
Les prises de paroles se sont enchaînées lors du 3e congrès de l'Union des aéroports français & francophones associés (UAF & FA). Dans la foulée des interventions d'Augustin de Romanet (ADP) ou Guillaume Faury (Airbus), c'est le discours de clôture de Thomas Juin qui a suscité un engouement certain dans les travées du Beffroi de Montrouge, ce 26 novembre. Tout juste réélu président pour trois ans du syndicat professionnel aéroportuaire, le directeur de l'aéroport de La Rochelle a su se montrer véhément pour exposer les défis qui s'imposent aux plateformes françaises. S'il n'a pas promis du sang et des larmes, Thomas Juin a prévenu que la crise n'est pas encore terminée et que « la période de reconstruction s'annonce compliquée ». Il n'a pas hésité à interpeller les pouvoirs publics pour leur demander de réagir face à une situation financière alarmante. La réception de la vidéo enregistrée de Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué aux Transports, fut en revanche plus mitigée malgré quelques annonces.
« La crise a été inédite, brutale et la reconstruction sera longue, difficile », alerte Thomas Juin, président de l'UAF.
Malgré une amélioration cet été, les chiffres de trafic de 2021 ne seront guère plus réjouissants que ceux de 2020. Thomas Juin prévient que la chute devrait être comprise entre -60% et -65% par rapport à 2019, soit à peine quelques points de mieux qu'en 2020 (-67 %). S'appuyant sur les prévisions de Conseil international des aéroports (ACI Europe), il annonce une année 2022 encore très compliquée avec une baisse de trafic comprise entre -20% et -39% par rapport à 2019, avec un scénario médian de -32%. Le niveau d'avant la crise ne sera pas retrouvé avant 2024 au plus tôt, soit « un impact d'au moins cinq ans ». En fonction de sa virulence, la cinquième vague épidémique de la Covid-19, qui touche actuellement l'Europe, pourrait encore aggraver ces chiffres.
Retrouver des marges financières
Thomas Juin estime que « le rythme de la reconstruction dépendra alors étroitement de la structure (vols court, moyen et long-courriers) et de la nature (compagnies low cost ou régulières) du trafic de chaque aéroport ». Une période pendant laquelle les gestionnaires devront composer avec des revenus faibles, qui dépendent à 80% du trafic passagers, mais aussi « la pression constante des compagnies aériennes sur le niveau de redevances qui souhaite aussi se refaire ».
Cette dernière remarque n'a pas dû être du goût des représentants de compagnies présents dans la salle. D'autant que quelques minutes plus tôt, une table ronde réunissant Nathalie Stubler, PDG de Transavia France, Céline Lacroix, responsable du développement international de Volotea et Bertrand Godinot, directeur général France et Pays-Bas d'EasyJet, insistait sur l'importance de pas augmenter les taxes et les redevances sous peine de saper la reprise du trafic.
Le président de l'UAF alerte ainsi sur la situation économique des aéroports, qui ont vu leurs trésoreries mises à mal pendant la crise avec une chute de 60% de leurs revenus, pour une baisse de coûts de l'ordre de 24%. A cela, il ajoute « l'augmentation du coût de la dette, avec la fragilisation de notre modèle économique ». Une faiblesse qui va peser au moment de la reconstruction, privant les aéroports de capacité d'investissement : « C'est un fait majeur. Nous ne devrions pas récupérer nos capacités d'investissement avant une dizaine d'années, alors même que nous aurons à faire face aux défis climatiques. On le sait, il ne faut pas se faire d'illusions, ça coûtera très cher », s'émeut Thomas Juin.
Trois demandes à l'Etat
Pour remédier à cette situation, le représentant des aéroports en appelle donc aux pouvoirs publics : « La crise des investissements aéroportuaires français appelle une triple réponse, à notre avis, de la part de l'Etat : l'ajustement de la régulation aéroportuaire aux nouvelles réalités du secteur, la refonte du régime européen des aides d'Etat et la préservation de la compétitivité des aéroports français. »
Il plaide ainsi pour que l'Autorité de régulation des transports mette en œuvre « une juste rémunération du capital et permettre aux aéroports de récupérer dans la durée leurs pertes ». Une démarche qu'il juge cruciale pour permettre aux aéroports de redevenir compétitifs, et attirer les capitaux privés nécessaires au rétablissement de leurs capacités d'investissement. « Nous sommes sur un système de marché. Je crois que tout le monde ne l'a pas compris », ajoute-t-il.
Sur les aides d'Etat, Thomas Juin demande une révision des lignes directrices de 2014, qu'il juge « clairement plus adaptées aux nouvelles réalités de nos aéroports ». Il appelle ainsi à un retour des possibilités d'aides publiques à l'investissement pour les grands aéroports sur le long terme, ainsi qu'un périmètre plus large pour les aides au fonctionnement des petits aéroports.
Sur le dernier point, Thomas Juin déclare qu'il « appartiendra à l'Etat de construire rapidement le cadre économique et social plus favorable à la reprise du trafic, avec une attention toute particulière portée à la compétitivité des aéroports français dans un secteur aéroportuaire », avant de faire part de son manque d'optimisme sur la question.
Le casse-tête des missions régaliennes
Le patron de l'UAF soulève notamment le problème du financement des missions régaliennes, à savoir le maintien de la sûreté et la sécurité sur les plateformes aéroportuaires. Celles-ci reposent sur la taxe d'aéroports et dépend donc du trafic. Il affirme ainsi que, selon les calculs de la Direction générale de l'aviation civile, il manque encore 100 millions d'euros pour couvrir ces dépenses cette année 2021 et 180 millions l'an prochain, qui risquent de peser sur les fonds propres des gestionnaires aéroportuaires.
Dans la foulée, Thomas Juin rappelle que les aéroports français vont devoir rembourser, à partir de 2024, plus 900 millions d'euros avancés par l'Etat pour pallier la chute des recettes. Même avec un étalement sur sept ans, il prévient que cela engendrera « une envolée de la taxe d'aéroports », nuisant à la compétitivité. Il s'oppose ainsi à toute hausse de la taxation et demande que ces avances soient transformées, en partie au moins, en subventions.
Réponse partielle du Gouvernement
Une demande visiblement restée lettre morte jusqu'à présent au ministère des Transports. Dans son intervention, Jean-Baptiste Djebbari a confirmé l'étalement du remboursement entre 2024 et 2030, mais n'a pas évoqué un quelconque abandon de créance. Il a en revanche partiellement répondu à la couverture des missions en 2022, en révélant l'intention du Gouvernement de débloquer une avance de 150 millions d'euros supplémentaire avec une clause de revoyure en cours d'année.
Fort de cette annonce, le ministre a déclaré : « L'Etat fait donc des efforts. En retour, j'attends que vous fassiez aussi. Comment faire en sorte d'être plus robuste demain, de ne plus subir cette crise ou ses effets et de mieux anticiper. Je sais que vous y avez travaillé aujourd'hui et j'attends vos propositions, car d'ores et déjà, nous devons préparer l'après crise. » Une phrase visiblement mal passée, qui n'a pas manqué de susciter quelques critiques dans les travées du Beffroi.
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