« J’espère que la bioluminescence va s’imposer comme une solution alternative » (Sandra Rey)

À la tête de Glowee, Sandra Rey repense l’éclairage urbain grâce à la bioluminescence via des bactéries marines. De la haute technologie pour tenter de répondre à un défi énergétique ! (Cet article est issu de T La Revue n°13 - "Energies, la France qui innove" actuellement en kiosque).
(Crédits : DR)

Du haut du 53e étage de la tour Montparnasse, Paris s'étale sous un léger brouillard. En ce début d'après-midi, les lumières de la ville n'habillent pas encore les artères de la capitale. Il faut attendre pour distinguer petit à petit l'apparition de points lumineux tels des lucioles dessinant une autre cartographie de la cité. À l'heure où le mot « sobriété » résonne inlassablement, une femme tente de repenser ces éclairages urbains. Sandra Rey a trente-deux ans et depuis dix ans, la lumière est devenue une quasi-obsession.

Elle n'a guère le temps de s'enthousiasmer de la vue depuis son bureau. À la tête de son entreprise Glowee, elle s'efforce de prouver que la nature a sa place dans la ville. Et que les lucioles ne sont pas les seuls êtres vivants à produire de la lumière...

Depuis une décennie, Sandra Rey a compris qu'une partie de la solution à la problématique énergétique était la bioluminescence. Dans un laboratoire de Saclay, entourée de chercheurs, elle a réussi à développer une matière première vivante faite de bactéries marines naturellement bioluminescentes, pêchées en mer. Des bactéries cultivables à l'infini en laboratoire sans la moindre modification génétique, puis intégrées dans une sorte de réacteur, fonctionnant comme un aquarium. La réaction chimique qui se produit permet alors d'émettre une lumière douce, bleutée. Une source d'énergie qui n'agresse pas les yeux... On peut la regarder sans jamais se lasser, sans jamais se fatiguer... Comme si nous étions faits pour entrer en symbiose avec cette lumière.

Ces « aquariums », bassins de haute technologie, offrent ainsi des possibilités encore jamais exploitées destinées au mobilier urbain, mais aussi à des événementiels. Sandra Rey insiste : la bioluminescence, c'est utile. Et c'est beau, et « le beau peut sauver le monde ». La cheffe d'entreprise, mère de deux enfants, se démultiplie pour convaincre encore et toujours du bien-fondé de sa démarche, née il y a dix ans donc, lors d'un concours... de design !

LE DÉCLIC

Plus qu'un déclic, c'est une opportunité qui a changé le cours de la vie de Sandra Rey. Étudiante en école de design après un bac scientifique, elle participe, avec quatre autres étudiants, à un concours. Leur ambition ? S'intéresser à la production de lumière naturelle après avoir découvert un documentaire sur les poissons luminescents. « La littérature scientifique était abondante en la matière. On comprend rapidement qu'il existe des bactéries capables de produire cette lumière » précise-t-elle.

L'idée séduit et remporte le premier prix. Sandra Rey a vingt-deux ans, son idée plaît aux médias, et à des entrepreneurs qui croient en ce pari : penser la lumière de demain grâce à la bioluminescence. Sandra Rey concède volontiers avoir été dépassée par l'enthousiasme de ces potentiels clients, mais prend conscience que la demande existe.

La suite, c'est un enchaînement de concours, de tâtonnements scientifiques avec l'aide de chercheurs de l'INSERM notamment, pour donner naissance en décembre 2014 à de petits prototypes. En parallèle, Sandra Rey ne cesse jamais de parler de ce projet. « Tout le monde s'y intéresse mais dès qu'on parle de financement, c'est plus compliqué » raconte-t-elle. Nouveau coup de pouce en janvier 2015. Elle remporte un énième concours doté cette fois-ci de 100 000 euros d'investissement. Exit l'idée un peu utopique de l'école de design. Il faut se mettre en ordre de bataille, et passer en phase de concrétisation. D'autant que c'est l'année de la COP21. Le moment est propice pour prouver. Prouver que tout cela n'était pas qu'un délire estudiantin. La course au financement se poursuit avec une campagne de crowdfunding. Ces efforts et ces premiers succès permettent de créer une installation éphémère, commercialisable. De l'art pour faire prendre conscience de l'utilité de la bioluminescence ! Mais l'objectif est plus ambitieux : convaincre des collectivités territoriales, des communes et repenser le mobilier urbain.

