Préserver la biodiversité : les leçons du climat

Après le rapport alarmant du « GIEC de la biodiversité », acteurs politiques et économiques recherchent des pistes d’action.
Dominique Pialot
Toutes les sous-espèces de gorilles sont en danger, selon le rapport publié le 6 mai par l'IPBES.
Toutes les sous-espèces de gorilles sont en danger, selon le rapport publié le 6 mai par l'IPBES. (Crédits : Rollingnews IE / REX / SIPA)

« Ce qui est en jeu est la possibilité même d'avoir une Terre habitable », a déclaré Emmanuel Macron sur le perron de l'Élysée lundi 6 mai en fin de journée, avant d'évoquer des mesures de lutte contre le gaspillage alimentaire, le recours massif aux pesticides, l'artificialisation des sols... ainsi que le recyclage du plastique ou encore un agrandissement des aires naturelles protégées. Il est même allé jusqu'à qualifier le projet d'extraction minière très controversé de Montagne d'Or en Guyane d'incompatible en l'état « avec une ambition écologique et en matière de biodiversité ». Cette déclaration, dans la foulée de sa rencontre avec les scientifiques de l'IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques), tranche avec son silence sur le sujet lors de son allocution du 25 avril.

C'est qu'il aurait été difficile de ne pas réagir au rapport rendu public plus tôt dans la journée par cette initiative du Programme des Nations unies pour l'environnement. Près de 1.800 pages de travaux de 145 experts issus de 50 pays sur les changements survenus depuis cinquante ans concluent que le taux d'extinction des espèces animales et végétales est sans précédent et s'amplifie. La survie d'un million d'espèces terrestres et maritimes est menacée à horizon de quelques décennies, et l'extinction de masse qui se profile, exclusivement causée par les activités humaines, se produit à un rythme des dizaines, voire des centaines de fois plus rapide que le rythme naturel.

« Nous sommes en train d'éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier », a résumé le président de l'IPBES Robert Watson.

Causes communes

En cause, essentiellement, les changements d'utilisation des sols et des mers, la surexploitation d'espèces végétales et animales, la pollution, le changement climatique et la prolifération d'espèces invasives. Les leviers de cette érosion sont eux-mêmes sous-tendus par des modèles de production et de consommation intensifs, la croissance démographique, le commerce, l'innovation technologique ou encore une gouvernance défaillante des écosystèmes.

Le changement climatique, qui contribue directement à la perte de biodiversité, aggrave également certaines causes indirectes. Aussi préservation de la biodiversité et lutte contre le changement climatique vont-ils souvent de pair : une gestion durable des terres ou des pratiques agroécologiques concourent à la fois à préserver la biodiversité, la qualité de l'eau ou du sol, la régulation des émissions de gaz à effet de serre et le bien-être des populations.

D'ailleurs, ce sont ces synergies que les auteurs du rapport ont voulu souligner, pour créer un narratif susceptible de créer une dynamique semblable à celle qui avait précédé la COP 21 sur le climat de décembre 2015. Car, en dépit des chiffres alarmistes révélés par le rapport, il est encore possible d'agir. Si le climat souffre d'une certaine inertie en raison de l'accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, il n'en est pas de même en matière de biodiversité : les résultats de l'action peuvent être rapidement visibles

« Il n'est pas trop tard pour agir, mais seulement si nous commençons à le faire maintenant » et via un « changement transformateur » de notre société pour ralentir les « moteurs » de la perte de biodiversité « qui menace l'Homme au moins autant que le changement climatique », a néanmoins averti Robert Watson.

Le modèle de la finance climat

Justement, les politiques et les acteurs économiques et financiers semblent emprunter la voie qu'ils ont défrichée il y a quelques années pour s'attaquer au changement climatique. Ainsi, plusieurs rapports faisant le lien entre biodiversité, économie et finance ont été présentés au G7 Environnement des 5 et 6 mai à Metz.

L'OCDE évalue l'intérêt économique de la préservation de la biodiversité et les flux financiers nécessaires à sa restauration et démontre que la dépendance de l'économie à la biodiversité se traduit par des risques réputationnels, opérationnels, juridiques ou économiques pour les entreprises et la finance.

L'organisme estime la valeur des services rendus par la nature entre 125.000 et 140.000 milliards de dollars annuels, soit une fois et demie le PIB mondial. Il chiffre le coût de l'inaction lié au changement d'utilisation des sols entre 1997 et 2011 de 4.000 à 20.000 milliards de dollars par an.

Dans un autre rapport, commandé par le ministère de la Transition écologique, le WWF et Axa font des propositions pour intégrer le risque biodiversité dans les décisions d'investissements. Cette approche, mixant coût de l'inaction, risques et opportunités, est similaire à celle de Nicholas Stern et de la Global Commission on the Economy and Climate, et aux fondements de la finance climat, dont le coup d'envoi avait été donné par un discours du gouverneur de la Banque d'Angleterre et président du Conseil de stabilité financière, Mark Carney, quelques mois avant la COP 21.

Dans ce rapport, l'ONG et la banque prônent la création d'une structure regroupant l'ensemble des acteurs, une collecte plus efficace de données sur l'impact des entreprises et des acteurs financiers sur la biodiversité ainsi que des principes de reporting et de transparence dans la publication de ces données. Ce groupe de travail pourrait s'inspirer de la TFCD (Task force on climate-related financial disclosures) mise en place fin 2015 lors de la COP 21 par le Conseil de stabilité financière du G20. L'idée d'une « Task force on nature impacts disclosure » que le G7 pourrait confier à l'OCDE sera donc poussée d'ici le prochain sommet, en août prochain, à Biarritz. L'objectif recherché étant que ses travaux permettent aux États réunis à la COP 15 biodiversité, prévue à Kunming (Chine) en 2020, de fixer des objectifs ambitieux, clairs et atteignables comme l'ont été - au moins sur le papier - les engagements sur le climat pris à la COP 21.

Le sujet est plus complexe encore, notamment concernant la fixation d'objectifs, puisqu'il est impossible à résumer à un seul et unique indicateur comme l'équivalent CO2 pour le climat. Mais rien n'empêche les acteurs (étatiques ou économiques) de s'aligner sur « les limites planétaires » comme certains le font sur l'Accord de Paris.

Les ministres de l'Environnement du G7 ont adopté lundi 6 mai une "Charte de Metz de la biodiversité" sans grande portée concrète, mais qui pourrait donner le coup d'envoi d'un "Agenda de l'action sur la nature et les peuples", là encore sur le modèle de celui qui, regroupant de nombreuses parties prenantes, dont les entreprises et le secteur financier, avait précédé la COP 21. Comme sur le climat avec « Make our planet great again » et les « One planet summits », la France ne cache pas son ambition de s'afficher en pointe sur le sujet.

Dominique Pialot

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Commentaires 2
à écrit le 11/05/2019 à 10:02
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Il a raison, la sensibilité écologique est quand même de plus en plus attisée au sein, du peuple maintenant on reste tous étonné devant un kérosène quasi gratuit et des camions qui continuent de prendre le périphérique parisien, exemples parmi des mi...

à écrit le 11/05/2019 à 9:33
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"acteurs politiques et économiques recherchent des pistes d’action" Afin de ne surtout pas penser à ces dizaines de milliers de milliards de dollars qui ne servent à rien dans les paradis fiscaux... :-) LA solution la plus rapide et efficace,...

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