Féminisme et écologie : la convergence des luttes

Plus nombreuses à s'investir dans l'environnement, les femmes accèdent rarement aux postes de décision. Elles se montrent pourtant plus solides et déterminées que leurs collègues masculins, comme l'illustre la jeune garde des activistes du climat.
Dominique Pialot
La jeune activiste suédoise Greta Thunberg (17 ans) ici, avec sa célèbre pancarte lors d'une manifestation à Bruxelles le 21 février dernier, entraîne les lycéennnes et lycéens européens dans des grèves pour le climat avec ses émules belges (telle Anuna De Wever, 17 ans également, ici à sa droite) et anglaises.
La jeune activiste suédoise Greta Thunberg (17 ans) ici, avec sa célèbre pancarte lors d'une manifestation à Bruxelles le 21 février dernier, entraîne les lycéennnes et lycéens européens dans des grèves pour le climat avec ses émules belges (telle Anuna De Wever, 17 ans également, ici à sa droite) et anglaises. (Crédits : Reuters)

Le 17 novembre 1980, quelques mois après la catastrophe nucléaire de Three Mile Island, des milliers de femmes se rassemblaient devant le centre névralgique du pouvoir militaire américain à l'occasion de la Women's Pentagon Action. Ce fut sans doute la manifestation la plus spectaculaire de l'écoféminisme, mouvement fondé sur le parallèle entre la destruction de la nature et l'oppression exercée envers les femmes. Pendant une dizaine d'années, des centaines d'Américaines féministes, pacifistes, anarchistes et antinucléaires ont ainsi organisé de nombreux blocages de centrales et autres sit-in. Le mouvement a atteint l'Angleterre, où le plus grand camp éco-féministe s'est tenu de 1981 à 2000 à Greenham Common, contre l'installation de missiles nucléaires.

Vingt ans plus tard, non seulement dans la sphère militante mais aussi dans les entreprises ou le champ politique, on constate que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à s'investir dans les sujets environnementaux. La France ne fait pas exception. « Près des deux tiers de nos candidats sont des candidates », témoigne Caroline Renoux, fondatrice de Birdeo, cabinet de recrutement spécialisé en développement durable. « On a du mal à recruter des hommes », reconnaît Élisabeth Laville, fondatrice du cabinet de conseil en développement durable Utopies.

« Une majorité des quelque mille personnes en charge de ces sujets chez Bouygues sont des femmes », renchérit Fabrice Bonnifet, directeur du développement durable du groupe.

Cette surreprésentation féminine reflète en partie l'image de ces thématiques au sein des entreprises. « Directeur du développement durable, ce n'est pas la voie royale pour devenir directeur général », observe Caroline Renoux. Il est d'ailleurs rare qu'un directeur du développement durable fasse partie du Comex. Plus généralement, il dépend de quelqu'un qui, lui, y siège. « Celles qui font ce choix à la sortie de l'école subissent un écart de salaire qui se creuse encore quelques années plus tard », déplore Élisabeth Laville. « On a longtemps considéré que la protection de l'environnement était la plus importante des choses secondaires, alors que c'est la plus essentielle pour le business », regrette Fabrice Bonnifet.

Un terrain déserté par les hommes

Même constat dans la sphère politique. « Historiquement, en France comme ailleurs, l'environnement n'étant pas un sujet jugé noble, il n'était pas investi par les hommes », témoigne l'ancienne secrétaire d'État à l'environnement, Chantal Jouanno. « Il y a vingt ans [lorsqu'elle était elle-même ministre de l'Environnement dans le gouvernement Juppé, ndlr], il y avait des femmes à tous les postes clés de l'environnement en politique » se souvient Corinne Lepage, que ce soit dans les ministères, à la Commission européenne ou encore à l'ONU. Elle souligne cependant qu'il ne s'agissait pas de postes régaliens. Si c'est au poste de ministre de l'Environnement que l'on a vu le plus de femmes, « à mesure que le sujet prend de l'importance, il devient digne d'intérêt pour les hommes, et plus valorisant : Monsieur de Rugy est ministre d'État », observe-t-elle. Comme avant lui Nicolas Hulot.

Des progrès mais pas de parité

De fait, en dépit d'un surnombre de femmes, les postes clés demeurent occupés par des hommes.

