Fusion nucléaire : l'utopie d'une énergie infinie

Les dimensions du projet Iter, qui vise à reproduire à grande échelle l'énergie du soleil, donnent le vertige. Y compris son horizon de temps, qui peut sembler tardif au regard de l'urgence des enjeux... et des ambitions chinoises.
Dominique Pialot
Situé à 80 kilomètres au nord de Marseille, le site Iter, jouxtant un terrain occupé depuis 1960 par le Centre d'énergie atomique (CEA), accueille près de 3.000 employés et les salariés des quelques 450 entreprises sous-traitantes.
Situé à 80 kilomètres au nord de Marseille, le site Iter, jouxtant un terrain occupé depuis 1960 par le Centre d'énergie atomique (CEA), accueille près de 3.000 employés et les salariés des quelques 450 entreprises sous-traitantes. (Crédits : ITER)

« Ce que nous essayons de faire, c'est de mettre le soleil en bouteille ». Ainsi Sabina Griffith, porte-parole d'Iter Organization, résume-t-elle le projet. L'objectif d'Iter (International thermonuclear experimental reactor) est en effet de reproduire le processus à l'oeuvre au coeur des étoiles et notamment du soleil, afin de bénéficier pour des centaines d'années d'une énergie infinie, décarbonée et beaucoup moins risquée à produire que celle du nucléaire actuel, fondé sur la fission (voir encadré).

Mais poursuivre pareille ambition nécessite d'unir ses forces, de voir grand et de raisonner à - très - long terme. L'aventure mobilise 35 pays, dont les 28 membres de l'Union européenne, les États-Unis, la Russie, l'Inde, la Chine, la Corée du Sud et le Japon. Bruxelles, via la structure Fusion for Energy (F4E), participe à hauteur de 45 %, chacune des six autres parties finançant environ 9 % du projet. Mais cet attelage n'est pas un long fleuve tranquille. Ainsi, depuis la signature fondatrice, intervenue en 2006, les États-Unis ont déjà quitté l'aventure pendant plusieurs années, pour finalement y revenir il y a quelques mois.

Aujourd'hui, bien que les équipes, auxquelles appartiennent plusieurs dizaines de salariés britanniques, assurent s'être préparées au scénario du pire, le Brexit fait planer une ombre sur le financement du projet. L'accord qui lie les partenaires prévoit qu'ils se répartissent la construction d'un premier réacteur, qui doit être assemblé en 2020. Ultérieurement, chacun des partenaires pourra fabriquer son propre réacteur dans son pays. C'est en France, qui en 2005, a remporté la partie face au Japon pour accueillir le projet, que se déroule la première phase. Plus précisément à Saint-Paul-lès-Durance (Bouches-du-Rhône).

60 % du chantier sont achevés

Sur un terrain de 42 hectares situé sur une colline bordant cet affluent du Rhône, jouxtant celui occupé depuis le début des années 1960 par le Centre d'énergie atomique (CEA), s'affairent quotidiennement près de 3.000 personnes, employés issus de tous les pays membres d'Iter mais aussi les salariés de quelque 450 entreprises sous-traitantes. Au total, environ 100.3000 personnes dans le monde sont mobilisées par le projet. Mais plus encore que son caractère cosmopolite, ce qui distingue Iter est l'horizon de temps dans lequel il s'inscrit. C'est, littéralement, le projet d'un siècle. En effet, si tout se déroule comme prévu, après la fabrication d'un premier plasma à partir d'hydrogène, prévue pour 2025, puis la première production d'énergie nucléaire à base de deutérium et de tritium en 2035, ça n'est pas avant 2050, voire 2080, que pourrait s'envisager une exploitation commerciale.

