Financement des pistes cyclables : les élus locaux pédalent dans le flou

Parmi les 2 milliards d'euros du « plan vélo » annoncé par le gouvernement le 5 mai, 1,25 milliard d'euros est prévu d'ici à fin 2027, soit 250 millions d'euros par an, pour les aménagements cyclables. Sauf que les édiles concernés, à savoir les intercommunalités et les métropoles, n'ont pas encore reçu le mode d'emploi. Explications.
César Armand
La maire de Paris Anne Hidalgo et le président du Comité d'organisation des Jeux olympiques Tony Estanguet sur une piste cyclable de la capitale au niveau du métro Rue des Boulets.
La maire de Paris Anne Hidalgo et le président du Comité d'organisation des Jeux olympiques Tony Estanguet sur une piste cyclable de la capitale au niveau du métro Rue des Boulets. (Crédits : Ville de Paris)

C'était la réunion à ne pas rater le 5 mai dernier. À l'hôtel de Roquelaure, boulevard Saint-Germain, la Première ministre Elisabeth Borne, flanquée de ses ministres Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires), Clément Beaune (Transport), Olivia Grégoire (Tourisme) et Roland Lescure (Industrie), a présenté un « plan vélo » de 2 milliards d'euros d'ici à fin 2027.

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Dans la continuité d'un premier plan lancé en septembre 2018 par le gouvernement Philippe dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités (LOM), la cheffe du gouvernement a annoncé le déblocage d'une enveloppe annuelle de 250 millions d'euros dès 2024 pour « accélérer » le développement des pistes cyclables, soit 1,25 milliard d'euros pour les quatre prochaines années.

Et ce notamment dans les petites et moyennes villes ainsi que les villages ruraux, aujourd'hui peu équipées en infrastructures à la différence des métropoles. Sauf que malgré cette volonté politique affichée par l'exécutif, le vade mecum n'a pas (encore ?) été donné aux élus locaux compétents en matière d'autorité organisatrice de mobilité.

Du chantage à la subvention

D'autant que sur le terrain, les plus petites intercommunalités ne sont pas nécessairement devenues des autorités organisatrices de mobilité (AOM), comme cela était prévu par la loi LOM de 2019. En théorie, les élus locaux concernés avaient jusqu'au 31 mars 2021 pour se décider. Dans la pratique, la crise sanitaire a retardé l'élection puis la désignation des exécutifs intercommunaux et fait retourner les Français vers leur voiture individuelle, bloquant tout débat local sur les politiques à conduire en termes de transport et de mobilité.

En parallèle, des conseils régionaux, comme l'Occitanie ou l'Auvergne-Rhône-Alpes auraient fait, selon des sources concordantes, du chantage à la subvention pour éviter que les intercommunalités s'emparent de cette compétence. Et ce afin de s'en saisir à leur place. L'association des intercommunalités de France plaide donc pour la réouverture d'une « fenêtre de tir » pour que les intercommunalités se saisissent de ce pouvoir d'autorité organisatrice de mobilité (AOM).

Déjà deux appels à projet dotés de 100 millions d'euros pour 2023

En réalité, dès septembre 2022, Elisabeth Borne avait communiqué sur une première allocation de 200 millions d'euros pour 2023. En janvier dernier, cela s'est traduit par le lancement d'un appel à projets baptisé « fonds mobilités actives-aménagements cyclables » doté de 100 millions d'euros dont les lauréats ne seront connus qu'en septembre prochain. De même qu'un autre « appel à territoires cyclables » de 100 millions d'euros doit être lancé « dans les prochains jours » pour accompagner « dans la durée » les territoires peu ou moyennement denses dans la mise en œuvre de leur « schéma cyclable ».

« Ce n'est pas beaucoup, mais cela peut permettre de faire quelques démonstrations par l'exemple. Collectivement, nous devons, en effet, encore faire la preuve que le vélo est une alternative à la voiture individuelle, y compris en milieu rural », relève-t-on du côté de l'association Intercommunalités de France.

« Les pistes doivent aller au-delà des villes-centres » des métropoles

S'agissant des 250 millions d'euros prévus chaque année de 2024 à 2027, portant le total des espèces sonnantes et trébuchantes à 1,25 milliard d'euros pour ces aménagements cyclables, les élus locaux n'en connaissent pas encore les modalités précises.

« Est-ce que ce sera des appels à territoire ou des appels à projet ou des appels à manifestation d'intérêt ? Toujours est-il qu'in fine, ce sont les collectivités qui payeront les aménagements, la décision revenant au financeur. Cela reste des choix de puissance publique locale », insiste-t-on chez Intercommunalités de France.

De même du côté de France urbaine, l'association des grandes villes et des métropoles notamment compétentes en matière de mobilité : « Nous ne connaissons pas [non plus] le mode d'emploi, mais nous n'avons rien à redire » sur le plan vélo, affirme un porte-parole.

« Dans nos villes, on s'aperçoit qu'il y a de plus en plus de vélo et de cyclo-logistique et qu'on a besoin de mieux protéger les piétons », poursuit-on à France urbaine.

« On pousse également à ce que les pistes aillent au-delà des villes-centres, sachant qu'avec les vélos à assistance électrique (VAE), les usagers peuvent dépasser les 5 à 15 kilomètres moyens et rouler sur des distances supérieures », enchaîne cette même source.

Dépasser les frontières des ZFE

Elle ne croit pas si bien dire. En zone dense, les habitants, qui le peuvent et qui le veulent, ont tendance à délaisser les transports en commun pour le deux-roues. De même que des communes comme Grenoble, Strasbourg ou Bordeaux - trois villes dirigées par des écologistes - encouragent les parents à laisser leurs enfants se rendre ainsi à l'école.

La présidente de France urbaine, Johanna Rolland, maire (PS) de Nantes, va plus loin et pousse à une réflexion croisée avec les zones à faibles émission-mobilité (ZFE-m). Lors de la première réunion à Matignon sur l'« agenda territorial » de la Première ministre, l'édile a demandé que les multiples aides publiques et privées puissent dépasser les frontières stricto sensu des ZFE-m, afin que les populations déjà reléguées en zone périurbaine puissent facilement changer de voiture et entrer dans leurs cœurs de ville pour se soigner et travailler.

Un coût de 4 millions d'euros... par piste cyclable

Un dernier bémol porte sur le montant en lui-même de 250 millions d'euros annuels que d'aucuns jugent déjà « assez faible ». « Un aménagement cyclable, ça coûte rapidement 4 millions d'euros », confie-t-on dans une association d'élus locaux. Autrement dit, avec 250 millions d'euros, il pourra se réaliser, en tout et pour tout, et chaque année, seulement 60 pistes cyclables. Soit moins d'une pour un million d'habitants...

César Armand

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Commentaire 1
à écrit le 11/05/2023 à 2:13
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L'expression idoine est pedaler dans la semoule, pas dans le flou.

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