Aérien : ces innovations qui vont améliorer la sûreté sans gêner les passagers

La direction générale de l'aviation civile (DGAC) teste avec plusieurs aéroports français de nouvelles technologies permettant d'améliorer la sûreté, mais aussi la fluidité des passagers.
Fabrice Gliszczynski
La mise en place des mesures de sûreté dans le transport aérien, décidée en Europe depuis le 11 septembre 2001, auraient pu dissuader les terroristes de s'attaquer à une cible devenue beaucoup plus compliquée à atteindre... Mais il n'en est rien.

Les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Casher de la porte de Vincennes en janvier, ceux du 13 novembre dernier à Paris ou encore l'attentat déjoué dans un Thalys fin août auraient pu donner le sentiment au grand public que l'aviation civile était devenue une cible moins importante qu'elle ne l'était par le passé. Et que la mise en place des mesures de sûreté dans le transport aérien, décidée en Europe depuis le 11 septembre 2001, avait dissuadé les terroristes de s'attaquer à une cible devenue beaucoup plus compliquée à atteindre que d'autres plus faciles d'accès et dont le retentissement mondial est tout aussi important.

Il n'en est rien. L'hiver dernier déjà, Inspire, le magazine en ligne d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), très lu par les jihadistes, rappelait que l'aviation civile restait une cible de choix des terroristes. Consacré uniquement au transport aérien, ce numéro de décembre 2014 expliquait comment contourner les postes d'inspection filtrage dans les aéroports et fabriquer dans une cuisine des bombes indétectables. Il allait même jusqu'à nommer les compagnies à frapper. Sans surprise, les compagnies américaines Delta, American, United, mais aussi les européennes British Airways, Easyjet et Air France.

Le risque zéro n'existe pas

L'attentat de Charm el-Cheikh fin octobre contre l'A320 de Metrojet, a montré que les compagnies russes ont été ajoutées à la liste après la décision de Moscou de frapper Daech par des raids aériens.

Dans ce contexte, cet attentat, le premier réussi depuis 2004 contre un avion civil, est venu rappeler que, même si l'avion est le moyen de transport le plus sûr, l'aviation n'était pas invulnérable et que le risque zéro n'existait pas. Certes, il ne s'est pas produit en France ni en Europe et ne concernait pas une compagnie européenne. Mais, à l'heure où des répliques sont à craindre avec les bombardements de la France contre Daech en Syrie, il appelle à la vigilance.

Pour autant, ce risque et cette menace ne sont pas nouveaux pour le transport aérien. L'aviation ne les découvre pas avec les attentats qui ont frappé l'Hexagone l'an dernier, contrairement à d'autres secteurs. Du coup, le renforcement de la sûreté aérienne ne se fait pas dans la précipitation, dictée par la conjoncture. Les améliorations sont continues. Celles de demain sont déjà en cours d'expérimentation.

Les menaces sont nombreuses

La liste des menaces est longue comme le bras : elle va des différentes techniques pour introduire des explosifs à bord des avions (il y a eu des tentatives déjouées, notamment avec des explosifs dissimulés dans les chaussures sur un vol Paris-Miami en 2001, dans des liquides, dans un sous-vêtement sur un vol Amsterdam-Detroit le jour de Noël 2009, ou dans des imprimantes placées dans les soutes cargo de deux avions au départ du Yémen en 2010), aux tirs de missiles à la fois sur des avions en croisière (MH17 au-dessus de l'Ukraine en 2014) ou en phase d'atterrissage ou de décollage près des aéroports avec des manpads (lance-missiles sol-air à l'épaule), sans oublier les cyberattaques, les attaques chimiques, bactériologiques, avec des gens infiltrés dans les compagnies ou les personnels travaillant sur les aéroports.

"L'innovation, ce sont les terroristes qui la font. Il est impossible d'avoir une longueur d'avance sur eux et de vouloir tout couvrir, sinon on tombe dans la paranoïa", rappelle un expert de la sûreté aérienne. "L'analyse du risque est donc cruciale pour savoir mettre le curseur sur ce qui est plausible", poursuit-il.

