Comment Hyundai arrive à fabriquer un navire tous les cinq jours

Fin de crise en vue pour les entreprises sud-coréennes de construction navale. Le premier constructeur de bateaux au monde, Hyundai Heavy Industries, accumule les commandes et compte maintenir son avance en se concentrant sur les navires et plates-formes à haute valeur technologique. Enquête à Ulsan, le long de ses quatre kilomètres de quai
Sous des portiques colossaux capables de soulever des blocs de 1.600 tonnes, des morceaux de coques de la taille d'un immeuble sont empilés sur les quais, pièces d'un puzzle de titans qui attendent leur tour pour être assemblées. / DR

Après des années 2.000 fastes portées par la forte croissance chinoise, la crise financière de 2008 a durement frappé le secteur de la construction navale : entre 2008 et 2012, les commandes mondiales ont chuté de moitié.

En mai 2013, les commandes cumulées des chantiers chinois ont ainsi chuté de 23 % par rapport à l'année précédente, selon l'Association chinoise de l'industrie navale. Début octobre, le sud-coréen STX, écrasé de dettes monumentales (14 milliards d'euros), a annoncé la mise en vente prochaine de son unité STX Europe, qui contrôle notamment les chantiers de l'Atlantique à Saint Nazaire.

Aujourd'hui cependant, le plus dur semble passé. En tout cas pour les trois principaux constructeurs du pays du Matin calme, Hyundai Heavy Industries (HHI), Samsung Heavy Industries et Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering, qui ont de nouveau le vent en poupe. En septembre, par exemple, les commandes de la division navires de HHI ont augmenté de 36 % en année glissante, tandis que celles de sa division offshore ont bondi de 284 %.

« Entre janvier et fin septembre, nous avons enregistré pour 25,8 milliards de dollars de commandes au total. Cela suffirait pour maintenir nos chantiers occupés pendant au moins deux ans », se félicite Lee Jin, représentant de HHI. « La clé du succès des constructeurs sud-coréens, c'est la technologie », martèle Kim Hyun, analyste à Shinhan Investment Securities à Séoul.

Des navires complexes à haute valeur technologique

En dépit du coût de la main-d'œuvre qui a beaucoup augmenté en trois décennies, Hyundai a réussi à maintenir sa compétitivité sur ses concurrents chinois en proposant des navires complexes à haute valeur technologique : des porte-conteneurs géants, des méthaniers, des navires de forage, ainsi que des unités flottantes de production, de stockage et de traitement des hydrocarbures.

« Les armateurs demandent aussi des navires plus économes en carburant, qui respectent les nouvelles régulations de protection de l'environnement. Pour toutes ces technologies, la Corée du Sud est très bien placée », souligne Kim Hyun.

Signe de cette avance, après huit années sans décrocher une seule commande de client chinois, Hyundai a signé en mai un contrat avec le transporteur China Shipping Container Lines pour la construction de cinq porte-conteneurs d'une capacité de 18.400 unités chacun. Sachant qu'un conteneur a un standard d'un EVP (équivalent vingt pieds), soit 2,591 mètres (8,5 pieds) de haut sur 2,438 m de large (8 pieds) et 6,096 m (20 pieds) de long… ce seront les plus grands navires de ce type au monde.

"Un moteur de bateau sur trois vendus dans le monde sort de nos usines"

D'une longueur de 400 mètres et d'une largeur de 58 mètres, ces mastodontes seront équipés d'un système de ballast écologique, exigé à partir de 2014 par les autorités portuaires américaines. Leur moteur pourra automatiquement contrôler leur consommation de carburant en fonction de la vitesse et des conditions en mer.

« Hyundai a énormément investi dans la recherche et le développement à partir des années 2000 », explique Kim Hyun.

L'entreprise fabrique aussi des moteurs et des hélices sur le site de son chantier d'Ulsan :

« Cela nous permet de faire des économies de logistique et de diversifier nos activités. Aujourd'hui, un moteur de bateau sur trois vendus dans le monde sort de nos usines. Nous cherchons aussi à produire le plus possible au niveau local : 80 % de nos composants sont fabriqués en Corée », affirme Lee Jin, représentant du constructeur.

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Ulsan, principal chantier de Hyundai, dans le sud-est de la Corée du Sud, dispose de quais de 4 km de long.

Des champions de la gestion de chantier

Autre exemple de bâtiment nécessitant des technologies avancées : les navires de forage. Ce type de bateau, essentiellement destiné à la prospection d'hydrocarbures, est équipé de matériel capable de forer des puits dans des eaux de plus de 3.000 mètres de profondeur. Il nécessite un système perfectionné de positionnement pour rester toujours parfaitement à la verticale du puits. Un navire coûte la bagatelle de 650 millions de dollars. HHI en a livré quatre cette année, et en construit douze autres.

