Le chantier de la nouvelle régulation des aéroports français est lancé

Quel sera le rapport de force entre les aéroports et les compagnies aériennes en France dans les années à venir ? Comment seront calculées les redevances prélevées sur les transporteurs d'une plateforme aéroportuaire à une autre ? Dans quel cadre ? Tout cela va être déterminé au cours des prochains mois avec le grand chantier de remise à plat de la régulation aéroportuaire, qui vient d'être engagée par les acteurs du transport aérien. Les discussions réunissent l'Union des aéroports français (UAF) et la fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam) sous l'égide du ministère des Transports. Un accord est espéré pour la rentrée mais, bien que tout le monde ait désormais accepté de s'asseoir autour de la table, des points durs restent à résoudre.
Léo Barnier
Compagnies et aéroports ont entamé le dialogue sur la régulation.
Compagnies et aéroports ont entamé le dialogue sur la régulation. (Crédits : Olivier Mirguet)

Le pavé de la régulation aéroportuaire a été lancé dans la mare fin 2021 par Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français (UAF) et de l'aéroport de La Rochelle. Craignant le fardeau de la dette accumulée pendant la pandémie et estimant que les aéroports n'avaient pas bénéficié d'aides directes au contraire des compagnies aériennes, le patron des aéroports français était bien décidé à rebattre les cartes en sortie de crise. Au point de trouver les mots justes pour convaincre Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports, qui s'est rapidement dit « tout à fait ouvert, sans tabou, à la question de la régulation ». Forte de cet appui ministériel, l'idée a fini par faire son chemin du côté des compagnies aériennes : après l'avoir fraîchement accueillie, la Fédération nationale de l'aviation marchande (Fnam qui représente les transporteurs) a accepté d'ouvrir des négociations. Celles-ci viennent de débuter avec une première réunion il y a quelques semaines et une deuxième la semaine dernière.

Tenant un discours lors du congrès de la Fnam, fin mai, Clément Beaune a affirmé qu'il n'avait « pas oublié le chantier de la régulation et la réforme ». Il espère ainsi voir la définition d'un nouveau cadre de régulation à même de « faire bouger les choses ». Interrogé par La Tribune à cette occasion, il a rappelé les enjeux de ce « sujet extrêmement technique qui place le curseur aussi entre les compagnies et les aéroports et qui est aussi un sujet financier pour l'État et pour les autorités qui gère les aéroports ». Il a ainsi expliqué que, conformément à l'engagement qu'il a pris l'an dernier lors du congrès de l'UAF, la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), a engagé un travail de consultation et de préparation technique

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La Fnam vire de bord

Le plus étonnant est le revirement de la Fnam sur cette question. Ce qui n'empêche pas son président, Pascal de Izaguirre, d'expliquer très simplement pourquoi il a changé son fusil d'épaule. Plutôt que de discuter séparément avec le cabinet de Clément Beaune et la DGAC, il a préféré mettre à profit son « excellente relation » avec Thomas Juin pour s'asseoir ensemble autour de la table et parler en direct plutôt que par le truchement des autorités. Également rencontré à cette occasion, le président de l'UAF était bien sur la même ligne : « Nous avons pris le parti avec la Fnam que l'on puisse se parler sans tabou sur ce sujet, en partenaires économiques. Il n'y a pas de raison que nous ne soyons pas dans une approche constructive sur ce sujet puisque c'est également dans l'intérêt des compagnies aériennes de permettre aux aéroports de trouver les financements pour pouvoir continuer à se moderniser, améliorer la qualité de service, aller vers des investissements de décarbonation. C'est dans l'intérêt de tout le secteur. »

Ceci étant dit, les deux hommes restent pragmatiques : « Nous verrons si nous arrivons à un consensus. C'est la solution la plus intelligente. Si ce n'est pas le cas, les pouvoirs publics trancheront », a indiqué Pascal de Izaguirre. Dans le même temps, Thomas Juin a estimé qu'une évolution de la régulation est indispensable et urgente, mais a précisé que la décision reviendra au ministre.

Maintenant que les discussions sont lancées, le chantier devrait avancer rapidement. Comme le dit Pascal de Izaguirre, l'idée désormais est de ne pas procrastiner. Un dénouement à la rentrée a ainsi été annoncé par Clément Beaune, bien que celui est prévenu que le travail n'était pas fini avec encore « un certain nombre d'itérations à faire ». Le ministre a d'ailleurs demandé des informations complémentaires à la DGAC.

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La double caisse sur le tapis

Le fait est qu'un certain nombre de sujets épineux vont devoir être tranchés. L'UAF demande en priorité de revoir le partage de la valeur entre les acteurs du transport aérien. Thomas Juin souhaitent ainsi que les aéroports disposent d'une juste rémunération du capital afin d'être suffisamment attractifs pour attirer des financements privés. Des investissements qu'il juge indispensables pour assurer les très importants investissements à venir. Ce que « la régulation telle qu'elle est prévue aujourd'hui ne permet plus », selon lui.

Thomas Juin se garde bien néanmoins d'avancer des chiffres pour quantifier le niveau de retour sur capitaux investis qu'il lui semble adapté. « C'est justement en train d'être discuté », argue-t-il. Mais, ce qui est sûr, c'est qu'il souhaite que soit engagée une réflexion pour tous les aéroports sur la mise en place d'un système dit de « double caisse », ou du moins de caisse aménagée. Or cette question est le principal point d'achoppement entre compagnies et aéroports.

