mais ces critères ne sont toujours pas pris en compte. Les mesures qui ont été prises ne sont pas équilibrées. Il faut des réajustements.

Lors de la signature de chartes avec les fédérations professionnelles du BTP à Bercy la semaine dernière, la ministre du Logement, Emmanuelle Wargon, a justement promis, si nécessaire, des "ajustements sur les contenus et les délais". Qu'en attendez-vous ?

Cela reste insuffisant. Nous sommes une industrie très capitalistique, dont les cycles sont longs. A court-terme, les marges de manœuvre restent faibles. Notre virage vers le bas carbone est pourtant entamé. Nous avons entendu les messages de l'opinion, des marchés et des pouvoirs publics et déjà pris des engagements forts comme le "net zéro pledge' de l'initiative onusienne SBTI, devenant ainsi le premier groupe mondial du secteur des matériaux à voir reconnaître ses engagements compatibles avec un réchauffement climatique limité à 1,5°C (accélération de l'utilisation de produits à faible teneur en carbone, recyclage de 100 millions de tonnes de déchets, doublement de l'utilisation des combustibles dérivés des déchets... Ndlr).

La lutte contre le changement climatique est inscrite dans nos objectifs de résultats. Très concrètement, nous pouvons également nous engager auprès des autorités car nous sommes en capacité d'investir et de respecter un certain nombre de seuils. Reste à l'État d'équilibrer ses décisions en faisant confiance à une industrie des matériaux présente sur tout le territoire, à la production locale répondant à des besoins eux aussi locaux et aux emplois non-délocalisables.

Que s'est-il passé dans les centrales au bord de la Seine ? Comment pouvez-vous éviter que cela ne se reproduise pas ?

Nos opérations ne rejettent rien dans la Seine, il s'agit d'incidents isolés. D'un côté, un acte de malveillance pour lequel nous avons déposé une plainte en cours d'instruction et de l'autre des erreurs opérationnelles de l'un de nos sous-traitants, qui ne correspondent pas à nos standards et qui sont inacceptables.

Nous avons réagi très vite en mettant en place des formations supplémentaires, en instaurant des contrôles plus sévères de nos process et en renforçant la surveillance des camions et des sites. Toutes ces mesures ont été partagées avec la ville, la préfecture et leur application fait l'objet de contrôles indépendants.

Les riverains du site dans le XVème arrondissement veulent que vous réduisiez la voilure du projet. De même que la Ville élabore un plan local d'urbanisme bioclimatique et que le fleuve doit être baignable d'ici aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024...

Alors même que nous disposions de toutes les autorisations et d'un permis de construire ayant épuisé les recours, nous avons souhaité participer à une concertation avec les riverains, les élus et Port de Paris. Elle approche de sa phase finale et nous avons clairement annoncé que le site ne serait pas agrandi mais bien modernisé.

Dans le même temps, il est vrai que la ville de Paris souhaite mieux maîtriser la place du béton avec des constructions aux matériaux davantage diversifiés. Nous entendons ce que nous disent les élus de la capitale et les riverains, le futur site sera plus petit, mieux inséré dans son environnement et prendra des engagements très forts en matière de production de béton bas-carbone.

Nous sommes en discussion avec la Ville pour converger sur leurs objectifs. La Seine est importante pour nous, nous y sommes le premier chargeur de fret fluvial et c'est d'ailleurs pour cette raison que les centrales sont au bord de l'eau. La quasi-totalité des matières premières qu'elles utilisent arrivent par le fleuve. Cela représente des milliers de camions en moins dans les rues de Paris et sur les routes d'Ile-de-France. Le fonctionnement d'une centrale béton n'occasionne aucun rejet dans l'eau. Nous sommes très contrôlés et inspectés.

Quelle est la place de la révolution numérique, et plus généralement de l'innovation, dans la transition écologique de la filière ?

L'innovation est déjà très présente dans la construction et les matériaux, et nos centrales à béton, nos usines de ciment sont de plus en plus connectées. Avec la numérisation, nous sommes en capacité de mieux les piloter et d'adapter très rapidement nos process. Dans le cadre du syndicat français de l'industrie cimentière (SFIC), nous avons créé en 2018 le CementLab, une structure pour être en interaction avec des startups, des développeurs et des chercheurs qui apportent leur savoir-faire pour répondre aux enjeux de la transition numérique, énergétique et du développement durable.

Nous puisons dans leurs idées pour accélérer l'innovation digitale dans tous nos métiers. Nous équipons nos sites de production pour capter la donnée et utiliser l'intelligence artificielle. Nous mettons en place des capteurs dans les matériaux dans le but de récupérer des informations utiles à la mise en place ou à la vie future des ouvrages pour lesquels nous fournissons les matériaux. Les bâtiments connectés, cela passe aussi par des matériaux connectés !

Où en êtes-vous dans la baisse de 20% de vos émissions de CO2 d'ici à 2030 ?

Nous avons des projets de cimenterie zéro émission. Nous y travaillons en continuant à développer le remplacement des combustibles fossiles de nos fours par d'autres combustibles comme la biomasse. Mais aussi en mettant au point et sur le marché des formulations de bétons au poids carbone atténué.

