Éoliennes en mer : les navires d’installation manquent à l’appel

C’est désormais officiel. La livraison du parc éolien marin du Calvados va accuser plusieurs mois de retard. En cause, des difficultés d’approvisionnement mais, surtout, le manque de navires installateurs : des mastodontes qui ne courent pas les rues. L’éolien offshore ayant le vent en poupe, cette pénurie inquiète la filière.
Nanti de grues de 10.000 tonnes, le Sleipnir, l'un des plus grands navires installateurs au monde, a posé les fondations du parc de Fécamp cet été.
Nanti de grues de 10.000 tonnes, le "Sleipnir", l'un des plus grands navires installateurs au monde, a posé les fondations du parc de Fécamp cet été. (Crédits : Christophe Beyssier - EDF EN)

La scoumoune frapperait-elle les grands chantiers d'EDF ? Il n'y a pas que dans le nucléaire qu'il y a friture sur la ligne. On l'a appris il y a quelques jours : les 64 éoliennes marines du parc de Courseulles-sur-mer (500 MW), que l'énergéticien espérait raccorder au réseau fin 2024, seront finalement mises en service dans le courant du troisième trimestre de l'année suivante. Soit avec un retard de huit à neuf mois sur le calendrier initialement prévu par la division Renouvelables du groupe qui porte le projet en consortium avec Enbridge et WPD.

Raisons invoquées par les principaux intéressés ? Des difficultés d'approvisionnement, stigmates de la crise Covid, mais aussi une pénurie mondiale de navires installateurs. La nouvelle ne constitue pas à proprement parler une surprise tant le phénomène était prévisible.

La firme norvégienne Rystad Energy, société d'analyse de haut vol, alertait déjà fin 2020 sur ce risque. « La demande va monter en flèche (...). Le monde pourrait ne pas avoir assez de navires de transport lourd à horizon 2025 », pronostiquait-elle. De toute évidence, la pression se manifeste déjà. « Il est vrai que le marché peut être tendu », admet Paulo Cairo, directeur du projet du parc éolien de Dieppe-Le Tréport interrogé par La Tribune. Il faut dire que les bateaux dont on parle n'ont rien de frêles esquifs, fabricables à la chaîne.

Des géants des mers, rares et chers

Flanqués de grues géantes, ces mastodontes, à plusieurs centaines de millions d'euros, peuvent atteindre 200 mètres de long et 100 mètres de large pour les plus imposants. Leur mode opératoire est très spécifique. Une fois sur la zone, ils se juchent sur une forêt de piliers coulissants qui reposent au fond de la mer à la manière des plateformes pétrolières. Il faut bien cela pour manipuler des moulins à vent dont le poids dépasse les 10.000 tonnes.

Problème, ces navires spécialisés dans la pose de turbines sont aussi rares que chers. Selon les calculs de Rystad, on en comptabilise une trentaine  à travers le monde. Trop peu pour répondre aux besoins qui seront « quatre à cinq fois plus élevés » dans les prochaines années du fait de l'accroissement de la taille des projets et de la puissance des éoliennes, ainsi que le chiffre la société norvégienne d'analyse. C'est dire si les énergéticiens risquent de se les disputer, même si quelques armateurs en lancent de nouveaux. L'Empire du Milieu vient ainsi de livrer « un navire auto-élévateur et auto-propulsé » d'une capacité inégalée, rapporte le China Media Group.

La France à la traîne

À cet exercice, la France, qui voudrait disposer de « 50 parcs à horizon 2050 » (confer le discours de Belfort d'Emmanuel Macron), n'est pas la mieux lotie. Arrivé tardivement sur le marché de l'éolien marin, l'Hexagone ne peut compter sur aucun navire battant pavillon bleu, blanc, rouge, comme le rappelait en janvier dernier le président du Cluster maritime français (CMF) dans un rapport au ministère de la Mer.

