Rares sont les sujets capables d'unir quasi unanimement LFI, LR, le RN, EELV, le PCF et les non-inscrits. C'est pourtant ce qu'il s'est passé vendredi à l'Assemblée nationale, lors de l'examen du fameux projet de loi sur le pouvoir d'achat. En effet, contre l'avis de la majorité, les députés de l'opposition ont fait front pour relever le prix auquel EDF est contraint de vendre chaque année une partie de son électricité à ses concurrents, via le mécanisme de l'Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique. Par conséquent, ce tarif devrait ainsi atteindre « au moins 49,5 euros » par mégawattheure (MWh) à compter du 1er janvier 2023 contre 42 euros aujourd'hui, selon un amendement déposé par LR et adopté en première lecture, à 167 voix pour et 136 contre.
Et pourtant, « il s'agit en fait un cavalier législatif », c'est-à-dire une disposition qui ne résout pas le sujet traité par le projet de loi sur le pouvoir d'achat, estime Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (Creden). Alors pourquoi les parlementaires l'ont-ils passée en force de cette manière, s'attaquant par là-même à un sujet aussi complexe que clivant ?
La question essentielle du volume
Plutôt que de contenir les factures des Français, le but de la manœuvre est en fait de protéger le fleuron EDF, dont la situation financière inquiète malgré l'annonce récente de renationalisation. De fait, alors que le prix de l'électricité atteint désormais jusqu'à plusieurs centaines d'euros par MWh sur les marchés, obliger le fournisseur historique à vendre une partie de ses électrons à 42 euros/MWh seulement fait grincer des dents l'opposition. Surtout, l'exécutif a décidé en début d'année d'augmenter de 100 à 120 TWh le volume d'Arenh qu'EDF cèdera à bas prix en 2022 afin de contenir la hausse des prix pour les consommateurs, ce qui devrait entraîner un manque à gagner pour le groupe de près de 10 milliards d'euros, selon ses dernières estimations. En relevant de quelques euros le tarif d'achat des précieux électrons par les concurrents de l'entreprise, qui n'a d'ailleurs pas été revu depuis 2012, les députés espèrent ainsi limiter la casse à partir de l'an prochain.
Seulement voilà : une telle mesure n'allègerait pas les factures des Français. Car l'essentiel du problème se trouve en fait ailleurs. « Ce qui compte, ce n'est pas le prix, mais le volume d'Arenh cédé chaque année », explique Jacques Percebois. Et sur ce sujet épineux, le coup de force des députés ne résorbe en rien l'effet pervers central que suscite le mécanisme de l'Arenh lorsque les cours flambent.
La demande d'Arenh explose les quotas
Pour le comprendre, il faut se replonger dans les origines de l'Arenh. En 2010, la production nucléaire s'élevant à environ 400 TWh par an en France, « il a été décidé que les fournisseurs alternatifs pourraient accéder à prix coûtant à 25% de celle-ci », développe Jacques Percebois. C'est pourquoi le plafond a été fixé à 100 TWh, afin de permettre aux concurrents d'EDF de jouer à armes égales avec l'opérateur historique, et de maintenir une concurrence que certains qualifient d'artificielle. « Chaque client d'un fournisseur alternatif lui donne ainsi droit, en théorie, à 67 MWh d'Arenh », souligne Jacques Percebois.
Mais le nombre de ces commerciaux a explosé, jusqu'à atteindre près de 80 aujourd'hui dans l'Hexagone, d'EkWateur à Ohm Energy, en passant par Enercoop, Ilek ou encore Mint Energy. Résultat : ces derrières années, alors que de plus en plus de clients ont déserté EDF pour faire jouer la concurrence, le volume d'Arenh requis est lui aussi monté en flèche. Depuis quelques années, celui-ci excède ainsi largement le volume global disponible ; il a même atteint plus de 165 TWh en 2021, un chiffre qui devrait encore grimper.
Résultat : même avec le relèvement du quota à 120 TWh, les fournisseurs alternatifs doivent restituer la quantité d'Arenh qui leur est due en principe si celle-ci dépasse le plafond autorisé. Cette différence, qui se nomme l'écrêtement, les pousse donc à acheter la production manquante directement sur les marchés, augmentant par là-même leurs coûts d'approvisionnement.
Le tarif réglementé de vente doit s'adapter aux alternatifs, et non l'inverse
Et c'est là que le bât blesse : les prix proposés par EDF aux consommateurs et fixés par les pouvoirs publics doivent s'adapter à ces augmentations de coûts. De fait, le tarif réglementé de vente (TRV), ou tarif bleu, ne se construit pas indépendamment du marché de gros de l'électricité : à chaque fois que la part achetée par les concurrents d'EDF hors Arenh croît, « on revalorise aussi la part indexée au marché de gros dans le TRV », explique Jacques Percebois
« Concrètement, pour faire en sorte que l'électricien historique ne dispose pas d'un avantage trop fort, le volume d'Arenh demandé par les alternatifs au-delà du plafond autorisé (l'écrêtement), se répercute sur le TRV, afin qu'il soit contestable par les concurrents d'EDF. En fait, ce ne sont pas les concurrents qui s'adaptent au TRV, mais le TRV qui s'adapte à la structure de prix des concurrents » poursuit l'économiste.
Autrement dit, la part du complément marché assumée par les autres fournisseurs, c'est-à-dire la quantité d'électricité qu'ils auront à acheter sur les marchés du fait du manque d'Arenh, se trouve artificiellement répliquée dans le tarif réglementé de vente d'EDF, et donc dans la facture des consommateurs. Pour parfaire la symétrie, cette part est calculée par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur la base des prix spot (établis par les bourses le jour J pour le lendemain) des 24 derniers mois.
Par conséquent, quand les cours flambent et que les quotas d'Arenh ne répondent pas à la demande, mécaniquement, le TRV augmente lui aussi. « C'est la raison pour laquelle il aurait dû croître de plus de 35% en 2022 en l'absence du bouclier tarifaire mis en place par l'Etat », précise Jacques Percebois. Sans l'effort des contribuables, les factures des Français auraient donc explosé.
- Lire aussi : Quel sera vraiment l'impact du relèvement du plafond de l'ARENH sur les consommateurs ?
Le gouvernement devra présenter un système alternatif
C'est en cela que l'augmentation du prix de l'Arenh ne répond pas à la problématique du pouvoir d'achat, puisqu'elle ne résout pas l'équation centrale : faut-il renoncer à ce mécanisme, ou bien à l'inverse augmenter la quantité d'électricité délivrée par ce biais aux fournisseurs alternatifs, afin de minimiser l'écrêtement ? Pour l'heure en tout cas, les députés n'ont pas tranché. De fait, ils ont voté pour abaisser de 150 à 120 TWh le quota maximum d'Arenh que le gouvernement pourrait décider d'imposer par décret d'ici à fin 2023, ce qui ne changera pas fondamentalement la situation.
Cependant, une réponse claire devra être rapidement trouvée, alors que Bercy songe à supprimer le bouclier tarifaire pour lui préférer des aides ciblées vers les Français les plus modestes. Le sujet fait d'ailleurs partie des dossiers étudiés de près par l'exécutif puisque les textes réglementaires prévoient de toute façon que l'Arenh prenne fin le 31 décembre 2025. Reste à savoir quelles alternatives émergeront, mais aussi quel sera l'impact réel du système actuel sur les consommateurs dans les trois prochaines années.
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