
La pression monte autour de la fin des concessions autoroutières françaises. Et en la matière, Xavier Huillard sait y faire. A l'occasion de la présentation de ses résultats annuels, le PDG de Vinci a appuyé sur quelques points sensibles alors que la réflexion sur le futur des concessions historiques est désormais engagée. Financement de la transition environnementale, durée des contrats, contentieux sur les tarifs... le géant français de la concession a dégainé à plusieurs reprises.
« La France ne respectera pas ses engagements de réduction de CO2 à l'horizon 2050 sans un énorme - et surtout, très urgent - effort de décarbonation de la route et en particulier de l'autoroute », a ainsi attaqué d'entrée de jeu Xavier Huillard.
L'occasion pour lui de dire que Vinci y travaille déjà, mais surtout que « l'essentiel reste à venir et qu'il faut en faire beaucoup plus si on veut une chance d'avoir un pays qui atteigne son objectif de neutralité carbone » avec une mobilité qui pèse aujourd'hui pour 30% des émissions de CO2 en France.
Nécessité d'investissements « absolument colossaux »
Le patron de Vinci a ainsi annoncé la nécessité d'investissements « absolument colossaux » à mettre en place dès maintenant :
« Pour l'ensemble du secteur autoroutier français, il faut être prêt à trouver des formules permettant d'investir entre 50, 60 et 70 milliards et le plus rapidement possible. »
Les équipes autoroutières de Xavier Huillard estiment en effet qu'il faudrait investir de 5 à 6 milliards d'euros pour un tronçon de 1.000 kilomètres, sachant que le géant du BTP en détient 4.443 sur les 12.000 km du réseau autoroutier. La stratégie nationale bas-carbone impose en outre une baisse de 28% des émissions de gaz à effet de serre dans la mobilité à horizon 2030 afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050.
Occuper le devant de la scène
En combinant urgence et importance des développements, Xavier Huillard veut ainsi positionner Vinci comme un acteur incontournable du futur des autoroutes françaises sans attendre la fin des concessions.
Celle-ci est prévue entre 2031 et 2036 pour les concessions historiques - qui représentent 90% du réseau concédé. En ce qui concerne les autoroutes exploitées par Vinci, cela comprend Escota en 2032, Cofiroute en 2034, et Autoroutes du Sud de la France en 2036.
Xavier Huillard a donc appelé tous les acteurs à se mettre autour de la table sans attendre pour déterminer les solutions et les investissements pour décarboner du transport routier. Une manière de préempter le débat alors que l'État ne s'est pas encore positionné sur le sujet.
« Si on attend les nouvelles concessions, qui arriveront entre 2031 et 2036 pour commencer à s'occuper de la décarbonation, nous ne serons pas à l'objectif de 2050. C'est ça la difficulté. Il y a plein de formules imaginables pour faire des investissements dans le sens de la décarbonation dès aujourd'hui, sans attendre la fin des concessions actuelles », a expliqué Xavier Huillard, PDG de Vinci.
Le PDG estime qu'il faut tout d'abord fixer des objectifs collectifs en la matière. Sur ce point, nul doute que Vinci voudra peser de tout son poids sur les choix qui seront faits, comme le donne à entendre le dirigeant lui-même :
« C'est tout le travail que nous avons proactivement réalisé depuis maintenant deux ans et que nous avons appelé le programme de décarbonation des autoroutes. »
Il s'agit principalement de flécher des investissements vers l'électrification de la mobilité. Xavier Huillard a ainsi affirmé que 100% des aires de repos de Vinci Autoroutes seront équipées en bornes de recharge à la mi-2023 - alors que la réglementation l'imposait pour fin 2022.
Un retard qui ne déstabilise pas le dirigeant, qui en profite pour préciser que sur 1.750 points de charge installés, 1.400 seront « ultra-rapides ».
A cela s'ajoute la décarbonation des poids lourds ou encore le « free flow ». Par « flux libre », s'entend la fin des barrières de péage et leur remplacement par des portiques surplombant les voies et bardés de capteurs afin d'améliorer la fluidité du trafic et réduire les émissions. Ces dispositifs seront capables de lire la catégorie du véhicule - camion ou voiture individuelle -, sa plaque d'immatriculation, sa position sur la chaussée... et d'envoyer la facture à l'arrivée.
À la recherche de la bonne formule
Il faudra ensuite déterminer la méthode pour lancer les investissements alors que la durée restante des concessions est bien trop faible pour amortir de tels coûts. Interrogé par La Tribune sur les propositions formulées à ce sujet par l'Autorité de régulation des transports (ART) il y a quelques jours - notamment, la possibilité d'un mécanisme de transition, une soulte, permettant au futur concessionnaire de reprendre à sa charge les investissements lancés par son prédécesseur - Xavier Huillard s'est montré ouvert.
« Toutes les formules sont évidemment possibles » a-t-il ainsi déclaré, rappelant au passage que l'ART s'est déclarée favorable à la prorogation du système, avec l'établissement de nouvelles concessions à l'issue des contrats actuels. Selon lui, « ce sont des outils très vertueux pour ces grands investissements que sont les autoroutes ».