« On voit de plus en plus de figures féminines dans le monde politique et entrepreneurial, mais pas au sein de l'État, là où se situe le pouvoir de régulation et où se prennent les décisions d'investissement », déplore Lucile Schmid, ancienne conseillère régionale d'Île-de-France, membre du bureau national d'EELV et cofondatrice du think tank la Fabrique écologique. « Sont-elles condamnées à rester des lanceurs d'alertes ? Ou peuvent-elles construire des dynamiques sociales ? »

Chantal Jouanno regrette pour sa part que « l'aménagement du territoire, le sujet qui a le plus d'impact, reste très masculin ».

Pour Lucile Schmid, la problématique est la même que dans d'autres champs de la société. « La différence, c'est qu'elles y sont particulièrement nombreuses, et pourtant, Nicolas Hulot reste aujourd'hui celui qui semble incarner le leadership environnemental. »

Dans le champ scientifique, la climatologue Valérie Masson-Delmotte reconnaît le chemin accompli en trente ans de rapports du Giec, dont elle copréside le groupe sur les sciences du climat. En 1990, on ne comptait que 2 % de femmes parmi les auteurs, 10 % en 2007 (quatrième rapport) et 20 % en 2014 (cinquième rapport).

Moins bien représentées dans l'ancien monde de l'énergie

« Néanmoins pour ce cinquième rapport, le pourcentage de femmes parmi les coordinateurs de chapitres était faible », reconnaît-elle, dénonçant un effet « plafond de verre » sur les fonctions à responsabilité. La situation continue de s'améliorer mais la parité n'est toujours pas atteinte. Même dans les ONG, où l'on compte plus de femmes que d'hommes, et de nombreuses directrices, comme en témoigne Isabelle Autissier, présidente du WWF France : « Sur la douzaine d'ONG du groupe informel sur la biodiversité, par exemple, nous n'étions que trois directrices ou présidentes. »

Pour Matthieu Orphelin (député ex-LRM), les femmes sont cependant nettement mieux représentées dans la transition énergétique et les énergies renouvelables, que dans l'ancien monde de l'énergie. Gwenaëlle Huet, directrice générale de la business unit « Renouvelables France » chez Engie, incarne parfaitement cette évolution.

« Les femmes occupent une place croissante à des fonctions ou dans des secteurs jusque-là de facto "réservés" aux hommes : l'industrie, en général, l'énergie plus spécifiquement », témoigne-t-elle.

Dans le seul groupe du CAC 40 dirigé par une femme (Isabelle Kocher), le conseil d'administration est féminin à 62,5 %, et les équipes dirigeantes des 24 nouvelles entités opérationnelles créées en 2016 comportent 30 % de femmes.

"Les femmes sont plus bosseuses que les hommes"

Si les femmes sont nombreuses à s'intéresser à l'environnement, c'est aussi parce qu'elles auraient une structure intellectuelle qui y correspondrait mieux. « Alors que les hommes ont tendance à avoir une vision plus technique et n'en voient pas la dimension stratégique, les femmes ont une approche plus holistique et transverse du sujet », estime Élisabeth Laville.

« On a sans doute plus que les hommes une capacité à être dans la complexité, à raisonner à différentes échelles et du plus abstrait au plus concret », veut croire Lucile Schmid.

Pour Célia Blauel, adjointe à la maire de Paris notamment chargée de l'environnement, de la transition écologique et du climat, « l'urgence écologique nécessite de casser le modèle existant et de le réinventer, ce qui demande de la technique, mais également de l'humain, une sensibilité particulière ».

Lucile Schmid estime que « les femmes sont moins corsetées, elles ont une capacité d'imagination plus importante et montrent qu'il existe d'autres manières d'investir le champ politique ». Pour autant, même parvenues à des postes de responsabilité, les femmes doivent toujours faire leurs preuves. « On est souvent snobées au début d'une réunion, il faut pouvoir prendre la parole pour montrer ce qu'on a dans le ventre et dans la tête », témoigne Célia Blauel. Résultat :

« Elles sont plus bosseuses, travaillent mieux leurs dossiers », affirme Fabrice Bonnifet. Le philosophe Dominique Bourg rapporte que deux enquêtes effectuées en 2003 et 2009 ont révélé que les rares femmes figurant parmi les parlementaires étaient les plus sensibles et les plus cultivées sur ces sujets.

