Guerre des prix : "c'est le consommateur qui est gagnant"

La rivalité entre grands distributeurs pour afficher des prix plus bas rapporte (un peu) aux ménages. Jacques Dupré, directeur au sein du cabinet IRI worldwide en détaille les raisons et les limites.
Marina Torre
Jacques Dupré, Directeur "insights" IRI worldwide

Contre les effets de la "guerre des prix", les sanctions s'abattent et les agriculteurs manifestent leur colère. Bercy a même profité de la condamnation d'E.Leclerc pour appeler les grands distributeurs à adopter une "culture du partenariat" avec leurs fournisseurs.

>> E.Leclerc condamné : Bercy dénonce les "abus" des distributeurs

Mais qui profite vraiment de cette rivalité pour afficher des prix toujours plus bas? A priori, cela devrait être aux consommateurs. Le cabinet d'étude IRI évalue à 3 euros seulement par mois le "gain" engendré par la déflation sur certains produits, soit un milliard d'euro au total. Jacques Dupré, auteur de ce bilan et directeur au sein de ce cabinet, explique dans quelle mesure les consommateurs y gagnent, et comment les distributeurs commencent à contourner le problème.

Quelles sont les produits pour lesquels les distributeurs se sont le plus battus ? Les pains de mie, les eaux gazeuses ont vu leur prix baisser de plus de 8% entre le premier semestre 2014 et le premier semestre 2015. Les aides alimentaires comme les lardons par exemple, les aliments pour bébé, les glaces, les pizzas fraîches, les céréales, les biscottes ou encore les haricots en conserve ont également été des sujets de bataille. Dans le non alimentaire, la catégorie hygiène- beauté, notamment les produits capillaires, et entretien avec la lessive sont particulièrement concernés.

Ce sont généralement des produits qui contribuent à l'image-prix du magasin car ces achats sont fréquents et pèsent sur le budget des ménages. Certes, chacun a son panel de produits de référence, pour les uns ce sera la charcuterie, pour d'autres plutôt les fruits et légumes, etc. Certains magasins ont donc choisi de concentrer leurs efforts sur certains rayons plutôt que d'autres.

Ce sont aussi parfois des catégories à valeur faciale élevée qui font l'image prix. La variation du prix d'un produit à un euro sera moins perceptible qu'un produit de quelques euros. La guerre des prix est au total assez généralisée sur les produits de grande consommation puisque la déflation touche plus de 80% des familles de produits.

Malgré ces baisses de prix, le panier final, lui ne baisse pas, car les consommateurs se reportent sur des produits plus chers. Lesquels ?

Ce n'est pas parce que le prix de la lessive ou du shampoing baisse que le consommateur achètera forcément plus de lessive ou changera de marque de shampooing. Pour un même budget, il pourra se dire qu'il dépense plus au rayon frais, pour de la charcuterie ou des glaces de marques nationales [comme Fleury-Michon, Herta, ou bien Miko, Magnum etc. NDLR] plutôt que sur une marque de distributeur. C'est sur le frais non laitier, l'ultra-frais, les surgelés et les produits préparés que les ventes en volume des marques de distributeur baissent le plus.

Mais là aussi, la baisse des marques de distributeurs est assez transversale et affecte la très grande majorité des produits.

Comment d'autres facteurs, tels que les craintes pour la santé ou les risques sanitaires entrent-ils en jeu ?

Quatre éléments expliquent le recul des marques de distributeurs (MDD): la guerre des prix, d'abord. Ensuite, l'activité promotionnelle très forte pour les marques nationales, alors qu'elle est faible ou en recul sur les MDD. S'il y a une promotion pour des produits de marques nationales, même s'ils restent plus chers que les marques de distributeurs, les clients se tourneront plus volontiers vers eux. A cela, il faut ajouter depuis 2 ou 3 ans le développement de l'assortiment des marques nationales qui proposent de nouvelles références, des innovations, tandis que l'offre des MDD reste stable ou régresse. Enfin, l'aspiration à la sécurité alimentaire chez les consommateurs reste forte. A travers nos études auprès des consommateurs, nous constatons une dégradation de l'appréciation des MDD et à l'inverse une amélioration de l'appréciation des marques.

Les produits régionaux prennent une place croissante. En quoi cela répond-il à la demande ?
Voilà une attente des consommateurs que les distributeurs doivent prendre en compte. Les clients sont sensibles à l'offre locale ou aux produits locaux pour des raisons diverses, notamment la défense de leur environnement économique. Certains consommateurs estiment que ce qu'ils peuvent faire de "palpable" pour défendre  les producteurs de lait ou l'usine locale sera d'acheter un produit de la région. Ensuite, cela confère un sentiment de sécurité : "il s'agit du fromager X ou Y? Il ne peut pas me berner, je le connais". Il y a également une dimension environnementale bien sûr car les circuits courts impliquent des coûts en transports moins élevés. Lorsque l'on demande aux consommateurs ce qu'ils préfèrent entre des produits bio, made in France ou locaux, c'est cette dernière catégorie qui remporte le plus de suffrages.

Même si ces produits sont plus onéreux ?
Les consommateurs sont prêts à payer un peu plus cher pour un produit qui apporte ces cautions. Les produits locaux permettent aux magasins de se différencier de leurs concurrents, tout en évitant de se battre sur les prix et de dégrader leurs marges comme cela peut être le cas sur les très grandes marques présentes partout.

Ces stratégies de contournement permettraient de sortir de la guerre des prix ?
Oui. Il ne s'agit plus de se battre avec les mêmes armes que ses concurrents. D'autant plus que le consommateur attend du choix, c'est même la première raison de choisir un magasin.

Mais, si elle continue pourrions-nous retrouver en France la situation que les Pays-Bas ont connue au début des années 2000 ?
Une enseigne, Albert Heijn, a déclenché une guerre des prix afin de lutter contre un concurrent et d'endiguer la croissance d'un autre. Le premier a fait faillite, les parts de marché du second se sont stabilisées. Au plus fort de cette bataille, la déflation a dépassé 5% et même atteint 10 % sur certains rayons. Sur le moyen/long terme, les fournisseurs ont été affectés, cela a limité l'innovation et l'assortiment en magasin. Nous n'en sommes pas là. Aujourd'hui et à court terme, en France - comme aux Pays-Bas il y a 10 ans -, les ménages disposent d'une plus grande latitude, même s'ils dépensent autant à la fin. Pour une fois, c'est le consommateur qui est gagnant !  Pour les acteurs, distributeurs et fabricants, les marges sont mises à mal. Il ne faut donc pas sous-estimer les risques sur l'investissement voire des emplois des uns et des autres pour les années à venir.

Marina Torre

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