La ville de Rambouillet accepte de signer un partenariat en 2019 en vue de tester cette lumière sur un panneau signalétique. Le projet est déterminant. Il vient valider un grand nombre d'hypothèses sur lesquelles Sandra Rey et son équipe - 19 salariés actuellement - travaillent depuis tant d'années. En repensant à la naissance de son entreprise, Sandra Rey admet que le déclic fut de toute évidence ce besoin « d'impact sociétal ». « En me lançant dans le métier de designer, c'était déjà cela. Le travail a toujours été pour moi un moyen de jouer un rôle dans la société. »

L'ENGAGEMENT

À la question « se définit-elle comme une personne engagée ? », la réponse fusa : « Oui, je suis engagée mais pas dans une activité militante. » Et de préciser joliment : « Je prône un développement durable et désirable. » Les mots ont leur importance. Depuis le début, Glowee repose sur un diptyque : le beau et l'utile. L'esthétique et le pragmatique.

Sandra Rey insiste à juste titre sur le côté émotionnel du projet. « C'est un moyen de se créer de nouveaux imaginaires. » Et une façon de dire que l'on peut penser la ville autrement. Au fond, le projet séduit parce qu'il répond à des impératifs environnementaux mêlés à une dimension poétique et esthétique. L'engagement est réel. Il s'agit aussi de répondre à des problématiques de pollution lumineuse. La bioluminescence a cet avantage de ne pas faire fuir ou détruire les insectes comme les papillons de nuit. Cette technologie nous incite avant tout à répondre à cette question : comment éclaire-t-on nos villes aujourd'hui et demain ? L'éclairage a été pensé surtout pour la circulation. Mais quid désormais des cités où les voitures tendent à disparaître, où des artères piétonnes se multiplient ? Comment repenser globalement les lumières de la ville ? Sandra Rey n'est pas une utopiste. Elle le dit et redit : « La bioluminescence ne remplacera pas tous les points lumineux. L'objectif est de se demander quelle est la meilleure source de lumière, la plus pertinente, et ce à chaque endroit. »

EN 2050

Autant de questions qui poussent à la projection dans un futur plus ou moins proche. L'horizon 2050 lui paraît loin mais pas totalement impensable. « J'espère que la bioluminescence se sera imposée comme une solution alternative. Qu'elle permettra de répondre à des problématiques à l'échelle d'un quartier, par exemple. » Mais elle, Sandra Rey, que fera-t-elle en 2050 ? « Je suis quelqu'un d'optimiste dans la vie. Mon rôle est de trouver des solutions et d'avancer. Donc, tant que je suis utile et que j'ai des compétences à apporter, je reste. Une fois le travail accompli, je pourrai laisser ma place à quelqu'un d'autre. »

Sandra Rey a créé Glowee en pensant à l'avenir. L'aventure perdure parce qu'elle pense désormais, aussi, à ses deux filles, de trois ans et d'un an. « Devenir mère m'a totalement transformée. J'ai compris qu'il y avait une autre vie en dehors du boulot. J'ai appris à relativiser, et j'ai changé ma façon de diriger l'entreprise. » Ces dix ans ont été marqués par des obstacles. Il a fallu recommencer à zéro à plusieurs reprises mais avec son optimisme, la cheffe d'entreprise reconnaît : « C'est une satisfaction d'être toujours là après tant d'années. Moi qui avais un souci de crédibilité parce que je n'étais pas biologiste, parce que j'étais une femme, j'ai réussi à tenir. Avec l'équipe, on a subi des crises mais on a toujours su rebondir. » La balle est désormais dans le camp des collectivités territoriales. Qui osera faire le pari audacieux de la bioluminescence ?

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