Le 5 octobre, l'Association internationale du transport aérien (IATA) créait la sensation en faisant un pari fou : atteindre le « zéro émission nette » d'ici à 2050. Adoptée en dépit de quelques oppositions venues de Chine, cette résolution doit désormais être mise en œuvre. Et la tâche est loin d'être simple alors que le trafic va être multiplié par cinq sur cette même période, selon les dernières prévisions avancées par l'association. En dépit de l'impact de la crise sanitaire, pas moins de 10 milliards de passagers devraient prendre l'avion en 2050. Dans les conditions actuelles, cela représenterait l'émission de 1,8 milliard de tonnes de CO2 pour cette seule année, le double du niveau observé en 2019. En cumulé depuis 2020, cela représente plus de 21 milliards de tonnes de CO2 à abattre en trente ans.
« C'est un jour historique, s'est enthousiasmé Sebastian Mikosz, vice-président principal en charge de l'environnement et de la durabilité au moment de présenter en détail la feuille de route de l'IATA pour atteindre cet objectif. C'est vraiment quelque chose de grand pour nous. » L'instant d'après, l'ancien dirigeant de LOT Polish Airlines et Kenya Airways s'attelait à montrer l'ampleur de cet « énorme défi ».
Les "SAF", pilier central de la décarbonation
Pour atteindre le zéro émission nette, l'IATA a établi une stratégie principale reposant sur quatre piliers distincts. Parmi eux, le développement des carburants aériens durables (SAF), d'origine non fossile, représenteront près des deux tiers de l'effort de décarbonation à fournir en 2050. Toujours selon les calculs, les systèmes de compensation compteront pour 19 %, les nouvelles technologies pour 13 % et l'amélioration des infrastructures et des opérations pour 3 %.
« Les SAF sont notre plus grande chance », a déclaré Sebastian Mikosz, rappelant leur facilité d'utilisation et leurs bénéfices : ces carburants peuvent être intégrés à hauteur de 50 % dans les réservoirs des avions actuels sans aucune modification technique ou réglementaire et offrent un potentiel de réduction d'émissions carbone de 80 % sur l'ensemble du cycle de production-utilisation.
Pour rappel, certains motoristes comme CFM International, filiale de Safran et General Electric travaillent sur une nouvelle génération de moteurs capable de transporter 100% de SAF.
Le défi de la massification
Mais c'est aussi « notre plus grand défi », pour le monsieur environnement de l'IATA. Malgré l'absence de contraintes, les SAF représentent moins de 1 % du carburant aérien utilisé à travers le monde. Selon le scénario établi par l'IATA, ils sont censés passer à 2 % en 2025, 17% en 2035, 39% en 2040, 54% en 2045 et enfin 65% en 2050. Pour ce faire, la production annuelle doit passer de 100 millions de litres actuellement à 449 milliards de litres en 2050.
Ces carburants verts doivent aussi réussir une bascule économique. Selon Sebastian Mikosz, il coûterait aujourd'hui 3 à 4 fois plus cher que le kérosène classique. Certaines estimations font même état d'un rapport de 1 à 7. Le vice-président estime en revanche qu'une fois la production lancée à grande échelle, les SAF offriront des coûts bien moins volatiles que ceux du kérosène, indexés sur les cours du pétrole.
L'hydrogène, l'IATA attend de voir
En dépit des promesses annoncées de l'hydrogène, Sebastian Mikosz se montre très prudent sur l'impact des nouvelles technologies dans l'effort de décarbonation : « Nous n'en savons pas assez pour compter sur ces nouvelles technologies, dont les nouveaux systèmes de propulsion, qui n'apportent aucune réduction effective de CO2 pour le moment. C'est seulement une approche conservatrice mais nous préférons compter sur les technologies que nous maîtrisons. »
Il ne ferme pas la porte pour autant, rappelant que la propulsion à hydrogène n'arrivera pas avant 2035 avec en particulier les projets portés par Airbus. Il se déclare ainsi prêt à réviser ses prévisions au fur et à mesure qu'il disposera des données suffisantes pour le faire.
Comptant pour 3 %, l'amélioration des infrastructures et des opérations mêlent aussi bien le retrofit de la flotte existante, l'optimisation de l'efficacité des vols et des opérations au sol, l'allègement des équipements à bord... et la modernisation du contrôle aérien. Sans s'étendre sur le sujet, Sebastian Mikosz, en a profité pour souligner « le frustrant exemple » offert par le Ciel unique européen dont les bénéfices se font toujours attendre vingt ans après son lancement.
Réduire les émissions plutôt que compenser
Les compensations carbone constituent le dernier élément de la stratégie de l'IATA, avec notamment le système CORSIA mis en place au niveau mondial par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), qui vient d'entrer dans sa phase pilote. Ces compensations doivent compter pour 97 % de l'effort de décarbonation en 2025, avec de voir sa part se réduire progressivement au profit des autres piliers. Une rupture est attendue après 2035 avec la fin du CORSIA, la part des compensations dans la décarbonation passant sous la barre des 50 %.
En 2050, selon l'IATA, elle ne devrait plus représenter que 8 %. Dans le même temps, la captation, le stockage et l'utilisation du carbone vont progressivement se développer, jusqu'à dépasser les 10 % de l'effort de réduction des émissions nettes de CO2 d'ici 2050.
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