Du kebab au gaz vert, les biodéchets face aux défis de la collecte massive et de la logistique

Avec un gisement potentiel de 135.000 tonnes de biodéchets supplémentaires par an, la région des Pays de la Loire, compte injecter 27% de gaz verts dans le réseau d’ici à 2030. Et devenir un territoire à énergie positive en 2050. La massification de la valorisation des biodéchets, dont le tri à la source va être obligatoire au 1er janvier 2024, pourrait devient un enjeu stratégique. A condition de relever des défis techniques, logistiques et pédagogiques.
La region des Pays de la Loire ambitionne de valoriser 135.000 tonnes de déchets par an. Objectif : contribuer à l'injection de 27% de gaz vers de nouvelle génération dans le réseau à l'horizon 2030.
La region des Pays de la Loire ambitionne de valoriser 135.000 tonnes de déchets par an. Objectif : contribuer à l'injection de 27% de gaz vers de nouvelle génération dans le réseau à l'horizon 2030. (Crédits : ©shutterstock)

« La valorisation, c'est l'histoire qu'il faut raconter, mais la véritable problématique, c'est la logistique. Il est très compliqué d'aller chercher à chaque adresse les pelures de fruits et légumes. La problématique, c'est donc la massification de la collecte », résume Guilhem Andrieu chargé d'études Energies de l'agence d'urbanisme nantaise (Auran) qui finalise une étude sur le gisement et la valorisation des biodéchets sur l'agglomération nantaise.

Un éclairage utile à moins de deux ans de l'obligation, pour tous, particuliers et professionnels, de trier à la source les biodéchets (épluchures, restes alimentaires hors matières organiques). L'intérêt est double : il s'agit à la fois d'éviter l'incinération et l'enfouissement des biodéchets, générateur de gaz à effet de serre, et d'autre part, d'utiliser cette matière première pour en faire de l'engrais et du biométhane, utilisable pour alimenter des logements et des véhicules.

Calibrer les collectes dans le temps et l'espace

Selon l'étude menée par l'Auran, l'agglomération nantaise génère à elle seule 51.000 tonnes de biodéchets (45 kilos par habitant) par an. 57% produits par les ménages, 43% par les collectivités et les entreprises. A l'échelle régionale, ce gisement « mobilisable » représenterait quelques 135.000 tonnes par an. Soit 84 kilos par habitant pour les ligériens.

« Sur le papier, quand on parle de gisements, ça marche, mais sa conversion reste très compliquée. Ça demande de changer certains gestes dans les foyers, de les équiper de sceaux à compost, de faire l'éducation de la population pour garantir la qualité du tri, et derrière d'adapter la supply-chain. C'est un vrai défi technique et logistique », observe Guilhem Andrieu.

« Les déchets d'un kebab et d'un particulier sont différents. Et, là, on entre dans une tambouille compliquée. Il faut avoir une logique dans le temps et dans l'espace. Pour atteindre les gisements voulus en 2024 et 2030, il va falloir calibrer les collectes sur des communes périphériques où l'on va avoir les poubelles d'un restaurant et d'une zone pavillonnaire, dont la problématique de collecte sera différente de celle du tissu urbain », explique-t-il.

Faire émerger de nouvelles propositions

Pour la région, il s'agit avant tout d'inciter les ligériens à réduire leur quantité de biodéchets et d'accompagner l'émergence de dispositifs de collecte, de tri et de transformation.

A l'origine d'un plan de prévention et de gestion des déchets en 2019 puis d'un plan d'actions pour l'économie circulaire pour mettre en musique ses objectifs, la collectivité ambitionne de réduire le gaspillage alimentaire des ménages de 15 kilos par habitant à l'horizon 2031. Et d'agir dans la restauration collective, notamment, auprès des cantines des lycées, de restaurants et des métiers de bouche.

« L'idée est d'intervenir sur plusieurs niveaux d'actions en relation avec les chambres consulaires et les EPCI. Notre objectif est vraiment de faire émerger de nouvelles propositions, que ce soit sur le compostage ou la méthanisation. Tout est lié, il s'agit de créer une boucle vertueuse à partir du premier geste du consommateur», rappelle Jean-Michel Buf, vice-président de la région des Pays de la Loire.

Son rôle vise surtout la planification et l'accompagnement de dispositifs, à l'image de l'appel à projets annuel lancé depuis 2018 avec l'Ademe et la Dreal pour faire émerger des initiatives associatives ou industrielles sur le territoire.

Pas de scénario exclusif à 100%

Dans les communes et sur la métropole nantaise, les initiatives se mettent progressivement en place dans la perspective de l'obligation du tri à la source au 1er janvier 2024. Depuis, quelques années, l'association la Tricyclerie récolte des déchets organiques en vélo cargo. Créée en 2017, Compost insitu est en cours d'implantation d'une plateforme de compostage à la Chapelle-sur-Erdre destiné à traiter jusqu'à 2.500 tonnes de déchets alimentaires de restaurants, d'établissements scolaires d'entreprises, de collectivités locales ou de la grande distribution, dans un rayon de 30 à 40 km autour de Nantes pour en faire un engrais agricole.

Venus en Pays de Loire 2020, les Alchimistes ambitionnent de collecter 10% des biodéchets des professionnels d'ici 2030. Au Sud de Nantes, encore, la jeune entreprise de L'assiette aux champs, fondée par deux ingénieurs agronomes, un fonctionnaire de la transition écologique, un agriculteur... vient d'acquérir un terrain de 1.600 m², vendu par la Nantes Métropole aux abords du Marché d'Intérêt National (MIN), pour déployer un centre de collecte, de tri et de déconditionnement ouvert aux grandes surfaces, cantines scolaires, entreprises.... Le démarrage est prévu pour 2023. Objectif : collecter et traiter 3.650 tonnes de biodéchets, qui produiront 80% de digestat et 20% de biogaz.

