Métaux stratégiques : les restrictions commerciales risquent de freiner la transition énergétique

Certains pays concentrant l'extraction et la transformation de ressources minérales stratégiques ont imposé des restrictions d'exportations ces dernières années, souligne un rapport de l'OCDE. Si le phénomène reste marginal, il représente pour l'avenir un risque potentiel de hausse des prix et de disponibilité de certains métaux en raison de la forte demande liée à la transition énergétique.
Robert Jules
Une voiture électrique requiert en moyenne six fois plus de métaux qu'un modèle thermique.
Une voiture électrique requiert en moyenne six fois plus de métaux qu'un modèle thermique. (Crédits : Reuters)

La transition énergétique va-t-elle déclencher une guerre commerciale internationale dans les prochaines années? Le risque, même limité, existe. Le besoin de sécuriser l'approvisionnement en ressources minérales et métaux stratégiques (comme le lithium, le nickel, les terres rares, le cobalt, le manganèse, le graphite) va devenir de plus en plus pressant, en raison d'une demande qui va être multipliée par six pour certains métaux. Pour les pays producteurs, il est tentant de jouir d'une position dominante pour faire valoir leurs intérêts.

Lire aussiPays producteurs de métaux stratégiques : la tentation du cartel

C'est ce qu'ont fait la Chine, l'Inde, le Vietnam, la Russie, l'Argentine et le Kazakhstan entre janvier 2009 et décembre 2020, période durant laquelle le nombre de restrictions de leurs ventes internationales, majoritairement sous forme de taxes, a quintuplé, passant de 3.337 à 18.263, pointe un rapport de l'OCDE.

Risque d'une hausse des prix

Toutefois, ces interventions ne portent que sur 10% des exportations de ces minérais critiques, notamment le lithium, les borates, le cobalt, les métaux précieux, le manganèse et le magnésium, où existe des positions dominantes. Ainsi, la Chine concentre la production de magnésium et de manganèse, le Vietnam et l'Argentine celle des terres rares et du lithium, la République démocratique du Congo (RDC) celle du cobalt. De telles interventions, susceptibles d'entraîner des hausses de prix des métaux et des minerais mais aussi réduire leur disponibilité, pourraient se multiplier à l'avenir.

Car même si la production de lithium, de terres rares, de chrome, d'arsenic, de cobalt, de titane, de sélénium et de magnésium a déjà fortement progressé au cours de la dernière décennie (par exemple, +33% pour le manganèse et +208% pour le lithium), l'offre actuelle ne suffira pas pour répondre aux besoins de nouvelles filières industrielles. Elles se constituent déjà dans de nombreux pays afin de produire des batteries pour véhicules électriques, des panneaux solaires, des éoliennes, des réseaux électriques... Tous nécessaires à la décarbonation de l'économie mondiale.

Ainsi, une voiture électrique requiert six fois plus de métaux qu'un modèle thermique et une éolienne terrestre a besoin de neuf fois plus de métaux qu'une centrale électrique au gaz, selon les calculs de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Le passage du parc mondial des voitures thermiques aux modèles électriques représente donc un véritable défi. Ainsi, selon le scénario visant la neutralité carbone à la fin du siècle retenu dans l'Accord de Paris sur le climat, la demande mondiale de lithium devrait être 42 fois plus importante et celle de graphite 25 fois plus importante d'ici 2040 .

Des échanges commerciaux en pleine expansion

Au-delà de l'enjeu de production de ces minérais stratégiques, leur commerce international est également prépondérant pour répondre aux besoins. Entre 2009 et 2019, ce segment de marché a vu sa valeur augmenter de 38% contre 31% en moyenne pour l'ensemble des produits. Le lithium se distingue à nouveau par une hausse spectaculaire de 438% de la valeur de son marché sur la période. Une entrave commerciale représente un risque supplémentaire qui pourrait ralentir la transition énergétique, avertit l'OCDE.

L'organisation évoque également le problème de la concentration des importations notamment dans les économies développées, qui se retrouvent en concurrence pour assurer leur approvisionnement. Aussi, l'Union européenne a pris des dispositions légales dans le cadre de son plan vert pour rationaliser ses achats, relancer la prospection minière locale et encourager le recyclage, afin de réduire sa dépendance à ses importations. Les Etats-Unis font de même depuis quelques années, notamment pour réduire la dépendance aux importions de Chine.

