
LA TRIBUNE- Comment se passe l'autorisation de dépassement des seuils de température ?
CHRISTOPHE QUINTIN- Plusieurs acteurs sont impliqués. Concrètement, RTE [le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, chargé d'équilibrer l'offre et la demande, ndlr] demande à EDF de pouvoir maintenir une certaine puissance sur une installation malgré la canicule afin d'assurer l'équilibre du réseau, et EDF traduit ces besoins en moyens de production concrets. Par la suite, la ministre de la Transition Energétique juge de la nécessite absolue de laisser ces installations fonctionner. Il y a quelques jours, elle nous a donc adressé un courrier en ce sens, et nous avons instruit la demande.
A ce moment-là, notre travail a consisté à autoriser des dépassements de température qui restent dans la limite du raisonnable, sur la base de ce que l'on connaît du fonctionnement des rivières. Nous nous sommes également appuyés sur de nombreux dossiers remis par EDF, puisque le groupe opère un immense suivi sur l'impact du réchauffement des eaux depuis la canicule de 2003. Cela nous permet d'avoir une bonne estimation des risques pour les milieux naturels concernés.
Cependant, cette dérogation qui nous a été demandée est exceptionnelle. En effet, un premier niveau d'exception est prévu dans la réglementation, et celui-ci permet de modifier temporairement les limites de températures dans les cours d'eau en aval des centrales nucléaires sans passer par l'ASN. Dans ce cas, il suffit d'une requête de RTE - ce qui arrive de temps en temps et ne nécessite aucune intervention de l'Etat. Là, nous sommes donc à un niveau au-dessus, tant les conditions sont particulières.
Que prévoient concrètement ces dérogations ?
Il faut comprendre qu'en temps normal, deux types de seuils existent : celui sur la température du cours d'eau après le rejet thermique par les centrales, et celui sur l'échauffement, c'est-à-dire le nombre de degrés qu'ajoute ou pas le réacteur nucléaire à ce cours d'eau pour fonctionner. Par exemple, dans le cas de la centrale de Saint-Alban, la température maximale du Rhône en aval du site ne doit normalement pas dépasser 28°C, et l'échauffement entre l'amont et l'aval des réacteurs rester sous +3°C.
Avec la dérogation, ce plafond de +3°C reste inchangé, mais le fleuve pourra dépasser les 28°C. Autrement dit, seule la limite de température en aval est supprimée. Si le Rhône atteint 27°C à cause de la canicule, il pourra donc éventuellement monter à 30°C à Saint-Alban.
A Golfech, la température maximale en aval est elle aussi éliminée temporairement, mais en contrepartie, le niveau maximal d'échauffement passe de +1,25°C à +0,3°C. Le cas de Golfech est particulier car cette centrale dispose de deux tours aéroréfrigérantes, qui refroidissent l'eau prélevée avant qu'elle soit rejetée dans le fleuve. Par conséquent, celle-ci n'est pas beaucoup plus chaude qu'en amont du site, voire même parfois plus froide en début de journée.
Quels sont les risques d'une suppression des limites de température en aval des centrales ?
Il existe trois types de risques, et chacun d'entre eux est finement analysé. D'abord, il y a un suivi des poissons ; concrètement, on vérifie qu'il n'y a pas de poisson mort, et on suit leurs passages pendant la canicule. En fait, on se rend compte qu'ils trouvent facilement des endroits où l'eau est plus fraîche, souvent au niveau des arrivées d'eau souterraine. On n'identifie donc pour l'heure aucun risque réel sur le sujet.
Ensuite, de nombreuses données sur le plancton, et plus précisément le phytoplancton et les zooplancton, sont récoltées. Ceux-ci réagissent très vite par rapport aux évolutions du milieu, donc on doit réagir rapidement en cas d'évolution. Mais pour l'instant, ce problème ne s'est pas posé. Enfin, la présence de cyanobactéries, qui commencent à se développer quand un milieu se dégrade, nous donne des indications sur la santé de l'écosystème. Cependant, nous n'en avons jamais trouvé jusqu'ici. Ces données sont plutôt rassurantes, mais en cas de nécessité, il faudra se reposer des questions sur l'arbitrage entre production nucléaire et l'état du milieu environnant.
Quels enseignements l'industrie nucléaire peut-elle tirer de cet épisode ?
D'abord, cette canicule devrait nous pousser à repenser les seuils de température des cours d'eau en vigueur. A l'origine, ils sont issus de la littérature scientifique des années 1970, avec la fameuse typologie de Verneaux qui définit des objectifs et critères de qualité des eaux courantes. Mais il faudra probablement que l'on affine cette réglementation en fonction du retour d'expérience et des données recueillies, avec une analyse plus précise, rivière par rivière, milieu par milieu. De fait, il est nécessaire d'avoir une réflexion en amont sur comment on gère ces situations exceptionnelles, étant donné qu'il est probable qu'elles se multiplient avec le réchauffement climatique.
Par ailleurs, cet événement montre à nouveau l'importance des tours aéroréfrigérantes. A Saint-Alban par exemple, il y aurait dû y avoir une de ces infrastructures de refroidissement, mais lors des débats liés à l'implantation de la centrale, les élus ont préféré maintenir un refroidissement en circuit ouvert (sans tour aéroréfrigérante) pour ne pas voir le nuage de vapeur d'eau, notamment depuis le parc naturel régional. Cependant, une telle situation ne devrait pas se reproduire, puisque l'installation de tours est désormais obligatoire en cas de construction de nouveaux réacteurs en bord de rivière, afin de limiter au maximum le degré d'échauffement, voire même rafraîchir l'eau.
Sujets les + commentés