En raison de la hausse des prix du pétrole, le développement de forages en pleine mer devient de plus en plus attractif, et la demande pour ce type d'installation augmente. Hyundai fabrique aussi des FSRU (Floating Storage and Regasification Unit), qui sont de véritables terminaux gaziers flottants : ancrés au large des côtes du pays client, ils stockent du gaz naturel liquéfié (GNL) et le distribuent directement sous forme gazeuse.

La première entreprise à avoir construit des bateaux sur terre ferme

Ils intéressent particulièrement les pays émergents désireux d'importer du GNL : HHI livrera ainsi au début de 2014 une unité destinée à l'Indonésie. La division offshore de l'entreprise représente désormais 17,5 % de son chiffre d'affaires (la division bateau et la division moteurs représentant respectivement 39 % et 11,8 % du CA).

Hyundai est aussi la première entreprise à avoir construit des bateaux sur terre ferme (sans cale sèche), ce qui permet d'accepter davantage de commandes, même quand toutes les cales sèches sont déjà occupées par des navires en chantier. La méthode est aussi utilisée pour les plateformes offshores : le bâtiment est entièrement assemblé sur quai puis glisse sur un système de coussins d'air, poussé par d'énormes vérins hydrauliques.

« Les Sud-Coréens n'ont pas peur de faire des investissements gigantesques. S'il le faut, ils raseront des montagnes pour construire des chantiers », s'enthousiasme un expatrié français employé sur le chantier d'Ulsan, qui préfère garder l'anonymat. « Ils ne cherchent pas nécessairement la révolution industrielle, mais la gestion des projets est efficace : les informations sur le chantier circulent bien, ce qui permet en permanence des petites améliorations en temps et en argent. Et pour faire baisser les coûts, ils fabriquent des séries et essaient de standardiser au maximum la production. »

 

Chaque navire est ainsi assemblé tel un Lego géant

D'où un processus de fabrication par « mégablocs » : d'énormes tranches de bateau, tuyauterie incluse, sont construites séparément dans des hangars protégés des intempéries, puis sont soulevées par d'énormes grues et soudées les unes aux autres en cale sèche.

Chaque navire est ainsi assemblé tel un Lego géant, constitué de 90 à 120 blocs selon sa taille, autour desquels s'affaire une armée de soudeurs vêtus d'une veste grise, la même que celle portée par le fondateur de l'entreprise, Chung Ju-yung (1915-2001).

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Le Thalassa Patris, l'un de nombreux porte-conteneurs actuellement en cours d'assemblage sur le site d'Ulsan.

A Ulsan, on produit un navire tous les cinq jours

Le principal chantier de Hyundai se trouve à Ulsan, dans le sud-est de la Corée du Sud, le cœur industriel du pays. Un navire en sort tous les cinq jours en moyenne. C'est le royaume de la démesure : le long de ses 4 km de quais, face à la mer du Japon, se déploient des dizaines de monstres d'aciers en cours d'assemblage.

Sous des portiques colossaux capables de soulever des blocs de 1.600 tonnes, des morceaux de coques de la taille d'un immeuble sont empilés sur les quais, pièces d'un puzzle de titans qui attendent leur tour pour être assemblées.

Quand 80 % du bateau est achevé, la cale sèche est inondée, le navire est mis à l'eau… et un nouvel assemblage est lancé. À bord du Thalassa Patris, un porte-conteneurs géant d'une capacité de 13.800 EVP, les ouvriers s'activent avant le premier essai en mer, prévu dans une semaine. « Nous testerons l'informatique embarquée la semaine prochaine. La livraison est prévue en novembre, et le temps presse. Entre la signature du contrat et la livraison, il nous a fallu dix-huit mois », explique Seo Gwangryeol, chef de projet.

Il est de bonne humeur : « En ce moment, le moral est bon chez les ouvriers. Le marché va mieux. »

Hyundai compte 25.000 employés, auxquels s'ajoutent 30.000 ouvriers travaillant pour ses nombreux sous-traitants. Il y a quarante ans, Ulsan n'était qu'un petit port de pêche. C'est aujourd'hui une grande ville industrielle de 1,1 million d'habitants, où s'étendent à perte de vue des barres d'immeubles blanches, des usines et les immenses parkings où des milliers de voitures, estampillées Hyundai elles aussi (les deux entités sont formellement séparées depuis 1997), attendent d'embarquer pour inonder les marchés du monde entier.