Notre béton ECOPact AA a un poids carbone inférieur de plus de 70% à celui d'un béton "classique"! Le principal objectif n'est pas de rendre le ciment neutre tout de suite mais de le rendre compatible avec la limitation de la hausse des températures à 1,5°C pour 2030 comme le prévoient les Accords de Paris de décembre 2015.

Nous investissons aussi très significativement dans la transformation de nos outils industriels. Nous refaisons par exemple une usine près de Toulouse pour 120 millions d'euros en l'équipant de capteurs et d'intelligence artificielle. C'est un des plus gros chantiers industriels de la région Occitanie. Ce projet permettra d'être 30% plus efficace énergétiquement et de pérenniser l'activité. A chaque étape, nous essayons de réduire notre impact carbone.

Agir sur les matériaux seuls ne suffit pas néanmoins, les modes constructifs doivent aussi changer. Avec nos outils comme le 360Sscore qui indique la performance CO2 de nos produits ou le 360Design, un outil en ligne qui évalue le poids carbone en fonction de la conception du bâtiment, des fondations, des structures et des étages, nous permettons aux architectes et bureaux d'études d'optimiser leurs choix. En leur apportant cette compétence additionnelle, ces professionnels peuvent intégrer, outre la logique du coût, celui du carbone et l'impact environnemental dans leurs choix.

Le monde se dirige vers la fin du pétrole. Et du béton aussi ?

Je suis convaincu que le béton restera une solution pérenne de construction et de fabrication. C'est un matériau d'avenir et il est incontournable, particulièrement dans les fondations et les infrastructures. Il n'existe pas encore d'alternatives pour construire et renouveler la ville. Tunnels du métro, ponts, pistes cyclables, habitations : notre métier c'est de trouver et de fournir sans cesse des solutions pour permettre aux villes de se renouveler, d'être plus modernes, accueillantes, d'être plus confortables. Et ces solutions doivent aujourd'hui être économes en carbone.

Pour y parvenir, il est extrêmement important que l'offre de ciments et bétons bas carbone se développe et que les entreprises de la filière continuent d'investir. Des projets de R&D de captage et d'utilisation du CO2 se développent en Europe et dans le monde avec des technologies rapidement mâtures. L'Autriche travaille à transformer ce carbone en plastique, et l'Allemagne en carburant pour l'aviation. Nous sommes déjà partie-prenante sur ces sujets qui intéressent de nombreux acteurs. Nous avons besoin de l'Etat pour leur donner de la perspective et pour fédérer ces énergies.

La survie de la filière passera-t-elle par la rénovation, un marché sur lequel vous vous positionnez depuis peu et sur lequel le plan de relance met le paquet ?

Les choses bougent très vite. La filière béton a un rôle important à jouer sur ce marché même s'il ne faut absolument pas oublier la construction neuve... Nous avons un produit formidable en termes d'isolation thermique que nous avons baptisé Airium. C'est une mousse minérale recyclable, très légère car remplie de bulles d'air, qui permet d'isoler les combles perdus ou encore les façades ou de rendre des parpaings isolants en les remplissant de mousse.

A un autre niveau, l'acquisition par le groupe LafargeHolcim le 8 janvier dernier de Firestone Building Products, un spécialiste des technologies de couverture, d'étanchéité et de l'enveloppe du bâtiment, témoigne de notre volonté d'évoluer d'un métier de producteur de matériaux à celui d'agrégateur de solutions avec accompagnement, conseils et services.

A l'image de vos concurrents, votre approche deviendrait-elle celle d'un apporteur de solutions systémiques ?

Notre stratégie est celle du bon matériau au bon endroit dans les bonnes utilisations. Cela passe par le développement de solutions et le renforcement de partenariats. Par exemple dans l'impression 3D, nous sommes désormais un des actionnaires de référence de XtreeE, une des jeunes entreprises françaises leader de ce domaine. Avec eux et avec nos partenaires, nous avons gagné le projet de la passerelle Pleyel au-dessus du canal St Denis pour les jeux Olympiques. D'une longueur de 40 mètres, ce sera le plus long ouvrage imprimé du monde en béton structurel.

Lire aussi : Soutenu par Bill Gates, ce four solaire peut produire du ciment et de l'acier sans CO2

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Commentaires 3
à écrit le 12/01/2021 à 13:41
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LAFARGE. a dans son ADN, la protection de l'environnement /lien WWF RÉSEAU construit rue des Belles Feuilles avant le déplacement du siège social.

à écrit le 12/01/2021 à 10:21
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Ca tombe bien il faut construire moins et mieux, tout comme il faut consommer moins et mieux et produire moins et mieux de façon générale. Il serait temps de retrouver la voie de l'ecellence industrielle que la financiarisation de notre économie ...

le 13/01/2021 à 14:48
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Faux, il faut construire plus et mieux à la fois. Plus, car le nombre de logements est largement insuffisant vs les demandes des français (il faut plus de maisons individuelles, le besoin est là et d'autant plus fort depuis la crise sanitaire). Les ...

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