« Il y a certains aéroports qui sont aujourd'hui dans une situation très périlleuse puisqu'ils ont toujours une caisse unique, ce qui se traduira mécaniquement par des baisses conséquentes de tarifs. C'est-à-dire de plus de 40 ou 50 %, ce qui n'est pas tenable », Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français.

Contrairement au système dit de « caisse unique », où toutes les recettes sont mélangées et peuvent s'équilibrer, la « double caisse » permet aux gestionnaires d'aéroports de séparer les revenus aéronautiques (redevances aéroportuaires) des revenus extra-aéronautiques (commerces, hôtels, restaurant et parkings). Ces derniers, très lucratifs, ne sont ainsi pas intégrés au périmètre régulé et ne rentrent pas en ligne de compte au moment de calculer les redevances aéroportuaires. Les aéroports peuvent ainsi continuer à dégager d'importantes marges sur les revenus extra-aéronautiques sans pour autant devoir modérer les tarifs pratiqués vis-à-vis des compagnies.

Clément Beaune sait la source de tensions que représente cette question. S'il n'entend pas mettre le sujet sous le tapis, il reste précautionneux sur le sujet : « Il n'y a pas de tabou, mais ce n'est pas évident pour autant et ce n'est pas adapté à tous les aéroports. Nous sommes en train de regarder. »

Pour sa part, Pascal de Izaguirre n'hésite pas à parler du « grand problème de la caisse double ». Pourtant, signe que l'heure est à la négociation, il déclare « ne pas être forcément hostile au principe de la caisse double » tout en rappelant que « s'il y a création de valeur, il faut un partage équitable ». Une ouverture que salue Thomas Juin, qui veut lui aussi ce partage équitable. Tout l'enjeu pour les deux hommes est donc d'arriver à s'accorder sur la place du curseur, mais il est évident qu'il sera difficile de satisfaire tout le monde et que des concessions devront être faites.

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Le trafic n'est pas le juge de paix

La double caisse n'est pas le seul sujet mis sur la table par le patron des aéroports français. Il souhaite aussi se pencher sur le périmètre de la régulation. S'il admet qu'il est légitime qu'un aéroport en situation de monopole soit régulé, il déclare que dès lors qu'une plateforme est soumise à une forte concurrence, la question d'une non-régulation ou d'une régulation adaptée doit se poser. Il estime ainsi qu'il y a des situations très différentes d'un aéroport à un autre.

Thomas Juin prend l'exemple de l'aéroport de Beauvais qui va bientôt rentrer dans le cadre de la régulation puisqu'il va franchir le cap des 5 millions de passagers. « Cette notion de 5 millions par exemple, est-elle très pertinente ? », interroge-t-il, se demandant si le chiffre de trafic est le seul paramètre à prendre en compte ou s'il faut regarder « la réalité de pouvoir de marché ».

Du côté des compagnies aériennes, on a traditionnellement tendance à considérer que la concurrence entre aéroports est bien plus faible qu'entre transporteurs, et que chaque plateforme dispose d'une zone de chalandise qui lui est propre. Ne serait-ce que par sa desserte par les transports terrestres. Pascal de Izaguirre se dit néanmoins prêt à discuter sur les seuils à adopter pour qu'un aéroport entre dans le cadre de la régulation.

Pour sa part, Clément Beaune estime que la question de l'évolution de la régulation concerne en premier ressort les grands aéroports régionaux. En revanche, les choses ne devraient pas bouger à Paris où qui dispose d'un « cadre de régulation stable et bien connu ».

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Une gouvernance locale

Cette question du périmètre pourrait bien trouver une issue via un principe qui semble faire consensus, à savoir la mise en place d'une coopération renforcée au niveau local entre aéroports et compagnies. Thomas Juin veut ainsi privilégier la concertation entre partenaires économiques, comme c'est le cas au Royaume-Uni, plutôt que d'appliquer la régulation d'entrée de jeu.

Un principe qui semble séduire Pascal de Izaguirre qui regrette qu'il n'y ait pas « véritablement de dialogue entre les compagnies et les aéroports en dehors des discussions entre l'UAF et la Fnam ». L'objectif est de trouver un mode de gouvernance qui permettrait d'aller plus loin que les actuelles commissions consultatives économiques, les fameuses « Cocoéco », mais qui soit aussi plus souples que les contrats de régulation économique (CRE). S'il voit des bénéfices dans ces contrats pour permettre des investissements dans le long terme, le patron de la Fnam rappelle qu'il s'agit de processus très longs « qui prennent 18 à 24 mois ».

De quoi avancer pour les aéroports et les compagnies aériennes en attendant d'arriver à trancher sur les sujets les plus tendus.

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 05/06/2023 à 10:08
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"le fardeau de la dette accumulée" C'est pas bon signe pour les Français ! "La régulation" est elle une autre appellation de la taxe ?

à écrit le 05/06/2023 à 7:59
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Qu'ils fassent mais que les gardes fous se réveillent svp hein, notre président a généré la plus grosse hémorragie d'argent public qu'il soit et il a encore 4 ans devant lui...

à écrit le 05/06/2023 à 7:38
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Un nouveau chantier pour les larbins financiers veut dire une nouvelle usine à gaz générée afin de caser son réseau de bons à rien bien souvent, mais prêt à tout pour nous prendre nos sous par contre.

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