Cinquante parcs éoliens marins en 2050 au large des côtes françaises. L'objectif fixé par le chef de l'Etat dans son discours de Belfort est facile à mémoriser pour le terrien moyen. Mais est-il atteignable ? C'est LA question qui occupait une bonne partie des conversations ces jours-ci au centre des congrès du Havre où se tenaient simultanément les Assises nationales des énergies marines renouvelables et le salon Seanergy : la grand-messe annuelle du secteur. Si les acteurs de la filière saluent -avec enthousiasme - le changement d'échelle promis par Emmanuel Macron, beaucoup doutent de la capacité de la France à tenir le rythme.
Planifier pour changer d'échelle
Au centre des interrogations, la stratégie de planification, « clé de voûte de l'atteinte des objectifs » pour le Syndicat des Energies Renouvelables (SER). Paris affirme vouloir mettre un terme à la méthode « au coup par coup » adoptée lors des précédents appels d'offres, mais le brouillard règne encore. Alors que le gouvernement entend doubler le nombre de concessions, bien malin qui pourrait affirmer où seront localisés les futurs moulins à vent marins - qu'ils soient posés ou flottants - à construire à partir du milieu de la décennie. À 30 km ou bien à 100 kilomètres des côtes ? Sur quels périmètres ? Pour quel gisement de vent ? Avec ou sans production d'hydrogène directement en mer ? Toutes ces questions, et d'autres, ne sont pas tranchées. Sur ce point, l'Hexagone accuse un important retard par rapport à ses voisins dont la production d'énergie est, il est vrai, plus carbonée.
« En Allemagne , les zones de développement éolien sont matérialisées sur une carte par de petits polygones qui indiquent si elles seront ouvertes à court, moyen ou long terme », rappelle Yara Chakhtoura, directrice générale du groupe suédois Vattenfall, un des leaders européens de l'éolien.
Rien de tel en France où l'Etat tarde à élaborer un schéma comparable, malgré des promesses répétées. Il existe bien les documents stratégiques de façade, mais ils ne seront réactualisés qu'en 2027, comme l'a signalé Eric Banel, directeur des affaires maritimes au secrétariat d'Etat à la mer pendant les assises.
De l'urgence de raccourcir les délais
Pour les acteurs de la filière, impossible d'attendre cette échéance, sauf à hypothéquer la feuille de route macroniste. « L'impulsion politique est là, mais il faut accélérer sur la planification spatiale et temporelle pour donner de la visibilité », a martelé Jean-Louis Bal, président du SER, mardi au Havre.
Cédric Le Bousse, directeur des énergies marines chez EDF, enfonce le clou.
« Si on ne planifie pas rapidement, on va passer à côté de zones intéressantes. Pour cela, on a besoin de ressources humaines et d'expertise au niveau des administrations centrales et déconcentrées », insiste t-il.
« Dans l'état actuel des choses, 40 GW, je n'y crois pas une seconde. »
En coulisses, certains développeurs se montrent beaucoup plus insistants. « Si la prochaine PPE [Programmation Pluriannuelle de l'Energie 2024-2032, Ndlr] n'est pas assortie d'une cartographie, même évolutive comme en Allemagne, il sera tout bonnement impossible d'atteindre les 40 GW dans les délais annoncés », prévient l'un d'eux.
« Dans l'état actuel des choses, 40 GW, je n'y crois pas une seconde. Si on arrive à 30, ce sera déjà un tour de force », confie un autre.
Des délais trois fois plus longs qu'au Royaume-uni ou en Belgique
Un point au moins met tout le monde d'accord. Si elle veut atteindre ses objectifs, la France ne peut plus se satisfaire de délais de mise en service aussi longs. Faut-il le rappeler ? Près de dix ans se sont écoulés entre l'appel d'offres du parc de Saint-Nazaire et la production, il y a quelques jours, des premiers mégawatts. Un écart de temps trois fois supérieur à ceux de la Grande Bretagne ou de la Belgique.
A la clef, des inquiétudes sur la pérennité et la compétitivité de la filière industrielle. « Il n'y a rien de pire qu'un trou d'air pour des usines. Il faut aller vite en déclinant les objectifs pour chaque façade maritime », recommande Pierre Peysson, directeur du développement de l'éolien en mer chez RWE qui candidate en consortium avec TotalEnergies pour la concession du parc du centre Manche, au large du Cotentin.
Impatience chez les pêcheurs aussi : « Où va-t-on aller ? »
Les énergéticiens ne sont pas les seuls à militer en faveur de la planification. L'impatience monte aussi chez les autres usagers de la mer, pêcheurs en tête.
Vent debout contre les éoliennes, eux ont besoin d'obtenir des garanties à long terme sur la sanctuarisation, totale ou partielle, de leurs zones de pêche, explique Armand Quentel, président de la commission Environnement du Comité National des pêches. « Les zones risquent d'être hyper concentrées sur le proche côtier. Si on les superpose aux aires marines protégées, où va t-on aller ? » s'interroge-t-il tout haut.
Un autre argument plus rarement invoqué plaide en faveur de l'élaboration rapide d'une cartographie. Cette fois, cela se joue à terre, dans les infrastructures de transport de l'électricité : des réseaux dont la construction se programme des années à l'avance.
Là aussi le gestionnaire des lignes à haute tension réclame de la visibilité. « Pour l'instant, ça passe en Normandie ou en Bretagne, mais les capacités d'accueil vont être progressivement saturées, prévient Thomas Veyrenc, directeur de la stratégie. Et d'ajouter:
« La planification va donc devenir une question extrêmement concrète pour la prochaine génération de parcs. »
Le nouveau ministère de la transition énergétique est prévenu : il va devoir jouer la montre.
_____
Emploi, investissement : les énergies marines ont le vent dans le dos
Quasiment inexistante il y a encore quelques années, la filière des énergies marines renouvelables (ou EMR) se consolide à mesure que les premiers parcs se raccordent. L'observatoire des EMR a fait les comptes. En 2021, les investissements consentis par les développeurs, les exploitants et leurs fournisseurs se sont montés à 2,6 milliards d'euros. Soit une progression ébouriffante de 82% en comparaison de l'année précédente. L'emploi en progression de 32 % suit la même courbe ascendante avec plus de 1700 emplois créés l'an dernier sur 6600 au total. « Il y a bien un effet d'entraînement et une trajectoire de décollage », analyse Christophe Clergeau, délégué général de l'observatoire.
Sur le plan régional, c'est la Normandie (5 parcs et deux usines de pales et de nacelles) qui profite le plus de cette accélération. La région passe en tête pour le nombre d'emplois dans les EMR grillant au passage la politesse aux Pays de Loire. Le territoire ligérien conserve néanmoins la pole position en terme de richesse créée. Il a généré 58% du chiffre d'affaires total de la filière sur le marché français, lequel s'est monté à 1,4 milliard d'euros en 2021.
Sujets les + commentés