Benjamin Smith, le patron d'Air France-KLM, pointe la menace de Turkish Airlines

Par Guillaume Renouard  |   |  1408  mots
Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM (Crédits : GONZALO FUENTES)
A l'occasion du Paris Air Forum, Ben Smith, le directeur général d’Air France-KLM a déroulé la stratégie du groupe pour penser l’après-Covid. Répondant aux accusations de « greenwashing  », il a dirigé quelques piques à l'encontre de ses concurrents, non plus contre les compagnies du Golfe comme le faisaient ses prédécesseurs, mais contre Turkish Airlines. Par ailleurs, sans donner de chiffres précis ni rien annoncer de définitif, le directeur général d'Air France KLM a notamment affirmé qu'il regardait du côté de l'A350-1000, ainsi que des Boeing 777X et 787-9.

Après l'accalmie du Covid, l'été 2022 a été quelque peu chaotique pour le secteur de l'aviation, entre vols retardés, voire annulés, files d'attente interminables et bagages perdus. Mais alors que l'été 2023 se rapproche, Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM, se veut serein.

« Après deux années difficiles, nous avons renoué l'été dernier avec de grosses fréquentations, en particulier sur les vols transatlantiques. Seulement, rappelons que nous avons perdu beaucoup d'argent en 2021, et que de nombreuses compagnies, y compris la nôtre, n'étaient donc pas prêtes à 100% pour faire face à cette situation. Beaucoup de compagnies manquaient de personnel, ce qui a créé des problèmes dans la gestion des bagages, notamment. Cette année, nous sommes mieux préparés. Chez Air France, nous avons désormais plus de capacités qu'en 2019. »

Le fret aérien : une opportunité à long terme ?

D'autant que la pandémie a également été l'occasion pour l'entreprise de voir certains nouveaux modèles d'affaires retrouver du poil de la nête, comme le fret aérien en déliquescence depuis une quinzaine d'années. Si la capacité du groupe en matière d'avions cargos est aujourd'hui retombée par rapport au pic de la pandémie, elle reste néanmoins supérieure à 2019, et Benjamin Smith y voit même une opportunité stratégique de venir suppléer un marché du fret maritime très engorgé.

« L'accès à certains ports pose aujourd'hui un vrai défi, par exemple au niveau du canal de Suez ou encore à Los Angeles : il faut parfois deux ou trois semaines pour y accéder. Le fret aérien comporte dans ce contexte des avantages certains. »

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Le Brésil en ligne de mire

Pour faire face à la hausse de la demande, notamment celle émanant de pays en développement où la classe moyenne devient de plus en plus nombreuse, et remplacer ses modèles les plus anciens, le groupe, qui avait déjà maintenu ses commandes d'avions neufs durant la pandémie, envisage d'acheter de nouveaux modèles long-courriers. Sans donner de chiffres précis ni rien annoncer de définitif, le directeur général d'Air France KLM a notamment affirmé qu'il regardait du côté de l'A350-1000, ainsi que des Boeing 777X et 787-9.

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Autre grosse actualité pour l'alliance franco-néerlandaise : le rachat potentiel de TAP Air Portugal, qui a récemment fait couler beaucoup d'encre. Une acquisition notamment motivée, selon Benjamin Smith, par les liaisons que la compagnie portugaise assure avec le Brésil. « Le marché transatlantique est le plus rentable de tous pour les constructeurs européens. Or, TAP Air Portugal possède une très forte présence au Brésil, qui est notre cible numéro 1 en Amérique du Sud », a commenté le dirigeant,  sans donner davantage de détails sur l'éventuel rachat de l'opérateur portugais. De son côté, Carsten Spohr, le président du directoire de Lufthansa, l'autre postulant à ,  a déclaré dimanche prématuré toute discussion sur un éventuel intérêt du groupe de transport aérien allemand pour une reprise de TAP, estimant que Lisbonne réfléchit encore à la privatisation de la compagnie portugaise.

Le formidable défi du verdissement

Malgré sa volonté d'accroître ses capacités pour répondre à la demande, Benjamin Smith s'est dit confiant quant à la capacité de l'industrie à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, tout en suggérant que la balle était aussi dans le camp des pouvoirs publics. « On a la technologie. Maintenant, on regarde ce qui se passe aux États-Unis et dans d'autres juridictions, et on voudrait que la France fasse de même », a-t-il affirmé, visiblement en référence à l'Inflation Reduction Act, qui s'appuie sur des crédits d'impôt pour aider les industriels à financer la transition énergétique aux États-Unis.

