Vélo : Mercier se relance sur un marché du cycle en effervescence

En s'implantant dans les Ardennes, la fabrique de cycles Mercier symbolise le retour en France d'une industrie délocalisée. Ses promoteurs devront soutenir le repositionnement de cette marque française historique, sur un marché en forte croissance.
Raymond Poulidor a été l'ambassadeur des cycles Mercier dans les années 1960 et 1970. Ici à l'ascension du Puy-de-Dôme le 12 juillet 1964, pour la vingtième étape du Tour de France.
Raymond Poulidor a été l'ambassadeur des cycles Mercier dans les années 1960 et 1970. Ici à l'ascension du Puy-de-Dôme le 12 juillet 1964, pour la vingtième étape du Tour de France. (Crédits : Cycles Mercier)

Reste-t-il une place sur le marché français pour une marque nationale de vélos, de retour avec une forte ambition ? En annonçant cet hiver leur implantation industrielle à Revin, dans les Ardennes, les cycles Mercier jouent le pari de la relance économique dans ce département du Grand-Est, privé de 8.000 emplois privés au cours de la décennie passée. Mercier promet 270 emplois dans cinq ans. Cette marque historique, née en 1919 à Saint-Etienne et disparue à la fin des années 1980, va s'installer dans une friche industrielle mise à sa disposition par les collectivités locales ardennaises.

Abandonnée par le fabricant de sanitaires Porcher puis par le spécialiste de l'électroménager Electrolux, la commune de Revin (6.200 habitants) déroule le tapis rouge pour son nouvel investisseur sur ce site réhabilité de 60.000 mètres carrés, dont 15.000 mètres carrés construits. Jean-Marc Seghezzi, qui a porté la renaissance de Mercier par l'intermédiaire de la société de participation financière luxembourgeoise Starship Investments, prévoit "une capacité de 500.000 vélos par an, avec une production organisée en deux équipes. A court terme, la part des vélos électriques devrait s'établir à 50 % de ce volume chez Mercier". Le lancement de la production est prévu fin 2021 avec des effectifs limités, au départ, à 140 salariés.

Le marché français se porte bien

Le pari est osé mais le marché français du vélo se porte bien. Selon Thierry Cornec, directeur pour la région Europe du Sud de l'industriel multi-marques Accell Group, qui possède notamment la marque française Lapierre, "les ventes de vélos en France pourraient s'établir en hausse de 10 % en 2020". Soit 3,3 millions d'euros d'unités, un volume à confirmer en avril lorsque la fédération nationale Union Sport et Cycles publiera ses données statistiques annuelles.

"Nous avons au moins cinq belles années devant nous", confirme Jean-Marc Seghezzi. "Il ne se passe pas une journée sans qu'on parle de mobilité douce et de vélos électriques. Une nouvelle clientèle s'offre à nous avec les vélos utilitaires et urbains qui représentent 80 % du marché. En France, dans cinq ans, un tiers des vélos neufs seront électriques", prévoit-il.

Pénurie de composants

Le projet industriel des cycles Mercier pourrait être contrarié par des difficultés mondiales d'approvisionnement en composants. Pour acheter les systèmes de freinage, les transmissions et les moteurs électriques, la filière cycles est soumise à des retards dûs à des engorgements chez les fournisseurs.

"Notre métier bénéficie de deux phénomènes concomitants. La crise sanitaire a incité la population à reconsidérer ses moyens de déplacement et à s'aérer davantage. L'avènement du vélo à assistance électrique se confirme au même moment. Résultat, le japonais Shimano, leader parmi les équipementiers, impose jusqu'à 500 jours de délai sur certains composants", observe Thierry Cornec.

Les volumes de composants disponibles pour un nouvel arrivant semblent dès lors compromis. L'italien Campagnolo, seul fabricant généraliste européen de systèmes de freinage et de transmissions, ne dispose pas de produits dédiés aux vélos urbains. Il doit sa réputation à ses équipements pour les vélos de course, un segment que Mercier n'entend pas aborder dans un premier temps.

"Pour les achats de composants, on va faire comme les copains, on va se débrouiller. Revin est située idéalement tout près de la Belgique. Les approvisionnements qui arrivent d'Asie par bateau transitent par les infrastructures portuaires en Belgique ou aux Pays-Bas", explique Jean-Marc Seghezzi.

L'argument Made in France

Pour s'affranchir en partie des contraintes logistiques, le dirigeant de Mercier expose son atout : l'usine ardennaise fabriquera elle-même ses cadres en acier et en aluminium, et assemblera elle-même ses roues. Jean-Marc Seghezzi espère mettre en place des partenariats avec des fabricants de batteries électriques en France. "Valeo développe une transmission qui peut nous intéresser. Bosch possède des usines en France", observe-t-il.

La relance de la marque Mercier, rendue populaire dans la France des années soixante et soixante-dix par son ambassadeur Raymond Poulidor, implique deux objectifs concordants. Ses promoteurs vont devoir caresser la fibre nationale des acheteurs et entretenir un patrimoine nostalgique. "Nous allons mettre en avant le Made in France, y compris dans les enseignes de grande distribution qui nous confieront la fabrication de leurs vélos", confirme Jean-Marc Seghezzi. Ces vélos sous marque de distributeur pourraient constituer une part substantielle de la production dans les Ardennes.