Xavier Huillard a également jugé « normal » que l'ART veuille de nouvelles concessions plus courtes car le poids de la création des réseaux autoroutiers a déjà été absorbé. Il n'a en revanche pas mentionné le fait que si l'Autorité a formulé une telle demande, c'est pour éviter certaines dérives connues avec les contrats actuels. Patrick Vieu, vice-président de l'ART, indiquait ainsi il y a quelques jours que les concessions historiques, démarrées dans les années 1950-60, étaient prévues pour s'achever dans les années 1990, mais qu'elles avaient été prolongées au fil de l'eau par une multitude d'avenants.
Passées de gré-à-gré sans remise en concurrence, avec « une asymétrie de l'information » entre l'État concédant et les concessionnaires, ces prorogations ont pu dès lors être possiblement décorrélées des prix du marché. L'ART a d'ailleurs demandé en parallèle des conditions plus strictes pour les renégociations des contrats si les durées de concessions devaient rester élevées.
Un « contentieux » avec l'État
D'autant qu'à la suite d'un rapport de l'Inspection générale des Finances (IGF) sur les concessionnaires, révélé par Le Canard Enchaîné, le ministère de l'Économie a fait savoir, cité par l'AFP, qu'il étudiait la possibilité de raccourcir la durée des concessions actuelles.
« Nous ne sommes pas en discussions avec qui que ce soit sur un raccourcissement de la durée des concessions », a rétorqué, ce 9 février, le président de Vinci Autoroutes, Pierre Coppey.
Et d'ajouter :
« J'ai un sentiment de redite et de répétition dont on ne se lasse pas. Depuis 2006 [date d'attribution des concessions], Vinci Autoroutes a investi 15 milliards d'euros dans des programmes d'amélioration du réseau. »
Ce rapport indique également que, depuis la loi de finances 2019 adoptée fin 2018, l'État compenserait systématiquement la hausse de la taxe d'aménagement du territoire - indexée sur l'inflation - en augmentant les tarifs de péage.
« L'État fait donc payer aux usagers une hausse de l'inflation qui devrait l'être par ces groupes privés », estime le président (LFI) de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, Éric Coquerel, qui a eu accès au rapport de l'IGF.
Bercy a répliqué que cette hausse n'avait pas été répercutée. Il en veut pour preuve le fait que les sociétés d'autoroutes ont attaqué en justice l'État pour demander compensation et a indiqué être « actuellement en contentieux ».
Le ministère affirme à l'AFP avoir gagné la « première manche juridique, au Tribunal administratif de Paris », une situation confirmée par Vinci Autoroutes et son président Pierre Coppey, qui ne compte pas se laisser faire :
« La taxe a été augmentée, mais sans répercussion sur les tarifs. Cela fait débat entre les sociétés concessionnaires et l'État », a-t-il déclaré.
Le trafic n'est pas encore complètement revenu pour les plateformes de Vinci Airports, mais la performance économique est déjà au plus haut. Après avoir perdu 575 millions d'euros sous les effets de la crise sanitaire lors des deux dernières années, la division aéroportuaire du groupe Vinci est repartie de l'avant. Elle a doublé son chiffre d'affaires en 2022, à 2,68 milliards d'euros, dépassant ainsi légèrement sa performance référence de 2019. Surtout, ce redressement rapide de l'activité s'est traduit par un retour à un niveau de rentabilité quasiment comparable à celui d'avant la crise, avec un résultat opérationnel (Ebit) de 983 millions d'euros en 2022 et une marge de 36,7 %. En prenant le résultat avant amortissement (Ebitda), la marge est même supérieure à celle de 2019 à près de 60%. Nicolas Notebaert, directeur général de Vinci Concessions et président de Vinci Airports s'est félicité de cette performance, précisant que ces équipes avaient réussi à maîtriser l'ensemble de leurs coûts d'exploitation : « À chiffre d'affaires équivalent, nous avons moins de coûts qu'il y a trois ans, et notre performance économique augmente. » Les coûts devraient progressivement augmenter au cours des prochains exercices sous le coup de la reprise du trafic et le retour à des niveaux d'investissement plus habituels, mais il estime tout de même que 40 et 50 millions d'économies annuelles seront pérennisées une fois la pleine activité retrouvée. La remontée du trafic devrait ainsi se poursuivre en 2023, même si le niveau d'avant crise ne sera probablement pas atteint avant 2024. Sur 2022, il était encore inférieur de 28% à celui de 2019, avec 187 millions de passagers, mais avec une accélération en fin d'année (-17 % au dernier trimestre). Nicolas Notebaert insiste également sur les importantes disparités géographiques. Les aéroports mexicains du groupe OMA, dans lesquels Vinci a pris une participation en décembre, sont au-dessus de leur niveau d'avant-crise. Ceux très touristiques du Brésil, du Portugal, de République dominicaine et de Serbie ont réduit l'écart à moins de 10%, tandis que la France, le Royaume-Uni et le Chili ont encore un quart du chemin à faire. Le Japon reste encore loin du compte, mais la réouverture des frontières asiatiques et notamment de la Chine devrait permettre au trafic de reprendre sensiblement.
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