« À Ulsan, 60 % de la population est liée directement ou indirectement aux diverses industries Hyundai », note Lee Jin.

Un empire bâti à partir de rien

La réussite éclatante de l'entreprise est indissociable de l'histoire industrielle de la Corée du Sud, pays ruiné et déchiré à la fin de la Guerre de Corée (1950-1953), devenu en quelques décennies la 15e économie de la planète.

Le fondateur de Hyundai, Chung Juyung, né en 1915 dans l'actuelle Corée du Nord, fonde le conglomérat en 1950, puis sa filiale HHI en 1972. Cette année-là, il avait convaincu un armateur grec de lui acheter deux pétroliers de 260.000 tonnes… alors que son entreprise ne possédait aucune expérience en la matière, ni même de chantier naval.

Parti de rien, mais décidé à prendre exemple sur le voisin japonais qui était alors numéro un du secteur, il réussit en deux ans à bâtir un chantier complet et à livrer son premier bateau en novembre 1974. Une réussite aidée par les politiques industrielles volontaristes et exportatrices du régime très autoritaire alors en place à Séoul, et par la capacité remarquable des Coréens à s'unir derrière leurs grands capitaines d'industries, érigés en héros du développement du pays.

La Corée du Sud se développe au pas de course, et ses géants de la construction navale surpassent leurs concurrents japonais dans les années 1990. Les chantiers navals chinois, entrés sur le marché au début des années 2000, pourront-ils à leur tour dépasser les constructeurs coréens ?

Yu Jae-hoon, de la banque d'investissement Woori à Séoul, est optimiste :

« Les grands constructeurs coréens maintiennent leur avance grâce à leur technologie. Les Chinois sont devenus compétitifs sur les porte-conteneurs de taille moyenne, les vraquiers et les tankers. Mais ils ont des difficultés pour produire des navires de très grande taille, des méthaniers et des équipements offshore. »

De son côté, le sud-coréen STX avait choisi une autre stratégie, celle de l'expansion :

« Quand STX a gagné beaucoup d'argent lors de la période de croissance, il a décidé de croître en multipliant les acquisitions. Il a notamment construit une filiale à Dalian, en Chine, qui a coûté une fortune », explique Song Bu-yong, du centre de recherche et développement de la région Gyeongnam. « Quand la demande a chuté en 2008, il s'est trouvé incapable de fabriquer les bateaux spécialisés et complexes qui ont permis aux autres de s'en sortir. »

STX devrait bientôt se séparer de sa division européenne pour rembourser une partie de ses dettes, même si aucun calendrier ni montant pour cette vente n'ont encore été annoncés.

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>>> VIDEO Visite guidée du chantier naval de Hyundai à Ulsan

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Commentaires 7
à écrit le 06/11/2013 à 19:47
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Industrie liée au trafic maritime plutôt en berne par ces temps....Et navires à fortes valeurs ajoutées, un porte conteneurs , c' est une simple coque .

à écrit le 06/11/2013 à 8:45
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Voyez la Bretagne et ses chantiers navals. plein d´une longue expereince ... et voyez la Corée aujour dhui . Cherchez l´erreur ? Vous ne pouvez pas dire que les Coreens sont meilleurs que les Bretons !

le 06/11/2013 à 11:54
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Je ne vois pas ce que viennent faire tradition et expérience là dedans. Il s'agit uniquement d'argent: - le cout de la main d'oeuvre - les charges des entreprises - l'investissement massif avec de fortes subventions de l'état En un mot, si vous v...

à écrit le 05/11/2013 à 20:00
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"Parti de rien, mais décidé à prendre exemple sur le voisin japonais qui était alors numéro un du secteur, il réussit en deux ans à bâtir un chantier complet et à livrer son premier bateau en novembre 1974" Mais bien sûr, ils ont fait la conception e...

le 06/11/2013 à 0:24
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Pas n'importe quoi pour qui connait l'histoire industrielle de la Corée...

le 06/11/2013 à 9:01
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Les chinois vont devenir numéro dans le chantier naval. Ce n'est qu'une question de temps. Le début de l'année 2013 a été particulièrement mauvais pour STX. Le bon mois de septembre est l'arbre qui cache la forêt. STX va céder sa branche européenne. ...

le 06/11/2013 à 14:26
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@ ah bon , les armateurs grecs vont acheter des bateaux chinois ? , ils ont intérêts a avoir de solides assurances alors .. vous m'avez fait rire car le moins cher du moins cher je sais a quoi cela mène fatalement .. on peut créer une chanson .. erik...

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