Des barrières en amont et jusque dans l'avion

Pour contrer cette menace, la France développe une défense en profondeur, en mettant, avec l'ensemble des acteurs concernés (l'État, la direction générale de l'aviation civile, les aéroports, les compagnies aériennes), des barrières en amont avec les services de renseignement de l'État et jusque dans l'avion avec, sur certains vols, des sky marshals payés par les compagnies.

En Europe, les règles sont fixées au niveau européen. Celles visant à équiper tous les aéroports de détecteurs de traces d'explosifs pour tous les bagages cabine est par exemple effective dans les aéroports français depuis septembre. Libre aux pays de mettre en place des mesures supplémentaires s'ils le souhaitent. En France, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) a lancé un programme d'expérimentations (Vision Sûreté) avec les aéroports de Lyon, Nice, Toulouse et Paris afin d'avoir sous la main dès 2017 des solutions prêtes à être déployées dans les aéroports tricolores.

"Ce programme va entraîner des évolutions notables dans le domaine de l'inspection filtrage des passagers et des bagages de soute", a déclaré cette semaine le directeur de la DGAC, Patrick Gandil.

Modification du poste d'inspection filtrage

L'objectif est non seulement d'améliorer le niveau de sûreté mais aussi la fluidité dans les aéroports. Les travaux portent notamment sur le poste d'inspection filtrage avec, entre autres, des expérimentations sur les shoes scanner qui permettent de contrôler les chaussures sans les retirer, ou sur de nouveaux algorithmes de scanners corporels permettant de déclencher moins de fausses alarmes. Mais aussi sur une modification du poste d'inspection filtrage avec l'idée de transférer les écrans de contrôle dans une salle isolée pour placer les agents de sûreté dans de meilleures conditions de concentration.

À ces outils technologiques s'ajoute aussi la volonté de développer fortement l'analyse comportementale. Certains acteurs de la sûreté plaident d'ailleurs pour un traitement différencié des passagers.

"Avec la hausse du trafic, la question de l'égalité de traitement pour tous les passagers se pose. Ne doit-on pas faire une analyse plus fine en amont de l'inspection filtrage pour ensuite mieux orienter les passagers vers des contrôles plus poussés ?", s'interroge un acteur de la sûreté.

Toutes ces réflexions visent non seulement à améliorer la sûreté et à la rendre plus acceptable par les passagers, grâce à l'amélioration des flux, mais elles intègrent également la problématique des coûts.

"L'objectif n'est pas de compiler les mesures de sûreté mais que toute nouvelle mesure permette d'en retirer une", explique le même expert des questions de sûreté.

En France, le coût de la sûreté aéroportuaire est estimé par la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam), une association professionnelle qui regroupe la quasi-totalité des compagnies françaises, à 800 millions d'euros par an. Celle-ci est financée par la taxe d'aéroport payée par les passagers et indirectement par les compagnies qui absorbent son coût dans leurs tarifs. La Fnam "demande d'ailleurs à l'État (dans son rôle régalien) de lancer une réflexion visant à prendre en charge, comme aux États-Unis, 57 % des coûts complets de la sûreté".

En France, un "décret des vols entrants"

Pour autant, si le niveau de sûreté aérienne en France et en Europe est élevé, le risque et la menace ne se situent pas qu'en France ou en Europe. Les avions entrant dans l'espace aérien français après avoir décollé d'aéroports sensibles présentent des risques en raison de leur vulnérabilité ou d'une menace terroriste dans le pays en question.

Aussi, après la promulgation de la loi antiterroriste début 2015, la France s'est armée d'un "décret des vols entrants"qui lui donne les moyens d'imposer aux compagnies aériennes des pays tiers desservant l'Hexagone des mesures complémentaires de contrôle des passagers, des bagages ou de surveillance des avions dans l'aéroport de départ, à l'étranger. Voire de modifier les approches des atterrissages de vols venant de France si ceux-ci peuvent être vulnérables aux tirs de missiles. Un projet délicat en raison de son caractère extraterritorial. Après avoir réalisé un audit, la DGAC peut donc imposer des mesures complémentaires sur des aéroports jugés sensibles. Pour l'heure, la Tunisie et le Mali ont été concernés. "Le Sénégal va suivre", a expliqué Patrick Gandil, qui craint qu'il y en ait encore d'autres.  Air France prend depuis longtemps les devants. Sur certaines escales sensibles, la compagnie double toutes les mesures.

Fabrice Gliszczynski

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