Plus récemment, l'administration Biden a approché plusieurs pays producteurs en Afrique, dans le cadre du plan vert du président, l'Inflation Reduction Act (IRA). Ce dernier pose d'ailleurs des problèmes de concurrence à ses alliés. La semaine dernière, le commissaire européen au Commerce Valdis Dombrovskis est allé plaider la cause du Vieux continent pour « régler les éléments discriminatoires » contenus, selon Bruxelles, dans l'IRA. La loi protectionniste prévoit notamment d'accorder des subventions pour soutenir aux industries vertes made in USA, un effet d'aubaine pour les entreprises qui préfèreront investir aux Etats-Unis plutôt qu'en Europe.

Bruxelles fait valoir notamment aux Etats-Unis qu'ils ont signé un accord de ce type fin mars avec le Japon, portant sur « les chaînes d'approvisionnement pour les matériaux critiques et les batteries pour véhicules électriques ». Ce dispositif va permettre aux acheteurs étasuniens d'un véhicule électrique de pouvoir bénéficier de la subvention de 7.500 dollars s'ils choisissent un modèle japonais. L'accès à ces subventions concerne des pays liés à un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. « Un terme qui inclut les accords récemment négociés relatifs aux matériaux critiques », indique le Trésor américain.

Concurrence entre pays importateurs

Pour le moment, la demande européenne n'a pas abouti. L'UE n'est pas la seule dans ce cas. Le Canada et le Mexique sont aussi dans l'attente. Lors d'une réunion du FMI à Washington, la ministre des Finances canadienne a mis en garde contre « la course aux subventions », avec le risque que « cela nous entraîne vers le fond », en poussant les pays à accorder toujours plus d'abattements fiscaux.

Lire aussiMétaux stratégiques : la souveraineté de l'Europe passe par l'économie circulaire

Cet épisode illustre que les tensions qui pourraient s'exacerber non seulement entre pays producteurs et pays consommateurs des métaux critiques mais également entre pays producteurs, car aucun pays ne veut rater le tournant industriel que représente la transition énergétique.

Robert Jules

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 9
à écrit le 19/04/2023 à 18:17
Signaler
La transition énergétique va essentiellement dans le fait de pouvoir s'en passer afin d'obtenir une résilience ! Tout doit tourner autour de l'énergie humaine ! ;-)

à écrit le 19/04/2023 à 10:03
Signaler
Désormais nos déchets valent de l'or et même plus et s'est bon pour la planète. En outre la recherche fondamentale est une de solutions pour trouver des matériaux plus accessibles, présents en quantité dans l'eau de mer par exemple.

à écrit le 19/04/2023 à 8:38
Signaler
Voilà pourquoi les e-fuels sont si importants. Il n'y a que de l'acier dans un moteur thermique. Les positions de certaines figures politiques sont incroyablement mal renseignées. Renoncer à l'e-fuel, ou au méthane synthétique (obtenu par réaction ...

à écrit le 18/04/2023 à 23:06
Signaler
L Europe n avait qu à s y prendre plus tôt .. ah oui elle avait la commission.Monti puis Barroso vendus aux néolibéraux néerlandais anglais /allemands et schoder / Fillon vendus aux gazier et pétrolier Russes ..

à écrit le 18/04/2023 à 23:06
Signaler
L Europe n avait qu à s y prendre plus tôt .. ah oui elle avait la commission.Monti puis Barroso vendus aux néolibéraux néerlandais anglais /allemands et schoder / Fillon vendus aux gazier et pétrolier Russes ..

à écrit le 18/04/2023 à 22:00
Signaler
Imaginez que des laboratoires de recherche trouvent le Graal : réussir à se passer des métaux stratégiques pour simplement utiliser des substances banales et abondantes et recyclables ET obtenir une forte densité énergétique. Certains pays, pas fran...

le 19/04/2023 à 10:13
Signaler
J'adore votre humour

le 19/04/2023 à 18:17
Signaler
@Aristeas Dommage pour vous. Des chercheurs de l'université A&M au Texas viennent de faire une découverte en matière de batterie sans métal. Allez sur le site Enerzine et vous en saurez davantage. Une révolution technologique en matière de stocka...

à écrit le 18/04/2023 à 19:33
Signaler
Oui et tout celà est connu des US depuis bien longtemps... Bien avant ce rapport... Ils ont de réels systèmes de pensée (ils font des what if scenario), des consultants en tout genre. Nous on a des danseuses comme Alain Juillet... qui improvisent sur...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.