Du jamais vu sur le marché pétrolier. Depuis lundi, le baril de WTI, le brut américain de référence, évolue en territoire négatif. Autrement dit: les vendeurs doivent payer les acheteurs pour se débarrasser de leur pétrole. Jusqu'à 37 dollars par baril ! Une situation inédite, impensable il y a encore quelque semaines, qui illustre le spectaculaire choc qui frappe le secteur depuis que la propagation de l'épidémie de coronavirus a mis à l'arrêt des pans entiers des grandes économies mondiales, et fait plonger la demande de pétrole.
Cette première historique est avant tout une "anomalie" technique. Elle s'explique par l'expiration des contrats pour livraison en mai, qui arrivent à échéance ce mardi. Les traders et les spéculateurs qui détiennent ces contrats à terme doivent en effet s'en séparer à la hâte avant qu'ils ne se transforment en livraisons physiques. Et ainsi éviter de se retrouver avec des lots de 1.000 barils sur les bras. Ce mouvement de panique a été accentué par l'envolée des prix du stockage, alors que les capacités mondiales se remplissent très vite et pourraient être pleines au cours des prochaines semaines.
Surproduction
Une anomalie certes, mais qui pourrait bien se reproduire dans un mois lorsque les contrats pour livraison en juin arriveront à leur tour à échéance, préviennent déjà les analystes de S&P Global Platts. Car la situation sanitaire mondiale ne laisse pas entrevoir des signes de stabilisation du marché pétrolier à court terme. Dans de nombreux pays, les mesures de confinement se prolongeront, au moins, jusqu'au courant du moi de mai. Et lorsqu'elle seront levées, la relance des économies ne sera que très progressive.
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) prédit ainsi que la demande devrait chuter de 29 millions de barils par jour en avril, par rapport à 2019, retombant à son plus bas niveau depuis 1995. En mai, le repli devrait se chiffrer à 26 millions de barils par jour. Et à 15 millions de barils en juin. La surproduction pétrolière devrait donc se poursuivre pendant plusieurs mois, malgré l'accord trouvé mi-avril par les pays membres de l'Opep+ pour réduire drastiquement leur production. Mais l'ampleur de ces coupes (9,7 millions de barils par jour) reste bien insuffisante.
À défaut de faire remonter les cours, ce compromis les a simplement stabilisés. Mais seulement pendant quelques jours: les contrats à échéance juin, nouvelle référence des marchés, reculaient très fortement ce mardi. À New York, le baril de WTI plongeait de 30%, sous la barre des 15 dollars. À Londres, le baril de Brent abandonnait, lui, près de 25%, passant sous la barre des 20 dollars pour la première fois depuis décembre 2001. "L'ampleur du choc de la demande est tout simplement trop importante pour une baisse coordonnée de l'offre", notent les analystes de Goldman Sachs.
Crise du stockage
Face à la nouvelle chute des cours du brut, l'Arabie saoudite se dite prête à prendre "toute mesure supplémentaire" pour assurer la stabilité du marché. Mais le royaume, premier exportateur mondial de pétrole, ne peut pas agir seul. Il devra convaincre ses alliés, qui ont déjà accepté des coupes de 23%. À commencer par la Russie qui avait déjà traîné les pieds pour réduire sa production. D'autres membres de l'organisation pourraient aussi être réticents, alors que le Mexique avait réussi à négocier des conditions préférentielles lors du dernier accord. Pour ces pays, fermer des puits, puis les relancer plus tard, peut en effet être très coûteux. Si bien qu'il est économiquement préférable d'écouler leur brut à perte pendant quelques mois.
Pour les États-Unis, premier producteur mondial, l'enjeu est ailleurs: maintenir l'indépendance énergétique du pays, si importante sur le plan géopolitique. Mais avec un baril aussi bas, ses producteurs de schiste, déjà fortement endettés, sont très loin de leur point d'équilibre. Leur survie est donc en jeu. Mardi, Donald Trump, qui avait poussé l'Arabie saoudite et la Russie à négocier, a promis un plan d'aide au secteur, qui a déjà dû réduire la voilure ces dernières semaines. La veille, il s'était dit prêt à interdire les importations de pétrole saoudien, pour essayer de faire remonter les cours américains.
Dans ce contexte et dans l'attente d'une reprise de l'activité économique, le marché pétrolier se rapproche jour après jour d'une autre crise, potentiellement bien plus dévastatrice: celle du stockage. Aux États-Unis, par exemple, le grand dépôt de Cushing, dans l'Oklahoma, où sont livrés les barils de WTI, est rempli à environ 80%. "Les capacités de stockage mondiales sont proches d'êtres pleines. Lorsqu'elles le seront, le pétrole produit n'aura plus nulle part où aller. Cela serait un désastre pour le secteur, souligne Herman Wang de S&P Global Platts. De nombreux sites devront cesser de produire et de nombreuses compagnies pétrolières feront faillite".
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