Le départ du patron de KLM, Pieter Elbers, peut-il se retourner contre Air France-KLM ?

Dans un an et demi au plus tard, Pieter Elbers découvrira une nouvelle vie loin de KLM. La compagnie batave devra alors faire sans celui qui l'a dirigée pendant près de dix ans avec un talent indéniable. Charismatique, écouté, parfois craint, Elbers ne sera pas simple à remplacer tant les cases semblent nombreuses à cocher entre la stratégie d'intégration voulue par Ben Smith, directeur général d'Air France-KLM, les velléités d'autonomie de la compagnie néerlandaise, les risques sur la rentabilité, le changement de flotte... et une crise sanitaire toujours fortement présente. Explications.
Léo Barnier
Ben Smith gagne son bras de fer avec Pieter Elbers, mais il lui reste du chemin avant d'arriver à un groupe pleinement intégré.
Ben Smith gagne son bras de fer avec Pieter Elbers, mais il lui reste du chemin avant d'arriver à un groupe pleinement intégré. (Crédits : DR)

La nouvelle, révélée jeudi dernier par La Tribune, a fait l'effet d'une bombe : Pieter Elbers, l'emblématique patron de KLM, va quitter la compagnie néerlandaise à l'issue de son mandat qui s'achève en 2023. Directeur général et président du directoire depuis 2014, il ne sera pas reconduit pour un troisième tour d'opérations et laissera les manettes à un autre. Si certains semblent se réjouir du départ de celui qui, en défendant l'autonomie de KLM face à la la volonté d'intégration du directeur général du groupe, Ben Smith,  semblait être le principal obstacle au bon fonctionnement d'Air France-KLM, d'autres regrettent de perdre l'un des meilleurs éléments, une personnalité mondialement reconnue dans le transport aérien pour ses performances de haut vol.

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Les salariés de KLM se mobilisent

La nouvelle a fait l'effet d'un électrochoc dans les rangs des employés de KLM. Ceux-ci se sont mobilisés très rapidement pour soutenir leur patron, et lui demander de rester. Parmi ces initiatives, une pétition a ainsi été lancée en quelques heures avec l'ambition de recueillir rapidement plusieurs milliers de signatures. A l'origine de cette initiative Marcel van Tiel, personnel au sol de KLM, a déclaré au journal néerlandais De Telegraaf qu'il espérait remettre "l'armée bleue" sur pied. En 2019 déjà, Pieter Elbers avait reçu le soutien fort de ses employés face aux menaces pesant sur sa reconduction pour un second mandat. Pas moins de 25.000 signatures avaient été recueillies à l'époque (sur 35.000 salariés), dont la quasi-totalité des dirigeants de haut niveau de la compagnie. Une séquence qui avait marqué l'apogée de l'affrontement entre Smith et Elbers.

Nouvelles négociations en vue

Le départ de Pieter Elbers ne devrait donc pas régler le problème de défiance des Néerlandais à l'égard du groupe français d'un claquement de doigts. Si l'envie venait côté français de vouloir imposer un dirigeant un peu trop francophile ou vu comme inféodé au groupe, la levée de boucliers risquerait d'être immédiate côté néerlandais.

D'après un connaisseur du groupe, une négociation avec des allers-retours sera probablement nécessaire entre le conseil de surveillance de KLM, où siègent tout de même Ben Smith et quatre administrateurs français sur un total de neuf membres, et le comité de nomination et de gouvernance au sein du conseil d'administration du groupe. Composé de trois membres et présidé par Anne-Marie Couderc, ce comité doit ainsi "formuler des recommandations au Conseil d'administration sur la nomination du directeur général des filiales principales".

