Article mis à jour vendredi 14 janvier à 13h15
C'est l'une des plus grosses annonces de l'histoire d'Air France-KLM. Un séisme qui touche l'une des figures les plus emblématiques de KLM, la puissante filiale néerlandaise du groupe. Une personnalité mondialement reconnue dans le transport aérien pour ses performances de haut vol, mais qui symbolise aussi les tensions qui pourrissent, depuis plusieurs années, les relations entre KLM d'un côté, et sa maison-mère Air France-KLM et Air France de l'autre. Selon nos informations en effet, Pieter Elbers, 51 ans, président du directoire de la compagnie néerlandaise depuis 2014 va quitter l'entreprise. Son troisième mandat ne sera pas reconduit et il quittera le transporteur à l'issue de son mandat actuel qui court jusqu'en 2023. Réuni ce mercredi, le conseil d'administration d'Air France-KLM a validé cette décision à l'unanimité, selon nos sources. Interrogé, le groupe n'a pas fait de commentaires avant de confirmer l'information dans un communiqué de presse.
"Après deux mandats, plus de huit ans, de leadership en tant que PDG de KLM, je passe le relais en toute confiance", a déclaré Pieter Elbers, cité dans le communiqué. "Mes trente années de carrière au sein de la famille bleue KLM ont été un voyage d'une beauté inimaginable que je chérirai toujours", a-t-il ajouté.
Des négociations depuis près d'un an
Le départ de Pieter Elbers pourrait même être anticipé si son successeur était nommé avant cette échéance, fait valoir un proche du dossier. Officiellement, le processus de succession commence. Selon nos informations, il a débuté depuis plusieurs mois avec la sélection d'un cabinet de chasseurs de têtes qui s'est déjà mis à la recherche de la perle rare.
Car si l'annonce fait l'effet d'une bombe aujourd'hui, elle est néanmoins préparée en coulisses depuis de longs mois. Menées depuis le printemps dernier, des négociations tumultueuses entre les différentes parties concernées (la direction du groupe, le comité des nominations du conseil, l'Etat néerlandais et Pieter Elbers, qui s'est montré depuis le début ouvert à un départ) n'ont eu de cesse de repousser l'annonce de la décision, d'abord attendue en juillet dernier, avant d'être décalée à la fin de l'année dernière, puis au début de cette année.
Le courant n'est jamais passé avec Ben Smith
Il est clair que ce départ trouve son origine dans les relations tendues qu'entretiennent Pieter Elbers et Ben Smith, le directeur général canadien d'Air France-KLM, depuis la nomination de ce dernier à la tête du groupe en août 2018. Une arrivée qui mettait fin à une crise de gouvernance provoquée par la démission rocambolesque trois mois plus tôt de Jean-Marc Janaillac.
Mais dès le début, le courant n'est pas passé entre les deux hommes. Autant pour des questions d'égo que pour des divergences stratégiques sur le fonctionnement du groupe, entre une vision d'intégration plus poussée prônée par le Canadien, et celle d'une autonomie de KLM défendue par le Néerlandais.
En effet, reconnu sur la scène internationale par ses pairs pour la transformation réussie de KLM, Pieter Elbers (qui avait refusé de prendre les rênes d'Air France-KLM avant que le poste ne soit proposé à Ben Smith) a eu du mal à accepter non seulement l'autorité du Canadien, numéro 2 méconnu d'une compagnie d'une taille plus petite que KLM (Air Canada), mais aussi ses velléités de jouer pleinement ses fonctions de big boss d'Air France-KLM. Une vision qui ne pouvait que s'opposer à celle de Pieter Elbers, un défenseur farouche de l'autonomie de la compagnie néerlandaise qui faisait en sorte que KLM reste une forteresse imprenable pour Air France-KLM.
A LIRE AUSSI | Grosse tension au sommet d'Air France-KLM sur la gouvernance
Symbolisée par le refus de faire siéger le patron d'Air France-KLM au conseil de KLM, cette attitude traduisait également la méfiance portée par KLM à l'égard de la maison-mère, une holding de droit français souvent accusée par le camp néerlandais de protéger les intérêts tricolores. Cette volonté d'autonomie traduisait également la crainte d'être corps et poings liés à la compagnie française. Les difficultés financières chroniques d'Air France depuis 2008 et les multiples grèves qui ont touché la compagnie française entre 2014 et 2018 (elles ont coûté près d'un milliard d'euros), avaient renforcé la conviction bien ancrée au sein de la compagnie batave de prendre ses distances avec Air France.
2019 : le conflit entre Smith-Elbers se transforme en conflit entre Etats
Cette guerre des chefs a atteint son paroxysme début 2019 quand elle déboucha sur un psychodrame au moment du renouvellement du deuxième mandat de Pieter Elbers à la tête de KLM. Les menaces d'une non-reconduction du dirigeant batave ont mis le feu aux poudres aux Pays-Bas.
La riposte a été violente. Salariés de KLM, hommes politiques, la presse et une partie de l'opinion se sont rangés comme un seul homme derrière le soldat Elbers. Surtout, elle poussa l'Etat néerlandais à lancer dans le plus grand secret un incroyable raid boursier pour rafler 14% du capital d'Air France-KLM, un niveau équivalent à celui de l'Etat français. Objectif de La Haye : peser autant sur la stratégie du groupe que l'Etat français. Pour autant, cette guerre éclair s'est terminée comme un coup d'épée dans l'eau : elle n'empêcha pas Ben Smith de faire son entrée au conseil d'administration de KLM.
Si la crise du Covid a poussé chaque Etat à protéger sa compagnie, les tensions ne se sont pas dissipées pour autant. Las de cette situation, Pieter Elbers s'est montré ouvert à un départ l'an dernier. A-t-il déjà un point de chute ? Certains le pensent. Et parient sur un poste prestigieux aux Pays-Bas, même s'il sera plus difficile de trouver mieux que KLM, premier employeur du pays, considérée comme l'une des entreprises les plus importantes du pays avec le port de Rotterdam. D'autres misent davantage sur un départ vers une autre compagnie aérienne.
Une bonne chose pour Air France-KLM ?
Le départ de Pieter Elbers est-il une bonne chose pour Air France-KLM ? Entre ceux qui estiment qu'il faut garder les meilleurs éléments à tout prix et ceux qui rappellent au contraire qu'il faut se débarrasser de tout collaborateur qui nuit au collectif, quelle que soit sa valeur, les avis seront forcément partagés. Le groupe va en effet perdre une compétence énorme, un leader reconnu et apprécié chez KLM et aux Pays-Bas.
Nommé en 2014 à la tête de KLM, où il a fait toute sa carrière, Pieter Elbers a magnifiquement réussi la transformation de la compagnie néerlandaise. Déjà très rentable, KLM l'est devenue davantage sous sa coupe alors que l'environnement concurrentiel s'est durci avec la montée en puissance des compagnies du Golfe et des low-cost.
Mais, malgré cet excellent bilan, son départ sera forcément perçu par un grand nombre de personnes comme une bonne chose pour l'avenir d'Air France-KLM puisqu'il peut lever le principal obstacle à leurs yeux à une intégration plus poussée entre Air France et KLM et permettre de générer des synergies et d'être plus enfin plus efficace. La tâche ne sera pas simple. Car les positions de Pieter Elbers sont largement partagées au sein de KLM.
Sujets les + commentés