Les femmes auraient en outre une façon différente de faire avancer un sujet qui requiert par définition un certain consensus. Même si « les métiers du développement durable attirent en général des femmes par ailleurs engagées dans leur vie privée, donc très convaincues, observe Caroline Renoux, elles ne les exercent pas dans la confrontation avec une posture de militantes, mais sont plus à la recherche du consensus ». « Les femmes sont moins agressives, plus apaisées et plus honnêtes intellectuellement que les hommes, qui sont plus dans des jeux de pouvoir », n'hésite pas à affirmer Fabrice Bonnifet, qui en côtoie beaucoup dans le cadre notamment du Collège des directeurs du développement durable, qui sont le plus souvent des directrices.

C'est sans doute ce qui leur permet de travailler de concert avec beaucoup d'efficacité, par exemple au sein du C40, réseau de villes engagées dans la lutte contre le changement climatique. C'est ce dont elles ont à nouveau témoigné pour la troisième année consécutive au cours de l'événement Women4climate organisé les 20 et 21 février dernier à l'Hôtel de Ville de Paris, à l'initiative du réseau de villes C40 que préside Anne Hidalgo.

« Cette salle des fêtes de l'Hôtel de Ville pleine de femmes de tous les horizons, de tous les âges et de toutes les couleurs, c'était très stimulant, se réjouit Célia Blauel. On a besoin de se donner mutuellement confiance. »

Chantal Jouanno reconnaît « une vraie solidarité entre femmes autour d'une cause à défendre, y compris issues de différents camps politiques. Même si j'ai aussi connu ce genre de solidarité transpartisane avec des hommes ».

Du courage à la radicalité

Est-ce dans cette solidarité qu'elles puisent une forme d'audace qui serait supérieure à celle dont font preuve leurs collègues masculins ? Corinne Lepage évoque une question de courage et de rapport au pouvoir. « Il faut être prête à ne pas faire passer sa carrière avant tout. », observe-t-elle. Pour Élisabeth Laville, « elles hésitent moins à disrupter le monde social dominant, dont elles ne sont de toute façon pas issues ».

Hélène Valade, directrice du développement durable de Suez et présidente de l'Orse (Observatoire de la RSE), le reconnaît : « Elles sont plus prêtes à se colleter avec les multiples résistances au changement. » « Longtemps écartées de l'exercice des plus hautes fonctions, les femmes sont davantage susceptibles de porter des changements à la hauteur des enjeux », estime Gwenaëlle Huet.

Célia Blauel admet : « On a une envie plus forte de renverser la table. » L'ancienne ministre de l'Environnement Delphine Batho va plus loin encore. Elle estime nécessaire de revenir à l'écoféminisme des années 1980, et y consacre un chapitre dans son manifeste Écologie radicale. « Il faut renouer avec cette pensée des années 1970 fondée sur une communauté d'infériorisation des femmes et de la nature. » D'autant plus que l'écoféminisme a été « marginalisé par la culture marxiste, qui place la lutte des classes au-dessus de tout. »

Marie Toussaint, membre de "Notre affaire à tous", à l'origine de "L'Affaire du siècle", salue l'action de la jeune suédoise Greta Thunberg (17 ans) et de ses émules belges et anglaises, qui entraînent les lycéens européens dans des grèves pour le climat, mais aussi sa « cousine » américaine Jamie Margolin (19 ans) ou encore la candidate démocrate américaine de 29 ans Alexandria Ocasio-Cortez (voir son portrait page 26) et son « Green New Deal », sans oublier les femmes qui s'opposent à Viktor Orban en Hongrie. « Il y a une émergence de femmes sur la scène politique, progressistes et égalitaires, qui prônent une unité du vivant, et établissent un parallèle entre l'exploitation de la nature par les êtres humains et celle des femmes, des pauvres, des migrants... », observe-t-elle, tout en soulignant que « ce qui est aujourd'hui porté par les jeunes filles à la tête des mouvements contestataires est à la fois d'une très grande radicalité et très tranquille ».

Ne pas cautionner la discrimination

Certaines restent néanmoins réticentes à établir des différences fondamentales entre les hommes et les femmes. Hélène Valade réfute ainsi toute vision sexiste de l'environnement. « Le sujet, c'est le rééquilibrage en faveur d'une plus grande place des femmes dans toutes les instances de décision. » Et de citer l'exemple de la smart city, où l'on hérite de siècles d'aménagement urbain et d'architecture ayant abouti à une ville qui valorise la représentation masculine. 98 % des noms de rues et de statues sont masculins ! « De façon générale, en l'absence de données genrées, comment les politiques publiques peuvent-elles être adaptées aux unes aussi bien qu'aux autres ? », s'interroge-t-elle. Même son de cloche chez Chantal Jouanno.