L'Etat néerlandais devrait aussi avoir son mot à dire sur le choix du futur patron. Il a certes été dilué lors de l'augmentation de capital d'avril 2020, repassant de 14 à 9 %, mais il s'est engagé financièrement à hauteur de plusieurs milliards d'euros (prêt d'actionnaire, prêt garanti, chômage partiel). Pour l'instant, celui-ci vient à peine de s'installer après des mois et des mois de négociations pour former une coalition. Si Mark Rutte entame son quatrième mandat de Premier ministre depuis 2010, Wopke Hoekstra (CDA) - rendu célèbre en France par son coup de force sur le capital d'Air France-KLM en 2019 - a été remplacé par Sigrid Kaag (D66) au ministère des finances. Il lui faudra un peu de temps pour s'emparer du dossier.

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Promotion interne ou candidat externe

Un autre familier d'Air France-KLM ajoute que le comité d'entreprise de KLM pourrait aussi peser dans les débats. Celui-ci s'est déjà prononcé en faveur d'un recrutement en interne, avec un candidat connaissant les dossiers en cours et à même d'assurer une certaine continuité. Une partie des dirigeants de KLM pourrait s'avérer moins réticente que ne l'est Pieter Elbers à aller vers plus d'intégration. Là où le charismatique batave se voulait indépendant, d'autres se complairaient davantage dans l'autonomie. Un équilibre qui pourrait également convenir au groupe.

L'appel à un cabinet de chasseurs de têtes démontre que la piste externe constitue une réelle option. Reste que les candidats qualifiés, dotés d'une connaissance de l'aérien et de qualités de management (point déterminant dans le choix des dirigeants aux Pays-Bas), ne sont pas légions pour autant, surtout si la nationalité néerlandaise entre en ligne de compte. De l'avis de plusieurs observateurs, les options possibles de succession apparaissent ainsi relativement limitées.

Un des éléments à prendre en compte est le calendrier de départ de Pieter Elbers. Celui-ci a été négocié en coulisses pendant plusieurs mois et est désormais acté, mais il ne doit se concrétiser que dans un an et demi. Comme le fait valoir un proche du dossier, le patron de KLM pourrait réduire son préavis si son successeur venait à être désigné avant cette date. D'ici là, il continuera de peser sur la destinée de KLM, donc du groupe, et potentiellement d'influer sur le choix de son successeur. Il a tout de même perdu quelque peu en influence, notamment vis-à-vis du gouvernement néerlandais depuis le début de la crise.

Reste dès lors à trouver le candidat idéal capable de défendre les intérêts de KLM si nécessaire, mais aussi de renforcer la collaboration avec Air France dans l'intérêt du groupe.

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Vers une intégration renforcée, mais à quel point ?

Une fois Pieter Elbers parti, Ben Smith pourrait donc enfin avoir les mains un peu plus libres pour pousser plus en avant sa stratégie d'intégration. Un bon connaisseur du groupe avance ainsi qu'un pas en avant sera forcément fait en ce sens, mais reste prudent quant au niveau qui pourrait être atteint. Il note, comme d'autres, que beaucoup de fonctions ont déjà été intégrées au sein du groupe comme le cargo, la maintenance, l'informatique, le commercial... mais il estime que la collaboration et la coordination peuvent être renforcées. Des synergies accrues sont ainsi envisageables pour réduire les coûts, mais aussi pour optimiser les recettes dans l'intérêt du groupe plutôt que celui d'une compagnie. Cela pourrait être notamment le cas dans la construction des réseaux.

L'intéressé précise que des efforts ont déjà été faits récemment en ce sens sur la flotte, avec des commandes mutualisées au niveau du groupe (même si Français et Néerlandais financeront chacun leurs avions). En revanche, il n'imagine pas qu'un modèle comme celui de Lufthansa avec une compagnie de tête et des filiales soit envisageable, ou même souhaitable. Un rapprochement entre les deux compagnies low cost Transavia Holland et Transavia France, qui ne partagent aujourd'hui que leur nom, revient également dans les conversations. Sans parler de fusion, une meilleure coordination semble là aussi envisageable pour certains.

