Trois questions sur le choc énergétique, après l’embargo américain sur le pétrole et le gaz russe

Alors que les représailles occidentales ne touchaient pas, jusqu’ici, aux importations d’hydrocarbures, le président américain a annoncé hier avoir ordonné un embargo sur le pétrole et le gaz russes, afin d'alourdir les sanctions imposées à Poutine et lui « porter un nouveau coup puissant ». De son côté, l’Union européenne, beaucoup plus exposée que les Etats-Unis, rechigne toujours à mettre en place une telle mesure. Dans un contexte de crise énergétique « comparable au choc pétrolier de 1973 », selon les termes de Bruno Le Maire, la question divise au sommet. Et devrait animer les discussions du Conseil européen, qui s’ouvre dès demain à Versailles. Explications.
Marine Godelier

Alors que les forces russes encerclent Kiev et que les bombes pleuvent toujours sur certaines grandes villes ukrainiennes, c'est une décision radicale qui marque une nouvelle escalade dans les représailles imposées à la Russie. Car après l'avoir exclue du système bancaire Swift, mis en place d'importantes restrictions aériennes, décidé d'un embargo sur ses composants électroniques et aéronautiques ou encore saisi les avoirs de ses oligarques, les Occidentaux comptent désormais s'attaquer au coeur du financement de l'économie du pays : ses exportations d'hydrocarbures.

Les Etats-Unis ont en effet décrété ce mardi un embargo total sur les importations de pétrole et de gaz russes, afin de « maintenir une pression croissante sur Poutine et sa machine de guerre », a annoncé hier le chef de l'Etat américain, Joe Biden. De quoi déstabiliser un peu plus des marchés déjà fous, et alimenter le choc énergétique, comparable, selon le ministre français de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire, au choc pétrolier de 1973.

D'autant que l'Union européenne ne s'interdit pas non plus de nouvelles sanctions en ce sens. Un éventuel embargo sur les approvisionnements en énergie en provenance du pays de Poutine a ainsi été abordé mardi à l'Elysée, lors d'entretiens entre le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, le président Emmanuel Macron et le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. Mais la question, qui devrait d'ailleurs animer les discussions du Conseil européen de Versailles jeudi et vendredi, reste pour le moins épineuse. Car alors que le Vieux continent est toujours englué dans le gaz et le pétrole russe, les Vingt-Sept s'inquiètent des contrecoups d'une telle mesure, qui pourrait bien finir par se retourner contre eux. Explications.

  • Quelles sont les conséquences possibles des nouvelles sanctions décidées hier sur le pétrole et le gaz ?

« Défendre la liberté va avoir un coût, pour nous aussi », a déclaré hier Joe Biden avant d'annoncer l'embargo américain. Mais dans les faits, si la décision est forte, elle ne sera pas forcément douloureuse. De fait, les enjeux s'avèrent en réalité modestes outre-Atlantique, puisque les Etats-Unis n'achètent déjà pas de gaz et peu de pétrole à la Russie. Dans les détails, le pétrole russe ne représente que 8% des importations américaines et 4% de sa consommation de produits pétroliers.

Le pays est d'ailleurs devenu en 2020 exportateur net d'hydrocarbures. Autrement dit, il en produit désormais plus sur son territoire qu'il n'en consomme, a rappelé hier Joe Biden, conscient de l'impossibilité, pour l'heure, de pouvoir entraîner l'Europe dans son sillage.

Cependant, dans un marché mondialisé, ces annonces risquent de pousser le cours du pétrole vers le haut, alors qu'il dépasse déjà les 130 dollars le baril et que le gallon (3,78 litres) s'échange en moyenne à près de 4,20 dollars en ce moment sur l'ensemble des Etats-Unis. Il s'affiche même jusqu'à 5 dollars en Californie, un niveau rarement vu dans le pays de l'Oncle Sam. Les prix à la pompe risquent donc d'augmenter un peu plus dans les prochains jours, ce qui n'est pas négligeable pour les Américains, connus pour leurs voitures gourmandes et qui parcourent de plus grandes distances qu'en Europe.

Dans ces conditions, l'administration Biden fait feu de tout bois pour diversifier ses approvisionnements. Elle a ainsi déjà repris contact avec le Venezuela, à qui elle impose un embargo sur les exportations pétrolières depuis 2019, s'est tournée vers l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, et lorgne sur l'Iran...à condition qu'un accord soit trouvé sur le dossier nucléaire.

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Par ailleurs, si la décision a fait grand bruit, les Etats-Unis ne sont pas les seuls à avoir annoncé hier de nouvelles sanctions sur les hydrocarbures. Quelques instants plus tôt, le Royaume-Uni décidait en effet de l'arrêt de ses importations de brut et de produits pétroliers russes d'ici à la fin de l'année. Alors que ceux-ci représentent 8% de la demande britannique, « cette transition va donner au marché, aux entreprises et à la chaîne d'approvisionnement plus qu'assez de temps pour remplacer les importations russes », a ainsi fait valoir le ministre à l'énergie, Kwasi Kwarteng. Et pour cause, le pays pourra s'appuyer sur l'éolien, notamment grâce à ses grands champs déployés en mer, sur le nucléaire, mais aussi sur le pétrole en mer du Nord, exploité au large des côtes britanniques ainsi qu'en Norvège.