Reste à retrouver le potentiel de la marque Mercier mise en sommeil par son précédent propriétaire, le groupe Accell, avant son rachat par Jean-Marc Seghezzi. L'usine de Revin pourrait être baptisée du nom de Raymond Poulidor, champion décédé en 2019, si un accord est trouvé avec sa famille. "Nous n'allons pas nous priver d'utiliser la couleur mythique de Mercier, qui était le rose", prévient Jean-Marc Seghezzi. L'industriel se prive d'emblée d'une partie des revenus potentiels sur les produits dérivés : le petit-fils d'Emile Mercier, fondateur stéphanois de la marque, a acquis en 2019 les droits sur l'activité textile et lancé, en région Auvergne-Rhône-Alpes, la production de shorts et de maillots Mercier pour les cyclistes.

Des aides financières obtenues dans les Ardennes

Sur un marché du cycle tendu, marqué par la hausse des prix des composants, l'impact économique du Made in France ne joue pas nécessairement en faveur de Mercier. "Nos vélos d'entrée de gamme resteront produits en Asie du Sud-Est", prévient Jean-Marc Seghezzi, qui prétend disposer dans cette région d'une chaîne logistique dédiée. "La fabrication en France revient 10 % plus cher qu'au Portugal, où une industrie européenne du vélo est en train de renaître, et entre 15 % et 20 % plus cher qu'en Asie", calcule Jean-Marc Seghezzi.

Les aides financières obtenues dans les Ardennes compensent en partie ce surcoût. "Notre département bénéficie sur les deux tiers de son territoire du dispositif fiscal des bassins d'emploi à redynamiser (BER), avec des allègements de charges accordés aux entreprises", rappelle le député ardennais Jean-Luc Warsmann (LR). "Nous avons appris à maximiser nos aides aux entreprises, en plaçant en-dehors des quotas nos aides à la formation et à la recherche et développement", relève l'élu.

Jean-Marc Seghezzi affirme avoir investi "moins de dix millions d'euros" dans son projet et cultive la discrétion quant au niveau d'aides obtenues. Dans le BER des Ardennes, les exonérations fiscales peuvent atteindre 200 000 euros par période de trois ans. Les investissements ou coûts salariaux des emplois crées sur deux ans ont droit à une aide potentielle de 25 % pour les entreprises entre 50 et 250 salariés. "Le Portugal aurait été encore plus avantageux du point de vue financier", tranche sans regret Jean-Marc Seghezzi.

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Des marques Made in France

En s'implantant dans les Ardennes, Mercier ne sera pas l'unique acteur du Made in France dans l'industrie du vélo. Cette filière est demeurée active. Le cadreur artisanal Cyfac, présent en Indre-et-Loire, vient de réactiver la marque historique Meral. La marque berrichonne Dilecta a été relancée cet hiver par un ancien cadre dirigeant de Look et MBK. Arcade Cycles, à La Roche-sur-Yon, s'est spécialisé dans le vélo de ville et le vélo à transmission par cardan et se développe sur le marché des collectivités.

Look Cycle, à Nevers, se focalise sur les cadres en carbone et les pédales automatiques, et vient de présenter une originale pédale à crampons. L'isérois Time, l'autre spécialiste français du cadre en carbone, est apparu  en panne d'innovation au sein du groupe Rossignol. L'entreprise dont l'outil de production se trouve en Slovaquie a été cédée en janvier 2021 au fonds d'investissement franco-américain Cardinal Cycling Group. La Manufacture française du Cycle (MFC) à Machecoul (Loire-Atlantique), dont la marque Sunn a établi sa réputation à l'âge d'or du VTT, et le vosgien Moustache Bikes, spécialiste du vélo électrique, optent pour un double positionnement urbain et VTT, premium et haut de gamme.

Valeo adapte ses systèmes

Cycleurope, à Romilly-sur-Seine, est le centre de compétence pour les gammes électriques des marques Gitane et Peugeot, avec un programme de développement en cours pour la mise au point de vélos électriques destinés aux flottes en libre-service. La marque Lapierre, établie dans le segment sportif, est établie à Dijon. Elle appartient au groupe néerlandais Accell.

Dans le segment des composants de vélos, le drômois Corima fabrique à Loriol des roues complètes en carbone destinées aux amateurs fortunés et à la compétition. Valeo développe une nouvelle adaptation de ses systèmes 48 volts pour les vélos électriques, et promet une première mondiale avec sa transmission automatique à sept vitesses.

Moins dynamique que l'Allemagne

Toutefois, la France a perdu ses fabricants historiques de composants. Les pédales Maillard et les moyeux Pélissier ont disparu. Le fabricant de chaînes Sedis s'est retiré du marché du vélo. Stronglight, fabricant stéphanois de plateaux, pédaliers et jeux de direction haut de gamme a dû se rapprocher d'actionnaires chinois. L'accessoiriste de cycles Mavic, en difficulté au premier semestre 2020 suite à la défection de son actionnaire américain, ne produit plus de transmissions, ni de freins, ni d'autres équipements. L'entreprise d'Annecy a été reprise par le groupe familial Bourrelier, ancien propriétaire de Bricorama, et se concentre désormais sur la fabrication de roues.

La France apparaît moins dynamique que l'Allemagne où des marques de vélos nationales telles que Canyon, Cube et Focus détiennent des parts significatives sur leur propre marché. En Allemagne, il se vend trois fois plus de vélos électriques (1,36 million d'unités en 2019) qu'en France. Des nouveaux venus allemands dans la fabrication de composants premium, tels que le fabricant de moteurs Brose et le spécialiste des roues Lightweight, ont accédé rapidement à une notoriété mondiale.

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