Pilotage insuffisant, traitement à moderniser... la Cour des comptes épingle la gestion française des déchets

Les performances de la France en matière de tri et recyclage restent inférieures à la moyenne européenne mais aussi en retard par rapport aux pays plus avancés, note la haute juridiction financière. Paris n'atteindra pas son objectif de réduire les déchets ménagers de 15% en 2030 par rapport à 2010, estime la Cour. Elle appelle les collectivités comme les entreprises à élargir la prévention, à mieux planifier la modernisation des infrastructures et à simplifier le suivi des efforts de chaque acteur.
Giulietta Gamberini
Sans une accélération forte de la tendance actuelle, Paris n'atteindra pas son objectif de réduire les déchets ménagers de 15% en 2030 par rapport à 2010, estime la Cour des comptes.
Sans une "accélération forte de la tendance actuelle", Paris n'atteindra pas son objectif de réduire les déchets ménagers de 15% en 2030 par rapport à 2010, estime la Cour des comptes. (Crédits : Reuters)

Onze ans après son dernier rapport sur le sujet, publié en 2011, les principales recommandations formulées par la Cour des comptes pour améliorer la gestion française des déchets ménagers et assimilés (DMA, produits à 80% par les ménages et à 20% par les petites entreprises et les commerces) restent lettre morte. Certes, le législateur et l'exécutif ont profondément revu les normes applicables. En 2020, la Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, dite loi Agec, a notamment introduit une panoplie d'objectifs à moyen ou plus long terme, et introduit la notion de « ressource » dans le traitement des déchets.

Mais les performances de la France, avec 583 kilos de DMA par habitant en 2019, - dont 249 kilos non triés -, restent inférieures à la moyenne européenne, ainsi que lointaines de celles des pays plus avancés (Allemagne, Autriche, Pays-Bas et pays scandinaves). Et sans une « accélération forte de la tendance actuelle », Paris n'atteindra pas son objectif de réduire les déchets ménagers de 15% en 2030 par rapport à 2010, estime la Cour des comptes, qui pointe du doigt plusieurs causes de ces dysfonctionnements.

Des objectifs trop nombreux

Selon la haute juridiction financière, cette réduction des déchets se heurte tout d'abord à des problèmes de « pilotage ». D'une part, les acteurs responsables du service public de gestion des déchets -les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui délèguent souvent la phase du traitement à des syndicats intercommunaux ou départementaux, sont trop peu coordonnés pour assurer une continuité entre programmation nationale, régionale et locale, ainsi qu'entre prévention, collecte et traitement, déplore la Cour, pour qui l'« échelle efficace » serait celle des régions.

D'autre part, les objectifs à poursuivre sont trop nombreux, et les indicateurs disponibles pour mesurer les progrès trop complexes, en outre que trop tardivement disponibles, note le rapport.

« Le citoyen ne s'y retrouve pas », regrette le conseiller maître Jean-Yves Perrot.

La haute juridiction financière suggère ainsi de se concentrer sur « six indicateurs clefs, incluant la prévention et le poids des ordures ménagères résiduelles, assortis d'une représentation graphique des trajectoires constatées par rapport aux trajectoires cibles". Publiés annuellement par chaque région, ils pourraient être consolidés au niveau national.

La tarification incitative à relancer

Pour la Cour des comptes, la réduction des déchets serait aussi encouragée par une véritable mise en place de la tarification incitative, qui consiste à prendre en compte, du moins partiellement, la quantité d'ordures résiduelles produites par chaque ménage dans le calcul de la taxe ou de la redevance d'enlèvement des ordures ménagères, aujourd'hui essentiellement fondée sur la valeur locative immobilière.

Mais cette tarification, « qui devait concerner 15 millions d'habitants en 2020 selon le code de l'environnement (art. L 541-1), n'atteint aujourd'hui que 6 millions de personnes », car les collectivités chargées de la mettre en œuvre « lui reprochent d'être à la fois complexe, coûteuse dans sa gestion et aléatoire dans son produit », note la Cour.

Pourtant, ce type de fiscalité a « montré son efficacité dans la réduction des tonnages collectés et des coûts de gestion, en France comme à l'étranger ».