Le dirigeant a également souligné que de nouveaux appareils permettaient déjà de réduire les émissions de CO2 de 50%, tout en concédant qu'aller jusqu'à 100% restait pour l'heure un défi immense.

Questionné sur les accusations de « greenwashing » à l'encontre de son industrie, Benjamin Smith, tout en affirmant que les compagnies aériennes constituaient une « cible facile », a reconnu des maladresses en matière de communication. « Les outils de marketing ont été mal positionnés, on a voulu s'assurer que nos clients étaient conscients de nos engagements, c'est nouveau pour nous et il faut qu'on apprenne comment faire tout cela. »

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Il a toutefois rejeté toute logique décroissante et affirmé que le verdissement de l'industrie passerait forcément par la technologie. « Nous sommes une compagnie aérienne, la chose la plus responsable pour nous, c'est d'être meilleurs et plus rapides que nos concurrents. Nous voulons ouvrir la voie vers la durabilité, mais si nous ne sommes pas rentables, nous ne pouvons pas investir dans les nouvelles technologies. La demande monte, les gens veulent voyager. Dans une économie mondiale, de nombreuses personnes ont des amis et de la famille partout sur la planète, mais ce sont les voyages d'affaires qui sont toujours les plus importants, et je ne pense pas que c'est quelque chose qui va s'arrêter, cela apporte une énorme valeur à l'économie. »

Le péril turc

Benjamin Smith a également dirigé quelques flèches contre Turkish Airlines, dont les grandes ambitions, illustrées par une récente commande gigantesque de 600 avions (soit environ trois fois la flotte exploitée aujourd'hui par Air France), suscitent des inquiétudes au sein du groupe franco-néerlandais. Le dirigeant n'a pas mâché ses paroles, accusant à mots couverts le groupe rival de concurrence déloyale.

« Cette grosse commande pose un risque pour notre position sur certains marchés. Nous sommes face à un concurrent qui dispose d'avantages que nous n'avons pas, il bénéficie d'un soutien du gouvernement en Turquie, avec l'accès à certains aéroports avec une certaine flexibilité, des questions de coûts qui sont différents, des taux qui sont inférieurs par rapport à l'Europe... Nous ne sommes donc pas à égalité, et nous nous efforçons de faire du lobbying pour l'être. Sachant qu'il y a des accords bilatéraux entre l'Europe et la Turquie, mais aussi entre la France et la Turquie. »

Pour rappel, Turkish ne comptait que 215 avions il y a à peine 10 ans. Un danger pour les compagnies européennes. A seulement trois heures de vol de la France, Turkish peut en effet alimenter son hub à moindre frais, non pas avec des avions long-courriers, comme le font les compagnies du Golfe, mais avec des appareils de la famille A320 ou 737, moins chers. Lesquels couvrent aujourd'hui la plus grande partie des destinations internationales de la compagnie. Surtout, disposant d'accords de ciel ouvert avec un grand nombre de pays européens, la compagnie turque propose au départ d'Istanbul d'un réseau en Europe autrement plus conséquent que celui des transporteurs du Golfe au départ de leur hub respectif. Un atout de taille pour capter la clientèle asiatique voulant se rendre en Europe ou en Afrique.

Par ailleurs la conjoncture lui est favorable. La chute de la livre turque fait baisser les coûts de main d'oeuvre de Turkish Airlines au moment même où les coûts des compagnies européennes vont augmenter avec la fin progressive des quotas de CO2 gratuits dans le cadre du système d'échanges de quotas d'émissions européen auquel ne participe pas Turkish Airlines. Egalement présente au Paris Air Forum, la directrice générale d'Air France, Anne Rigail a elle aussi cité la compagnie turque pour évoquer les problèmes de concurrence.

« Lorsqu'on se projette en 2030, avec un mandat d'intégration de 10%, le surcoût pour un aller-retour Nice-Singapour en classe économique est de 110 euros, a expliqué la directrice générale à l'auditoire. Certains clients pourraient préférer partir par  Turkish via Istambul, parce que là le surcoût sera de l'ordre zéro, ou un petit peu plus de zéro. Donc on a un vrai enjeu de ne pas raisonner aux bornes de l'Hexagone, ni aux bornes de l'Europe », a insisté la directrice générale d'Air France.