« Les politiques volontaristes des Allemands, Danois, Néerlandais et Britanniques ont permis aux chaînes de valeur étrangères de structurer une position dominante sur les activités d'installation grâce à des flottes de navires spécialement armés », y écrit Frédéric Moncany de Saint-Aigna.

Conséquence, « la filière française dispose à ce jour d'une maîtrise limitée des opérations d'installations et de logistique maritime », pointe son rapport un peu plus loin.

C'est ainsi au gigantesque navire néerlandais, le Sleipnir (en photo ci-dessus), propriété du groupe Heerema Marine, qu'a dû faire appel Saipem pour la pose des fondations des éoliennes du parc de Fécamp dont les 71 turbines devraient être raccordées au réseau, en fin d'année prochaine.

« Il est juste de dire que la pénurie de bateaux pourrait constituer un frein au développement de l'éolien. C'est un vrai point bloquant qui nous inquiète », déplore de son côté la directrice du Cluster Normandie Maritime.

Demande de visibilité

À l'instar de Frédéric Moncany, Delphine Lefrançois réclame « une visibilité sur la planification des futurs parcs ».

« C'est à cette condition que des constructeurs français de navires prendront le risque d'investir », insiste t-elle, évoquant « des projets en cours » sans en dire plus.

En attendant, les concessionnaires des futurs parcs situés au large de nos côtes mettent ceintures et bretelles pour s'imposer dans l'agenda des armateurs.

Sur celui du Tréport, dont la mise en service est promise en 2026 par Engie et ses partenaires, « des conventions de réservation ont été signées pour assurer la disponibilité des bateaux nécessaires aux travaux d'installation en mer », nous précise le directeur du projet. « À ce stade, rien ne nous laisse penser qu'il y aura des retards », ajoute Paulo Cairo.

Même tonalité chez EDF où l'on assure que des navires seront bien sur zone pour parachever la construction du parc de Fécamp. Les disponibilités sont également acquises pour celui de Courseulles, promet le groupe.

Reste que le retard pris sur le parc en question montre que les calendriers sont susceptibles de déraper, ce qui, dans le climat de tension énergétique actuel, n'est pas une bonne nouvelle.

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Qui pour exploiter le plus grand parc éolien français ?

La course est lancée pour l'obtention de la concession du parc dit Centre Manche 1 et de son extension (Centre Manche 2) : deux projets voisins qui prévoient l'implantation de quelque 180 éoliennes pour une puissance globale de 2,5 GW, au large des côtes du Cotentin. En première phase, six candidats ont été admis à participer à la procédure de dialogue compétitif : EDF en association avec Enbridge, Engie avec le portugais EDPR, l'américain Shell, le couple franco-allemand TotalEnergie-RWE et le suédois Vattenfall allié avec WPD et la Banque des Territoires. Le lauréat devrait être choisi dans le courant du premier semestre 2023.

Un suédois sort du bois

S'agissant de la phase 2, la plus puissante, les énergéticiens ont jusqu'à ce vendredi (23 décembre) pour déposer leur dossier de candidature à l'appel d'offres (dit AO8) lancé par l'Etat mi-octobre. Pour l'instant, seul Vattenfall est sorti du bois. Le groupe suédois, déjà candidat pour Centre Manche 1, sera de nouveau en lice en association avec les mêmes partenaires, le développeur RWE ayant été rebaptisé Skyborn Renewables entretemps. « Il nous semble essentiel de confirmer aux acteurs du territoire que nous sommes une alliance engagée dans la durée en Normandie », commente Yara Chakhtoura, directrice générale de Vattenfall Eolien dans un communiqué publié le 12 décembre.  Il y a fort à parier que la dite alliance trouvera sur sa route les mêmes concurrents que lors du premier appel d'offres.

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Commentaire 1
à écrit le 21/12/2022 à 19:13
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Bonjour, Ils semblerait que la France n'est pas le savoir faire pour construire se type de navire.... Ou alors nous avons somme encore passer par des sous traitants... Histoire que gagnier quelque piécettes... S'est moche mais ils semblerait que ...

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