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Les craintes néerlandaises ressurgissent vite

Quelles que soient les ambitions de Ben Smith, il devra avant tout convaincre le futur patron de KLM et les employés de la compagnie. Côté néerlandais, les vieilles craintes quant à une supposée volonté de mainmise d'Air France-KLM n'ont pas tardé à ressurgir. Si le directeur général du groupe veut aller trop vite trop loin, il y a un risque de grande résistance, prévient un syndicaliste néerlandais. De même, il estime que la plupart des efforts ont déjà été faits en matière d'intégration et qu'une structure centrale trop lourde pour s'avérer plus coûteuse sans pour autant être plus efficace, reprenant ainsi un discours proche de celui d'Elbers.

A travers lui transparaît aussi un sentiment assez largement relayé aux Pays-Bas, celui de voir la très rentable KLM déshabillée au profit d'Air France, jugée comme une compagnie structurellement déficitaire, sous perfusion de l'Etat et en proie à des conflits sociaux permanents. Pour exemple cet été, malgré l'apport de Transavia France, le groupe Air France affichait une marge opérationnelle négative (-2 %) tandis que KLM et Transavia Holland pouvaient se targuer d'une rentabilité de 9 %. Certains estiment tout de même que cet écart est en partie dû au programme de chômage partiel NWO, généreux et taillé sur mesure par l'Etat néerlandais pour la compagnie, qui est l'un des principaux employeurs des Pays-Bas

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Un risque pour la rentabilité de KLM

Cette crainte est renforcée par la crise actuelle du transport aérien, mais surtout par le fait qu'avec le départ de Pieter Elbers, KLM perd son skipper. Car au-delà d'être l'incarnation des velléités d'indépendance néerlandaises ou un patron charismatique, il est un grand professionnel de l'aérien aux qualités mondialement reconnues. Depuis sa nomination à la tête de KLM en 2014, après y avoir fait toute sa carrière, il a magnifiquement réussi la transformation de la compagnie batave, accroissant encore son niveau de rentabilité en dépit d'un environnement concurrentiel durci par la montée en puissance des compagnies du Golfe et des low cost.

Si Elbers pourrait rester à la barre encore quelques mois, il ne sera plus là pour assurer la sortie de crise et la stratégie de redéploiement. Ces compétences manqueront alors à KLM, ce qui aura pour effet de se répercuter sur le groupe. Son successeur n'aura pas la tâche facile avec le risque de souffrir de la comparaison. D'autant qu'il aura du pain sur la planche. Si la croissance revient durablement, la compagnie néerlandaise sera confrontée à nouveau à la saturation de l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol. Ce qui pourrait fortement limiter ses capacités de développement et donc potentiellement sa rentabilité.

Le futur patron devra également composer avec la baisse du trafic affaires, dont une partie tend à devenir structurelle, au moins pour quelques années. Les répercussions pourraient s'avérer lourdes pour KLM, qui profite de la demande de connectivité des nombreux sièges sociaux basés aux Pays-Bas. Il devra également gérer des sujets tels que la transition de la flotte moyen-courrier du Boeing 737 vers l'Airbus A320 NEO, véritable révolution dans la flotte de la compagnie aérienne royale néerlandaise.

Léo Barnier

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Commentaires 3
à écrit le 17/01/2022 à 10:13
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Un hollandais surpassera toujours un francais ou un canadien en affaire. Toujours. Air chance va a la cata. Les francais epongeront, ils en ont l'habitude.

le 17/01/2022 à 13:59
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Ah , le sempiternel commentaire de matins calme ….. Toujours dénigrer la France et les français , pas une once d’objectivité ni de connaissance du sujet et pour finir : de nauséabonds relents de xénophobie…. Air France ne va pas à la « cata » co...

le 17/01/2022 à 14:50
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Leur etat a moins de besoins? Le peuple neerlandais meme demandent moins et exigent moins de leur etat.

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