Dès la conception du projet, les choses sont allées à un train de sénateur. L'idée de reproduire sur terre la fusion solaire à grande échelle et à des fins civiles (fusion par confinement magnétique, ou contrôlée) a été évoquée pour la première fois entre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev lors du sommet de Genève en 1985. Mais ça n'est pas avant 2007 que le premier coup de pioche a été donné à Saint-Paul-lès-Durance. Entre temps, le programme a été porté sur les fonts baptismaux en 1988, le design du réacteur arrêté en 1998, et l'accord Iter signé à l'Élysée entre tous les partenaires en 2006 en présence de Jacques Chirac, pour une durée de 35 ans. Même le début des travaux à Cadarache n'a pas marqué une véritable accélération. Le principe de la contribution en nature de tous les partenaires et l'externalisation de fait de la recherche n'ont sans doute pas favorisé l'efficacité et la rapidité d'exécution. Quoi qu'il en soit, le calendrier et le budget ont rapidement commencé à déraper. Ainsi, le budget actuel avoisine les 20 milliards d'euros alors qu'il ne dépassait pas 5 milliards à l'origine, tandis que les échéances actuelles de 2025 et 2035 étaient initialement fixées à 2019 et 2027.

C'est pour remettre le chantier sur les rails que Bernard Bigot, ancien administrateur général du CEA, a été appelé à la rescousse en 2015. Avec succès semble-t-il, puisque son mandat, initialement prévu jusqu'en mars 2020, a été reconduit en début d'année pour cinq années supplémentaires. Calendrier ambitieux mais réaliste, délais et budget tenus... Iter semble s'être enfin éveillé. À ce jour, quelque 60 % du chantier sont achevés. Au coeur des 42 hectares : le bâtiment qui abritera le tokamak doit être livré en mars 2020. Cet acronyme russe désigne une chambre toroïdale à bobines magnétiques. C'est en effet dans cet aimant géant, équipé de supraconducteurs actuellement en cours de construction sur le site, qu'un plasma (un gaz chaud électriquement chargé) doit être porté à 150 millions de degrés, soit dix fois la température du soleil, pour provoquer l'assemblage de noyaux d'atomes, réaction qui dégage une grande quantité d'énergie.

Démontrer la sûreté d'un dispositif de fusion.

Ce réacteur sera placé à l'intérieur d'un cryostat, une enveloppe en acier inoxydable d'un diamètre et d'une hauteur de 30 mètres. L'ensemble pèsera 23.000 tonnes, 3,5 fois plus que la Tour Eiffel, et sera posé sur près de 500 plots parasismiques autorisant un déplacement de 60 centimètres. L'assemblage du million de composants du réacteur se poursuit sous un hall de 60 mètres de haut et autant de large. Le premier plasma, utilisé pour tester l'installation en 2025, sera produit à partir d'hydrogène. C'est seulement dans une deuxième phase à partir de 2035 que seront utilisés des atomes de tritium et de deutérium. Le but sera alors d'obtenir un plasma dans lequel la chaleur de la réaction de fusion demeure confinée pour entretenir une réaction de longue durée.

Iter vise notamment à prouver qu'avec 50 MW de puissance initiale consommée pour chauffer le plasma, il sera possible d'obtenir une puissance de fusion de 500 MW. Une performance très supérieure à celles des tokamaks existants. Le JET (Joint European Torus), installé près d'Oxford au Royaume-Uni, qui détient le record actuel, affiche une puissance de fusion de 16 MW pour une puissance de chauffage de 24 MW. C'est ce ratio qu'Iter ambitionne de porter de 0,67 à 10. Autre objectif recherché : démontrer la sûreté d'un dispositif de fusion. À ceux qui s'inquiètent d'un projet nucléaire de cette ampleur, ses promoteurs rétorquent que le deutérium n'est pas radioactif, quand la demi-vie du tritium (date après laquelle la moitié des noyaux radioactifs se sont désintégrés) n'est que de douze ans.

Aucun risque de réaction en chaîne ni de fusion du réacteur. Au pire, une installation comme Iter pourrait relâcher quelques centaines de kilos d'helium. Aux esprits chagrins qui jugent le budget de 20 milliards disproportionné, et que certains accusent d'assécher d'autres travaux de recherche, les promoteurs rétorquent avec d'autres chiffres : l'Europe dépense aujourd'hui 1 milliard d'euros par jour pour ses importations d'énergie.

La Chine en pointe

La poursuite du projet n'en reste pas moins suspendue au budget européen, qui en finance 45 %. Le Parlement européen a proposé 6 milliards pour la période 2021-2027, mais les véritables négociations interviendront en fin d'année, pour une décision finale en 2020. Ce sont les chefs d'États et de gouvernements qui auront le dernier mot et, dans un contexte où les finances publiques se tarissent, Iter doit plus que jamais faire bonne figure, en évitant notamment tout retard ou dérapage budgétaire supplémentaire. Même en supposant que le projet se déroule selon le calendrier actuel, son horizon prête le flanc à la critique.