« Dire que les femmes sont différentes, je m'y refuse, cela cautionnerait la discrimination », insiste l'ancienne secrétaire d'État, qui rappelle par ailleurs qu'« hommes ou femmes, tous les ministres de l'Environnement ont été confrontés aux mêmes difficultés et aux mêmes déboires. » « J'ai vu des hommes, par exemple en Inde, très préoccupés des inégalités de genre et très soucieux d'aider à réduire ces vulnérabilités face au changement climatique », reconnaît Valérie Masson-Delmotte. « J'ai vu que l'intelligence collective d'un groupe de scientifiques est améliorée quand ce groupe est plus divers (diversité d'âge et d'expérience, diversité géographique, diversité de genre), et c'est peut-être le point le plus important pour moi », conclut-elle.

Pour Claire Nouvian, fondatrice de l'association Bloom (consacrée aux océans et à ceux qui en vivent) et cofondatrice du mouvement politique Place publique, la véritable question n'est pas celle du genre. « La seule solution pour se sortir du pétrin dans lequel on s'est mis, c'est l'empathie, et la bonne nouvelle, c'est qu'elle est gratuite ! », se réjouit-elle, tout en rappelant que les femmes peuvent en être tout autant dénuées que les hommes. Il n'en demeure pas moins que « l'ancien monde - celui qui va s'effondrer - est dirigé par des hommes », rappelle Élisabeth Laville.

« Nous ferons mieux. Inévitablement, nous ferons mieux », affirme pour sa part Christiane Taubira. « Les femmes inventeront le monde de demain, avec d'autres hommes que ceux au pouvoir aujourd'hui, veut croire Lucile Schmid. Elles sont aujourd'hui moteurs, il faut qu'elles donnent envie aux hommes de s'engager. »

[ L'événement Women4Climate, organisé le mois dernier à l'Hôtel de Ville de Paris, a rassemblé élues et entrepreneuses du monde entier. Crédit : Jean-Charles Caslo. Cliquez sur l'image pour l'agrandir. ]

Dominique Pialot

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Commentaires 10
à écrit le 10/03/2019 à 12:37
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Voilà deux sujets superficiels qui se ressemblent et qui s'assemblent comme si deux faiblesses faisaient une force; voyait l'UE de Bruxelles et son cafouillage!Il leur faudra beaucoup de propagande et pub pour que cela fonctionne un tant soi peu!

à écrit le 10/03/2019 à 11:20
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L'écologie n'est pas un problème français mais un problème mondial. Il ne faut pas culpabiliser les Français avec cet enjeu, c'est du bourrage de crane, la France ne serait producteur que de 1% des nuisances écologique mondiales si j'ai compris, al...

à écrit le 09/03/2019 à 19:00
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L'écologie est devenue une religion , faut avoir la foi et l'on mélange tout pour aboutir à rien depuis des décennies , même pas planté un arbre dans ce désert du labour au glysophate . Vous voulez réduire d'un tiers la pollution et bien éléminez le...

à écrit le 08/03/2019 à 19:29
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la mise au grand jour de l échec de la politique écologique en FRANCE !

à écrit le 08/03/2019 à 16:34
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C'est vrai que c'est impressionnant mais ya quand même deux mecs qu'ont tout compris, bien joué les gars.

à écrit le 08/03/2019 à 14:25
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La convergence des luttes...pourquoi pas convergence avec les chômeurs, les mal payés,les mal logés, les gilets jaunes.......du n'importe quoi, tout fait ventre. Déjà l'écologie arrimée avec la gauche c'est limite, mais stop au bourrage de cranes .

à écrit le 08/03/2019 à 13:34
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euh, quand on fait de la modelisation statistique, on peut trouver des correlations a n'importe quoi......et quand on ne rentre pas dans le detail on dit des aneries....... he ben ici c'est pareil je pose le probleme differemment l'ultragauche ult...

le 08/03/2019 à 14:48
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L'article est payant et franchement à lire son titre, cela ne me dérange pas.

le 08/03/2019 à 16:04
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bien sur j'avais oublie de conclure brillamment """le salafisme, c'est bon pour l'ecologie, donc les femmes""" l'ultra neo gauche va etre ultra furieuse du neo syllogisme qu'elle a cree!

à écrit le 08/03/2019 à 13:17
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Il y a une énorme hypocrisie dans cet article. Le militantisme semble être le seul lien entre 2 causes différentes. Comment se dire défenseur de la nature et prôner le fait de tuer un enfant dans le ventre de sa mère ou toute les formes d’eugénisme? ...

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