«Un kilo de déchets alimentaire permet de rouler un kilomètre en voiture. Mais, notre conviction, c'est de produire un fertilisant pour le retour au sol », indique Laurent Paul, l'un des co-fondateurs. Sur l'ensemble des projets, la logique de circuit-court prime pour éviter des transports inutiles. «Il n'y a pas de scenario exclusif, 100% méthane ou 100% compostage, car les gisements à minima ne suffiront pas. La question est maintenant de massifier la valorisation », mentionne Guilhem Andrieu.

Une facture divisée par dix

Si le compostage répond aux « petits volumes », c'est bien avec la méthanisation que la région entend accélérer et accroitre la part des énergies renouvelables dans le mix régional dont les deux tiers de la consommation énergétique sont d'origine fossiles.

Récemment déménagé en périphérie de l'agglomération, Le Marché d'Intérêt National de Nantes qui hier triait 35% de ses déchets est devenu un modèle à suivre. Le MIN de Nantes a investi 800.000 euros pour engager une véritable stratégie de captation et de tri des déchets : vingt-six locaux de pré-tri et treize filières de tri (carton, plastiques, verre, ferraille, déchets résiduels, biodéchets...) ont été mis à disposition des 140 entreprises fréquentant le centre de gros.

Résultat : « 80% des déchets ont été triés et 100% valorisés », s'enorgueillit Amaury Hanotaux, directeur général de la SEMMIN, gestionnaire du Min de Nantes Métropole.

En 2021, 2.349 tonnes de déchets ont été collectés dont 568 tonnes de biodéchets, traités dans l'unité de méthanisation Méthatreil à Machecoul (44) où ont été produits du digestat pour l'épandage, 28700 m3 de gaz dont 15200 m3 de méthane et le reste de Co2, utilisé pour alimenter des serres.

« Pour le Min, le coût de la tonne de déchets, autrefois enfouie ou incinérée, facturé 150 euros est tombé à 15 euros la tonne avec la méthanisation », indique Benoit Ligney, directeur commerce et valorisation, de la région centre Ouest chez Veolia.

Passer de l'acceptation à l'appropriation

Toujours minoritaires, la part des Energies renouvelables est passée de 8% en 2008 à 14% en 2016. Les seuls gaz verts comptent pour 2,7% en Pays de la Loire (10% en Vendée). On est encore loin du compte et de l'ambition, affichée par la région et soutenu pas GRDF, d'injecter 27% de gaz verts dans le réseau d'ici à 2030.

Et l'énergéticien s'y prépare activement. « Un quart du potentiel de biométhane se situe sur les territoires des Pays de la Loire de Bretagne et du Val de Loire », mentionne Veronique Bel, directrice interrégionale de GRDF, qui y voit un formidable potentiel.

Le groupe estime devoir investir une quinzaine de millions d'euros par an pour renforcer le réseau et permettre le raccordement des installations. A ce jour, la région, qui valorise 270.000 tonnes de déchets en méthanisation compte vingt-cinq sites de biométhane dont onze peuvent accueillir des biodéchets. Vingt-trois autres sont en projet au cours des prochaines années pour accompagner les 135.000 tonnes supplémentaires promis par les nouveaux gisements.

« Sur la base des projets à venir au cours des trois à cinq prochaines années, nous devrions injecter 14% de gaz verts d'ici 2025 », estime Véronique Bel, dont le feuille de route passera par beaucoup de communication pour sensibiliser, expliquer et convaincre. « Il faut maintenant accélérer. Passer de l'acceptation à l'appropriation. », dit-elle.

Quel que soit leur moteur, tous les acteurs le rappellent. Le passage à l'échelle ne pourra se faire qu'avec de la pédagogie, l'adhésion et la mise en pratique du citoyen.

«Nous devons faire comprendre ce qu'est le gaz vert. Il faut qu'on réexplique ce qu'est la réglementation environnementale - dans le BTP - et que le développement du gaz vert est une réalité. Nous devons remettre du concret dans le ressenti.»

Selon le Schéma régional de la biomasse élaboré par le conseil régional des Pays de la Loire, 55% de la production primaire d'énergies renouvelables provient de la biomasse, dont 41,2% par le Bois Energie, 8,4% par la chaleur, et 5,9% par les déchets.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? « Si la valorisation du gisement biodéchets de la métropole passait par la méthanisation, près de la moitié de la flotte de bus de l'opérateur de transport nantais pourrait rouler au biométhane produit à partir des biodéchets alimentaires », mentionne l'étude de l'Auran.

Et Guilhem Andrieu d'ajouter : « On ne fera pas tourner une usine d'Airbus avec des épluchures de carottes mais c'est tout l'enjeu de la politique de transition énergétique. C'est des petits pas... Et, ça fait partie de la réponse territoriale vers la neutralité carbone.»

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Commentaires 2
à écrit le 28/03/2022 à 13:17
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J'imagine le système à Paris, un conteneur de plus pour collecter les déchets humides dits épluchures... Ramassés chaque jour ? Pour ne pas fermenter trop longtemps et bio-dégazer à l'air libre (méthane effet de serre 25 fois celui de CO2). Dans un ...

à écrit le 28/03/2022 à 12:58
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Plus on trie plus et on paye cher les poubelles, plus on fait d'efforts et plus cela engraisse ceux qui détruisent le monde en ronflant, d'une part. Ensuite c'est un casse tête insoluble étant donné que la nourriture agro-industrielle ne fera pas un ...

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