La Chine qui, dans le cadre de sa participation à Iter, est parvenue à maintenir dans son « Superconducteur tokamak expérimental avancé » (EAST) les conditions nécessaires à la fusion nucléaire pendant plus de 100 secondes, a le projet de construire un autre réacteur à fusion nucléaire. Celui-ci serait relié au réseau électrique, et pourrait produire de l'électricité à partir de 2040 ou 2050. C'est-à-dire bien avant qu'Iter soit opérationnel... Une perspective qui n'est pas sans rappeler le précédent de l'EPR.

Alors que la mise en service de Flamanville n'en finit pas d'être reportée, celui construit par EDF et ses partenaires chinois à Taishan fonctionne déjà. Quant aux écologistes les plus hostiles au projet, ils pointent le décalage entre un projet visant la fin du siècle et les dix à vingt ans, dont nous disposons selon le GIEC, pour parvenir à nous passer des énergies fossiles.

EN CHIFFRES

500 MW. La puissance de fusion que vise Iter avec 50 MW de puissance initiale consommée pour chauffer le plasma.

Pourquoi la fusion ?

À l'inverse de la fission, réaction consistant à scinder en deux des noyaux de grande taille comme ceux de plutonium ou d'uranium - actuellement utilisée dans les réacteurs nucléaires en activité - la fusion nucléaire consiste à faire s'assembler des noyaux légers. C'est la réaction à l'oeuvre dans les étoiles ou le soleil. Les deux process dégagent une grande quantité d'énergie. Dans le cadre d'Iter, ce sont des noyaux de tritium et de deutérium qui s'assembleront pour former des noyaux d'hélium.

La chaleur produite par le choc des neutrons sur les parois du réacteur sera utilisée pour produire de la vapeur et actionner des turbines qui génèreront de l'électricité. La fusion produit peu de déchets, à l'exception des murs du réacteur, faiblement radioactifs et recyclables au bout de 100 ans, quand les déchets produits par la fission ont une durée de vie de plusieurs centaines de milliers d'années. Autre avantage de la fusion : en cas d'incident, nul risque de réaction en chaîne ni de fusion du coeur du réacteur comme cela s'est produit à Tchernobyl ou Fukushima.

Dominique Pialot

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Commentaires 7
à écrit le 05/12/2020 à 9:27
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bonjour depuis le temps que l on travaille sur le projet eter et l argent injecte dans ce projet dans lequel je supose il n y a pas de smicards a quand les resultats tant excompte nous sommes vraiment dans le flou total circuler il y a rien a voir s...

à écrit le 22/05/2019 à 15:26
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"Bruxelles finance 45%"... autant dire la France, l'Allemagne et l'Italie.

à écrit le 22/05/2019 à 12:08
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La recherche fondamentale, mère de toutes les grandes inventions, est à ce prix. J'espère voir un jour des moteurs zéro gravité, du stockage de masse de l'électricité et du pétrole à partir des lisiers.

à écrit le 22/05/2019 à 11:56
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Au lieu de gaspiller des milliards dans ces gigantesques centrales fusionnelles, il vaudrait mieux développer très vite les centrales au Thorium, comme proposées par Carlo Rubbia, et couplées à des unités de production d'Hydrogène pour les voitures d...

le 22/05/2019 à 19:39
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Renseignez vous, la centrale au Thorium nécessiterait un projet du même niveau qu'Iter pour prototype. Il n'existe pas sur Terre une masse suffisante de combustible pour lancer la réaction en chaîne, celui-ci est donc à fabriquer, processus long et c...

le 23/05/2019 à 12:15
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Vous avez parfaitement raison parce qu’il s’agirait d’une véritable révolution technologique qui, comparativement à notre « environnement » actuel (production d’énergie à partir des centrales atomiques à l’uranium, des éoliennes et des panneaux photo...

à écrit le 22/05/2019 à 11:07
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ça commence mal "mettre le soleil en bouteille". Non c'est bien plus difficile que ça

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