Les chercheurs français veulent développer leur propre projet de centrale à fusion nucléaire en parallèle de la participation de la France au projet international du réacteur Iter, dont le chantier pharaonique se poursuit à Cadarache (Bouches-du-Rhône).
Le CEA espère en effet obtenir le financement d'une étude de faisabilité d'un réacteur à fusion nucléaire. « L'idée est de travailler à la conception d'une centrale à fusion nucléaire compacte et rapide à construire à l'image de ce que font les Anglais », explique Jérôme Bucalossi, à la tête de l'Institut de recherche sur la fusion magnétique du CEA.
Contrairement à la fission nucléaire, sur laquelle repose toutes les centrales nucléaires en fonctionnement dans le monde, la fusion nucléaire ne consiste pas à casser des noyaux lourds d'uranium pour libérer de l'énergie, mais à faire fusionner deux noyaux d'hydrogènes extrêmement légers pour créer un élément plus lourd. Cette réaction, qui permet de dégager des quantités d'énergie faramineuses, est la même que celle du soleil et des étoiles.
Le seuil d'ignition pas encore atteint
Pour que ce mariage d'atomes ait lieu, il est nécessaire de rapprocher et de chauffer à 150 millions de degrés les noyaux, alors sous forme de plasma, suffisamment longtemps pour produire plus d'énergie que celle nécessaire à amorcer la réaction. Celle-ci se déroule dans une structure appelée tokamak, qui prend souvent la forme d'un donut et dont le fonctionnement repose sur des champs magnétiques très puissants permettant de confiner la matière.
Dans l'enceinte du tokamak, l'énergie générée par la fusion des noyaux atomiques est absorbée sous forme de chaleur par les parois de la chambre à vide. Tout comme les centrales nucléaires reposant sur la fission, la chaleur est utilisée pour produire de la vapeur, puis de l'électricité, grâce à des turbines et des alternateurs.
Aujourd'hui, aucune centrale nucléaire dans le monde ne fonctionne avec cette technologie. Et pour cause, le seuil d'ignition, c'est-à- dire quand la réaction produit plus d'énergie qu'il n'en a fallu pour l'initier, n'a pas encore été atteint.
Changer de paradigme et faire un réacteur plus compact
Initié en 2006 et réunissant six pays et l'Union européenne, le projet Iter doit justement faire la démonstration de la viabilité scientifique et technique de cette solution à grande échelle. « Iter sera la plus grande installation de ce type au monde », revendique ainsi l'organisation internationale sur son site en précisant que la machine, une fois finalisée, pèsera quelque 23.000 tonnes.
Or sur le terrain, cette dimension XXL engendre un niveau de complexité sur le plan de l'ingénierie que les physiciens n'avaient pas anticipé. Ce retour d'expérience couplé à de récentes ruptures technologiques sur des matériaux supraconducteurs à haute température ont conduit à un changement de paradigme : l'objectif n'est plus de faire des machines encore plus grandes, mais, au contraire, de développer des réacteurs à fusion nucléaire plus petits, à l'image de ce qui se produit dans l'industrie de la fission nucléaire qui s'oriente désormais vers des petits réacteurs modulaires, les fameux SMR (pour small modular reactors).
C'est dans cette optique que le CEA entend soumettre sa candidature dans le cadre de la troisième vague des Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Ce dispositif constitue le volet amont/recherche du plan France 2030, lancé il y a un an par Emmanuel Macron pour « faire émerger dans notre pays et en Europe les champions de demain qui, dans les domaines numériques, de l'industrie verte, des biotechnologies, ou encore de l'agriculture, dessineront notre avenir ». Objectif : assurer à la France une place de premier rang dans ces domaines stratégiques pour son économie et sa souveraineté.
Décrocher un financement de plusieurs dizaines de millions d'euros
« Nous avions candidaté une première fois, mais le jury international des PEPR nous a demandé de retravailler notre projet, qui était de nature très exploratoire, sous un angle plus industriel », explique Jérôme Bucalossi. « En cas de troisième vague PEPR et selon ses contours, nous pourrions proposer un projet qui nous permette d'accélérer ces développements », précise-t-il, avec à la clef un financement de plusieurs dizaines de millions d'euros. « Dans tous les cas, nous continuons d'étudier la faisabilité d'une centrale fusion compacte d'une centaine de MW ».
Des financements accrus et la crise climatique ont donné un nouvel élan à la course pour la fusion nucléaire, même si son calendrier n'est, a priori, pas compatible avec l'atteinte de la neutralité carbone en 2050. Plusieurs pays ont ainsi lancé leur propre projet national. C'est le cas du Royaume-Uni « qui est le plus gros promoteur de la fusion nucléaire en Europe », souligne Jérôme Bucalossi. « Son programme STEP vise à développer un réacteur à fusion connecté au réseau électrique avant 2040 », précise-t-il. En parallèle, une trentaine d'acteurs privés s'attaquent aussi à cet immense défi technologique. Parmi eux, la start-up tricolore Renaissance Fusion que le CEA prévoit d'accompagner en mettant à disposition ses différentes plateformes de recherche.
Si un projet national de fusion nucléaire voyait le jour en France, il aurait l'avantage de ne pas être soumis à la gouvernance très complexe et politique d'Iter, dont les premières opérations de test sans fusion, initialement prévues en 2025, devraient démarrer avec au moins deux ans de retard.
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