  • Pourquoi l'Europe ne suit pas les Etats-Unis et le Royaume-Uni ?

Pour l'Union européenne, la situation est tout autre...et la question reste ultra sensible. Car le Vieux continent demeure bien plus dépendant des hydrocarbures russes que Washington et Londres. En effet, 45% du gaz et 20% du pétrole importés par l'UE proviennent des gisements russes. Et certains pays sont plus concernés que d'autres : quelque 55% des importations allemandes de gaz arrivent de Russie, ainsi que l'essentiel des approvisionnements de Finlande, de Hongrie et de République tchèque.

Ainsi, contrairement au Royaume-Uni, aucune alternative ne permettait de se passer « pour le moment » de ces importations « essentielles », a averti hier Berlin. Confrontés au double défi de l'approvisionnement énergétique et de la flambée des prix, plusieurs Etats membres continuent ainsi de s'opposer à tout embargo.

« Il ne s'agirait pas de simples restrictions de confort mais de dommages de grande ampleur touchant l'économie et la société dans son ensemble. [...] Les sanctions ont été prises pour frapper l'économie russe et le régime de Poutine. Mais elles ont également été choisies de manière à ce que nous puissions les supporter dans la durée. Un comportement irréfléchi pourrait avoir l'effet contraire», a ainsi fait valoir le ministre de l'économie allemand, Robert Habeck (Verts).

« Ne nous faisons pas davantage de mal qu'on en fait à Poutine. Il ne faut pas déstabiliser nos sociétés au moment où nous devons rester unis », a quant à lui prévenu Frans Timmermans, le vice-président de la commission européenne chargé de l'énergie et des questions climatiques.

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Mais même en Allemagne, certains membres de la majorité défendent une autre ligne. « La menace de Poutine de fermer le gazoduc Nord Stream 1 montre que nos sanctions le touchent de plein fouet », a ainsi souligné la présidente de la commission de la défense du Bundestag, Marie-Agnes Strack-Zimmermann (FDP), hier, à l'agence DPA.

« Nous devons garder la main et décider d'ouvrir un nouveau chapitre sur nos approvisionnements de gaz et de pétrole. L'Allemagne doit immédiatement décider l'arrêt des importations de ces deux matières premières en provenance de Russie », a-t-elle ajouté.

  • Quelles sont les solutions possibles ?

Si la question de l'indépendance énergétique revient sur le devant de la scène, c'est aussi parce que l'arme des sanctions peut également être actionnée par la Russie. Même si ce n'est pas d'actualité, elle pourrait en effet décider de suspendre ses approvisionnements en réponse aux représailles imposées par les Occidentaux. « Le risque de perturbations graves des échanges est élevé tant que le conflit se poursuit », préviennent ainsi les analystes de Barclays dans une note récente.

Dans ce contexte, et alors que les prix de l'énergie explosent, les Européens tentent de se couper une bonne fois pour toute du Kremlin.

« Nous ne pouvons tout simplement pas dépendre d'un fournisseur qui nous menace ouvertement », a affirmé hier la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Ainsi, Bruxelles a dévoilé hier son plan pour réduire de deux tiers les importations de gaz russe du continent dès cette année, sans mettre en péril l'économie des pays les plus exposés. Et ce, en diversifiant les approvisionnements en gaz fossile (Norvège, Etats-Unis, Qatar, Algérie), en coordonnant l'utilisation des terminaux méthaniers et gazoducs en Europe, ou encore accélérant sur l'hydrogène bas carbone et le biométhane, entre autres.

« D'ici la fin de l'année, nous pouvons trouver des moyens de substitution à 100 milliards de m3 de gaz russe, soit les deux-tiers de nos importations actuelles [...] Ce sera sacrément dur, mais c'est possible », a fait valoir le vice-Président de la Commission, Frans Timmermans.

La feuille de route sera donc discutée jeudi et vendredi par les chefs d'État et de gouvernement réunis en sommet à Versailles. Ils devraient normalement s'engager à « sortir de [leur] dépendance aux importations de gaz, pétrole et charbon russes »...mais sans calendrier. En parallèle, des réflexions auront lieu sur la mutualisation des coûts générés par le conflit, via un « plan de résilience » financé, comme le plan de relance lors de la pandémie, par l'émission d'une nouvelle dette commune.

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Marine Godelier

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Commentaires 2
à écrit le 11/03/2022 à 4:15
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seudo ; France ton nombril saigne. Quelle chance, notre jeune premier s'est aperçu que le peuple de France souffre dans sa vie quotidienne, malmené qu'il est par tous les renchérissements dus aux décisions ultralibérales des caciques de l'UE, aux ...

à écrit le 10/03/2022 à 8:13
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J'adore les commentaires de Lemaire qui sont caractéristiques de la gouvernance des LREM: "Oh mon dieu que la situation économique est mauvaise mais c'est pas notre faite hein !" Des dirigeants spectateurs commentateurs mais qui ont quand même généré...

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