« Une nouvelle étape est donc aujourd'hui nécessaire pour encourager les EPCI à l'adopter ».

Et ce d'autant plus que la gestion des DMA, déjà chère (15,9 milliards d'euros en 2016, à savoir 61,5% des dépenses liées à l'ensemble des déchets produits en France, dont pourtant ils ne représentent que 12%), l'est de plus en plus : son coût a augmenté de 4,3% par an au cours de 20 dernières années. Ce dernier est d'ailleurs financé à 81,5% par la fiscalité locale, et seulement à 10% par les metteurs sur le marché des produits qui deviennent des déchets, le reste provenant de la vente des produits du traitement et de subventions de l'Etat.

La prévention négligée

Les politiques de prévention, tant des collectivités territoriales que des éco-organismes (qui réunissent les metteurs sur le marché des futurs déchets), sont aussi dans le collimateur de la Cour des comptes, qui les définit de « parent pauvre de la gestion des déchets ». Seulement 1% du coût total du service public de gestion des déchets est en effet consacré à ce volet, « et ce ratio évolue peu depuis 2015 », note l'institution.

Le rapport invite donc les collectivités territoriales à élargir leurs actions de prévention au-delà de la communication sur le geste de tri, en encourageant par exemple à la réparation et au réemploi. Il appelle aussi les entreprises à réduire les matières mises sur le marché, en se tournant vers l'écoconception des produits et des emballages. Il suggère enfin l'élaboration d'un indicateur spécifique pour mesurer ces efforts.

Le recyclage en retard

Quant au recyclage, « un chemin significatif reste à parcourir pour rejoindre les pays les plus avancés (...) et atteindre les objectifs actuels de valorisation matière que nous nous sommes fixés (55% en 2020 et  65% en 2025, soit 21 points de plus que les dernières données disponibles) », résume la Cour.

La valorisation des biodéchets, qui représentent un tiers des ordures ménagères résiduelles, et qui selon la loi devrait être une réalité dans toute la France au plus tard le 31 décembre 2023, est ralentie surtout par des difficultés de collecte. Celle des emballages rencontre aussi des problèmes de tri:

« La généralisation de la collecte en poubelle jaune de tous les déchets plastiques, prévue pour la fin 2022 (extension des consignes de tri ou ECT), n'était réalisée qu'à 62% fin 2021 ».

Elle se heurte aussi à la nécessité de moderniser le tri et le traitement, à l'origine d'une augmentation continue des dépenses des collectivités, et ce alors que ces dernières manquent des moyens pour optimiser la commercialisation des matières préparées pour être recyclées : c'est pourquoi la Cour suggère de confier cette dernière étape aux éco-organismes, et d'impliquer davantage les régions afin de planifier, rentabiliser et éventuellement financer les investissements.

L'enfouissement encore trop présent

La haute juridiction financière approuve néanmoins « l'interdiction de l'enfouissement et de l'incinération de déchets ayant fait l'objet d'une collecte séparée », instaurée en 2020.

« Cette stratégie d'élimination de la mise en décharge, couplée avec l'application d'une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) fortement désincitative, devrait permettre d'améliorer notoirement les performances du recyclage en France, comme chez nos voisins (Pays-Bas, Autriche, Belgique, Allemagne ) qui ont adopté ce type de mesure depuis les années 1990 », juge la Cour.

Aujourd'hui, elle déplore toutefois que l'enfouissement représente encore 21% du traitement des déchets, en encourageant à le remplacer au moins par une valorisation énergétique modernisée et répondant « au meilleures techniques disponibles au niveau européen ».

Lire aussiLes Bretons produisent 110 kilos de déchets ménagers de plus que la moyenne des Français chaque année

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 29/09/2022 à 10:01
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"c'est toute une filière qu'il faut mettre en œuvre" on peut rêver. :-) Déjà pour le PET des bouteilles (eau et Cie) ça cale un peu (voir l'article y a 1-2 jours), le PS y a rien (dépolymérisation thermique pour récupérer le monomère) mais l'ennui à ...

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