
Willie Walsh n'a pas la langue dans sa poche. Le directeur général de l'Association internationale du transport aérien (IATA) a profité de son assemblée générale, les 4 et 5 octobre à Boston, pour asséner quelques messages forts au reste de l'écosystème du transport aérien. Les restrictions gouvernementales sur les voyages ont été les premières visées, mais Willie Walsh n'a pas épargné non plus le contrôle aérien et les aéroports en les attaquant sur les prix qu'ils facturent aux compagnies aériennes, comme il l'avait déjà fait en juin dernier au Paris Air Forum. Il n'en fallait pas plus à l'Airports Council International (ACI), l'association internationale des aéroports, pour répliquer de façon tout aussi cinglante, en expliquant qu'ils étaient également touchés de plein fouet par la chute du trafic et en rappelant les efforts qu'ils avaient fait pour les transporteurs pendant la pandémie. Ils auraient pu ajouter que, contrairement aux compagnies aériennes, ils n'ont pas bénéficié des aides massives des gouvernements.
Dans un contexte économique encore très fragile pour les compagnies aériennes comme pour les aéroports, c'est donc une guerre ouverte par médias interposés qui s'ouvre sur l'éternelle question des taxes et des redevances, chacun jugeant « scandaleux » l'attitude de l'autre.
Une attitude jugée scandaleuse
Lors de son allocution sur l'état de l'industrie, Willie Walsh a ainsi lancé une charge frontale sur certains « soi-disant partenaires », qui remontent largement leurs tarifs pour rétablir leurs finances au détriment de la reprise du secteur. L'IATA estime qu'avec la fin des mesures d'allègement sur les taxes et redevances accordées aux compagnies aériennes l'an dernier, les coûts d'infrastructures ont déjà augmenté de 2,3 milliards de dollars en 2021.
« C'est scandaleux, s'est enflammé Willie Walsh. Si ce n'est pas maîtrisé, cela va s'empirer. »
L'association estime que si toutes les hausses annoncées se concrétisent en 2022, ce chiffre pourrait être dix fois supérieur.
Le directeur général de l'IATA n'a pas hésité à s'en prendre directement à plusieurs prestataires de services de navigation aérienne (ANSP, le contrôle aérien). Parmi eux, il a ciblé NavCanada, qui prévoit une hausse de ses charges de 30 % sur les cinq prochaines années tout comme ses homologues européens qui demandent une hausse des prix de l'ordre de 40 % en 2022. L'IATA estime ainsi que les 29 services de navigation dépendant d'Eurocontrol « cherchent à récupérer près de 8 milliards d'euros auprès des compagnies aériennes pour couvrir les revenus non réalisés en 2020-2021. ».
Willie Walsh en a remis une couche le lendemain lors d'une table ronde consacrée au sujet : « Les ANSP ont un énorme travail à faire pour améliorer leur performance. »
Combat fratricide avec les aéroports
Pour autant, c'est avec les aéroports que les frictions sont les plus fortes. « Le comportement que nous constatons maintenant est déplorable, a dénoncé Willie Walsh, précisant tout de même que cela ne concernait pas dans tous les aéroports. C'est une bataille que nous avons à mener. »
Plusieurs gestionnaires aéroportuaires ont été directement mis au ban, à commencer par Amsterdam-Schiphol qui souhaite une hausse de 40 % des redevances sur les trois prochaines années. L'ancien patron de British Airways n'a pas oublié ses anciens partenaires de Londres-Heathrow, « hors-catégorie avec une proposition de hausse de 90 % l'an prochain », même s'il s'est défendu d'en faire une affaire personnelle.
L'IATA a donc demandé aux services de navigation aérienne et aux aéroports de trouver des moyens de recouvrer des capacités financières sans faire peser la charge sur des compagnies largement affaiblies. L'association estime que des mesures de contrôle des coûts doivent mises en place alors que les coûts prévus par plusieurs acteurs pour 2022 sont presque équivalents à ceux de 2019 en dépit d'un trafic encore 40 % inférieur. De même, elle juge que les aéroports peuvent faire appel à leurs actionnaires après avoir versé de très conséquents dividendes ces dernières années. Selon ses calculs, les six principaux aéroports européens ont versé 10 milliards d'euros à leurs actionnaires sur la période 2015-2019. Enfin, l'IATA exhorte ses partenaires à trouver des financements sur les marchés financiers ou auprès de leurs gouvernements.
L'Airports council contre-attaque
La hache de guerre est donc déterrée entre compagnies et aéroports, comme l'a laissé entendre Luis Felipe de Oliveira, directeur général d'ACI World, en réponse aux propos de Willie Walsh : « Après une période qui a vu une collaboration et une unité sans précédent des aéroports et des compagnies aériennes pour survivre à cette crise et rétablir la confiance des passagers, il est décevant d'entendre le ton des déclarations de l'IATA. Les allégations faites à propos de l'industrie aéroportuaire sont hors contexte et ne reflètent pas les efforts déployés par les aéroports pour soutenir l'écosystème de l'aviation pendant la pandémie »
Reprenant les chiffres établis par l'ACI lors de la table ronde organisée par l'IATA, Deborah Flint, directrice générale de l'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, a argué que les aéroports avaient largement pris leur part dans la crise et que 70 % d'entre eux avaient procédé à des réductions de redevances ou des incitations pour soutenir les compagnies aériennes. Toujours selon les chiffres de l'ACI, la part des redevances aéroportuaires et des taxes du contrôle aérien dans les coûts de ces transporteurs aériens a ainsi diminué en 2020, pour se situer aux alentours de 5 %.
Des infrastructures lourdes à financer
Pour Luis Felipe de Oliveira, la remontée du niveau des redevances semble donc un mouvement logique pour garantir la pérennité financière de ses membres : « Les aéroports resteront des entreprises à forte intensité d'infrastructures, ce qui implique des coûts fixes élevés inévitables qui doivent être maintenus dans l'intérêt des passagers et des communautés desservies par les aéroports. »
Directement attaqué par Willie Walsh, les aéroports européens ont réagi par le biais de l'ACI Europe et de son directeur général Olivier Jankovec. Celui-ci s'est même montré plus vindicatif que Luis Felipe de Oliveira : « Au bout du compte, nous devons nous rappeler que les compagnies aériennes peuvent se permettre de payer les redevances aéroportuaires. Les compagnies aériennes ne paient les aéroports que si elles opèrent, et seulement quelques semaines après avoir perçu les revenus des passagers. »
Le représentant des aéroports européens ne s'est d'ailleurs pas privé d'adopter un ton proche de celui de Willie Walsh : « Les compagnies aériennes sont mal placées pour nous donner une leçon de préservation des intérêts des clients alors qu'elles ont refusé pendant des mois de rembourser les passagers pour des vols qui n'ont pu avoir lieu, et que certaines traînent encore les pieds pour le faire. L'intervention de la Commission européenne à ce sujet est révélatrice. »
Quand à la possibilité évoqué par l'IATA pour les aéroports de se financer sur les marchés financiers, l'ACI Europe a rétorqué que la dette brute des aéroports européens avait déjà crû de 200 % depuis 2019.
Le seul point commun où compagnies aériennes et aéroports, c'est la nécessité de reconstruire des relations et des modes de fonctionnement et d'inscrire des critères de durabilité dans les investissements à venir. Si le constat est partagé, les conclusions risquent d'être diamétralement opposées.
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